“Une Histoire de La Plagne”

Un récit historique largement réécrit a été édité en 2021 dans le livre “Une Histoire de La Plagne” de Romain Guigon
et d'Agnès Le Masson.
Ce livre est désormais épuisé. Le récit publié sur cette page est la 6e édition du récit datant de juin 2016.
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Les grandes lignes de l'histoire de La Plagne sont bien connues. Ce récit a pour ambition de l'ancrer dans sa réalité : celle de femmes et d'hommes qui l'ont vécue et y ont contribuée. La Plagne, telle que nous la connaissons aujourd'hui, est le fruit de ces parcours divers. Nous avons voulu rencontrer de nombreux acteurs de cette histoire et collecter les souvenirs avant que le temps ne les efface.
Macôt, Aime, Bellentre, Longefoy et Champagny avant La Plagne
Sur la commune de Macôt, à 2000 mètres d'altitude, au cœur d'un cirque montagneux se situe le lieu-dit “La Plagne”. C'est un nom très répandu en Savoie qui désigne un replat, une petite plaine. La “Montagne”, comme on surnomme localement ces terres en altitude, n'a pas toujours été ce lieu recherché où l'on se presse pour admirer les paysages. Elle a longtemps été un lieu hostile et effrayant, que l'on ne fréquente que par nécessité, d'abord pour le travail, rarement pour les loisirs et la détente. Entre ces sommets va naître l'une des toutes premières stations mondiales.
Vue du Dou du Praz en 1964
(Photo du fonds André Martzolf)
Macôt en 1952
(Photo Juliette Reibell)
La “Montagne de La Plagne”, petit coin de la Tarentaise, se trouve sur le territoire de quatre communes : Aime, le chef-lieu du canton, Macôt, Longefoy et Bellentre, qui totalisent 3200 habitants en 1954. De l'autre côté, dans la vallée de Bozel, les 475 habitants de la commune de Champagny seront associés plus tard aux destinées de la station. Comme tous ceux de Savoie, ces villages ont connu une dépopulation massive au XIXe siècle, et se relèvent tout juste, parvenant bon an mal an à inverser la tendance : Macôt gagne des habitants à partir de 1901, Aime et Bellentre dès 1930... A l'inverse, à Champagny et à Longefoy la population recule encore assez fortement. Le Monde change mais ces territoires paraissent encore immuables. Depuis des siècles, leur économie repose sur deux piliers essentiels : l'agriculture pastorale et l'exploitation forestière, auxquelles s'ajoutent au XXe siècle des activités minières et industrielles.
Les habitants ne possèdent alors que quelques bêtes (un cochon, une chèvre et des vaches) et quelques arpents de terrain, nécessaires à l'autosuffisance alimentaire. Alice et Lulu Ougier se souviennent qu'à Macôt “tout le monde avait au moins deux vaches” et “que les plus gros paysans n'en avaient pas plus de dix.” “On vit entre les vaches” selon l'expression de Monique Bugny. Dans la plupart des communes de la vallée, les habitants vivent la majorité du temps au village, et ne vont en altitude que pour accompagner les bêtes. Au plus fort de l'hiver, elles restent en vallée et ne montent qu'aux premiers signes du printemps. Alors, on “emmontagne” les troupeaux : c'est “la remue”, partout un événement. Faute de documents précis, les effectifs des troupeaux des différentes communes sont mal connus. On sait seulement qu'à Longefoy et Bellentre il y avait plus de bovins que d'habitants en 1940. Michel Villien-Gros a estimé le troupeau de Macôt à 200 vaches laitières en 1950. Le bétail est emmené en pâture dans les mêmes lieux depuis des siècles : à La Plagne et à la Forclaz
Traite sur le Dou du Praz
(Photo Lucile Marin)
(Macôt), à la Vélière ou au Mont de la Guerre (Champagny), à Prajourdan (Longefoy), au Carroley et au lac de La Plagne (Bellentre). Ces alpages, qui sont en général la propriété des communes, ne s'animent vraiment qu'entre la Saint-Jean (24 Juin) et la Saint-Michel (29 Septembre), lorsque les troupeaux se rassemblent sous la garde de bergers choisis et payés par la collectivité.
Le lait de toutes ces bêtes, “fruit commun” du travail des paysans, sert à la fabrication du Beaufort, produit par un fruitier professionnel. La “pesée”, est le moment le plus important. Empreint d'un certain cérémonial, elle rassemble tous les propriétaires. Comme il est impossible d'évaluer chaque jour la production laitière de chacune des bêtes, on procède à une mesure lors des deux traites de la Saint-Jacques (le 25 Juillet). Celle-ci détermine la rémunération de chaque propriétaire. Cette vie pastorale traditionnelle perdure, mais n'apporte pas de revenus suffisants, ni pour les habitants, ni pour les communes. Alors on exploite le bois. A Macôt, 900 hectares de mélèzes et d'épicéas sont entretenus depuis le XVIIIe siècle. Dans les années 1950, on compte une vingtaine de scieries dans le canton d'Aime. A Macôt, celle de Gilbert Vivet-Gros, ou la scierie Briançon-Marjollet gérée par Fernand Costerg, emploient chacune huit “compagnons” et donnent du travail à une vingtaine de bûcherons.
Tout cela n'améliore guère le quotidien. Dans les villages de la vallée, la vie est d'une dureté que l'on peine à imaginer aujourd'hui, et la misère est présente dans les hameaux les plus isolés. Par conséquent, dès le XIXe siècle, les jeunes, à qui ces activités traditionnelles n'offrent ni revenus confortables, ni perspectives professionnelles réelles, partent travailler, quelques mois par an, à Chambéry, à Lyon ou même à Paris. Ainsi, avant même le rattachement de la Savoie à la France en 1860, cela concerne un actif sur dix. Les Macôtais, comme leurs voisins en prennent l'habitude : “C'étaient de grands migrants !” raconte Lina Coudray Vivet-Gros, qui s'appuie sur ses recherches, notamment sur l'histoire de sa famille. “Les femmes partaient en région parisienne, par exemple pour travailler à la Chocolaterie Menier, à Noisiel, en Seine-et-Marne. A Macôt ils étaient nombreux et on les appelait 'les gens de Noisiel'. C'était le cas de mon grand-père Hilaire, lorsqu'il s'est marié, avec une Macôtaise, à Paris, en 1885. Par la suite, il été ramoneur, cireur de parquet, et commissionnaire à l'Hôtel des ventes Drouot, comme beaucoup de Savoyards, notamment de Peisey. Enfin, il a aussi tenu un café restaurant près des Halles... Lorsqu'il est rentré, on lui demandait parfois, à Aime, de faire le service pour les grandes occasions, en tenue parisienne bien sûr ! Quant à ma grand-mère Célestine, j'ai toujours cru qu'elle avait passé toute sa vie à Macôt, avec sa coiffe sur la tête... Et bien non ! Elle a travaillé à l'hôpital de la Salpêtrière, tous les hivers ! D'autres ont été domestiques, chauffeurs de taxis, représentants de maison de couture... Tous envoyaient de l'argent en Savoie. Parfois ils n'allaient à Paris que l'hiver, et rentraient pour les travaux agricoles. Parfois ils ne revenaient que pour leurs vieux jours après des années d'expatriation... On les appelait les 'rentiers', et on les reconnaissait facilement, car pour fabriquer les balustrades de leurs maisons, ils préféraient le fer forgé au bois, sur le modèle des immeubles parisiens !”
Ski sur le Dou du Praz en 1952
(Photo Juliette Reibell)
Le développement de la vallée a finalement mis un terme à ces migrations forcées. Dès, l'arrivée du chemin de fer, au début du XXe siècle, les activités minières et industrielles prennent une place de plus en plus importante dans l'économie. La mine de charbon de Bonnegarde, les usines électro-métallurgiques de Moûtiers, de Pomblières, de Notre-Dame de Briançon, de Bozel, la mine de Peisey et la mine de plomb argentifère de La Plagne, fournissent un complément de revenu à une part croissante de la population active. Dans beaucoup de foyers ces activités sont complémentaires : on est à la fois paysan, mineur et même bûcheron aux rares heures perdues.
A quoi ressemble la vie d'un gamin de ces villages de montagne ? La plupart vivent au rythme de la “campagne”, et ceux qui montent dans les alpages avec les bêtes sont nombreux. Alfred Ruffier des Aimes, natif de Champagny, est un bon exemple de cette génération d'enfants entre deux époques : “Nous avions cinq ou six vaches. A 13 ans, j'ai quitté l'école et je suis parti en alpage, comme tous les jeunes de mon âge. A 15 ans je suis entré à l'école fromagère de Bourg Saint Maurice et j'ai fait le Beaufort une dizaine d'années. Par la suite je suis allé à l'usine de Bozel. On faisait les 3/8, mais à l'époque c'était sept jours le matin, sept l'après-midi et sept la nuit. Huit heures à l'usine, puis le travail de la campagne.” Au-dessus de la Roche, comme beaucoup de jeunes filles de leur génération, Lucile Marin et Josiane Labertrande (nées Regazzoni) s'occupent des bêtes avant et après l'école. Elles se souviennent de leur journée type : “à 6 heures du matin on devait déjà être debout, et la première chose qu'il fallait faire c'était de sortir le fumier des vaches. Vers 8 heures on mangeait vite, puis on descendait à pied à l'école pour 8h30, avant de remonter à 11 heures. A midi, on mangeait une grosse gamelle de lard, on faisait la vaisselle, et on remplissait le râtelier des vaches avant de repartir à l'école. En rentrant le soir, on traînait, car on savait qu'à la maison il y avait du travail : il fallait traire notre dizaine de vaches, apporter le lait à ceux qui nous l'achetaient, s'occuper du potager... Et le lendemain on recommençait ! Je me demande comment on faisait !” Même vie pour Monique Bugny, née Bérard, pour qui “une deuxième journée commençait après l'école” avec son lot de tâches indispensables : “sortir le fumier, scier le bois, chercher l'eau, recharger la lampe à carbure, couper les betteraves pour les vaches...” Lorsque les parents n'ont pas de bêtes, ce qui est le cas de la famille de Gérard Rochet, à Bellentre, il faut “faire les corvées à la maison après avoir fait ses devoirs le plus vite possible.”
Aime en 1952
(Photo Juliette Reibell)
Et lorsque les vacances scolaires arrivent, certains enfants, comme lui montent garder les bêtes des autres : “Je suis allé au lac de La Plagne, à 11 ans. Mes parents voulaient que je rapporte l'argent pour m'acheter des skis. Ils n'en avaient pas les moyens, et je devais en avoir pour entrer au Club des sports.” Pour tous ces enfants, le ski était la principale distraction.
Aime est la seule de ces communes que l'on qualifie de “ville”. Forcément plus moderne, avec ses hôtels, sa maternité, sa gendarmerie, ses écoles, et bien sûr sa gare, elle connaît même un certain dynamisme, à contre-courant du reste du canton. Michèle Lauvergniat, dont les parents tiennent l'Hôtel des Alpes, rappelle l'importante fréquentation touristique estivale dans ces années 1950 : “l'hôtel était plein, on travaillait beaucoup, car nous avions des pensionnaires qui restaient parfois un mois.” Entre le marché, les foires, et les comices, l'activité à Aime est telle, que tous ne perçoivent pas la crise qui menace. En tout cas pas Suzanne Lauvergniat : “j'étais jeune, je m'occupais du bar... je n'avais pas le temps de penser à ça !” Pour d'autres en revanche, il est déjà temps de songer à une reconversion. Le père de Joseph Duchosal est marchand de vin à Aime : “dès les années 1950 son affaire commençait à péricliter. Les gens consommaient de moins en moins de vin, et la quantité que nous vendions baissait petit à petit. Mon père a continué jusqu'au bout, mais moi j'ai arrêté quand La Plagne a commencé.” Deux activités, deux perceptions opposées sur l'état de l'économie. Et pourtant la crise menace et l'avenir est bien incertain.
Avant les autres communes, Champagny tire son épingle du jeu. Même si la dépopulation est marquée, la crise est semble-t-il moins grave qu'ailleurs, et la survie des industries locales moins préoccupante. Quoiqu'il en soit, l'avenir se prépare déjà et les habitants de Champagny savent qu'il faudra se tourner vers le tourisme.
Champagny au début du XXe siècle
(Photo Médiathèque de l'architecture et du patrimoine)
Pour Alfred Ruffier-des Aimes, la création du Parc National de la Vanoise, décidée en 1960, officiellement ouvert en 1963, et dont il est l'un des premiers gardes, a été une véritable “planche de salut.” Pourtant, les craintes des habitants sont considérables lorsqu'on annonce son périmètre. Il s'en souvient : “Ce parc n'a pas été bien accepté, car les gens ont eu peur de ne plus pouvoir mener leurs bêtes en alpage.” Geneviève Ruffier-Lanche rapporte dans son livre, la lettre que les habitants de Champagny-le-Haut adressent en 1960 au Général de Gaulle :“Nous sommes menacés d'un malheur que vous pouvez facilement éviter” lui écrivent-ils, “ce parc nous privera un jour de pouvoir faire paître nos troupeaux. Nous n'aurons plus qu'à disparaître.” Et pourtant le Parc amène assez vite des perspectives de développement intéressantes.
La remise en cause d'un mode de vie séculaire, bouleversé par la technique, la concurrence internationale, ou la volonté des jeunes de s'en affranchir secouent ces communes comme rarement dans leur histoire.
On pourrait imaginer que, face à une telle crise, les habitants soient tenus de se serrer les coudes. Il n'en est rien. Le climat entre eux reste exécrable. D'un village à l'autre, les populations ne se ressemblent pas. Par exemple, sur le Versant du Soleil, les différences entre Tessens et Granier, pourtant distantes de quelques kilomètres, sont immenses. Ce n'est pourtant pas le souvenir des rivalités du passé qui en est l'explication. Au contraire, il s'estompe. Ceux qui se souviennent du conflit d'origine médiévale entre Aime et Longefoy pour le contrôle de l'eau du petit Bief Bovet sont bien peu nombreux. Même chose pour les querelles entre Macôt et Bellentre au sujet de “l’eau de la Dhuy.” Cette vieille anecdote n'en reste pas moins savoureuse : la propriété de cette source était l'occasion de conflits récurrents. “On raconte qu'un dimanche après la messe, curés et élus des deux communes montèrent en grande procession à la source du ruisseau pour enfin régler le contentieux. L'eau fût attribuée à Bellentre, et Macôt ne contesta pas le verdict. Pourquoi ? Parce qu'un Bellentrais, caché dans un arbre, aurait répondu au curé qui demandait à Dieu son avis sur la question.”
Ces histoires créent tout juste un contexte favorable à la dispute, mais n'expliquent pas la dureté des rapports entre des communes si proches. Lulu Ougier, natif de Macôt explique que “tous les dimanches c'était la castagne à cause des filles !” Pour Maurice Loyet, ancien Maire de Longefoy, la cause est plus profonde : “entre les jeunes de ma commune et ceux de Macôt se battre était une question d'habitude. Avec la mine sur place, ils avaient plus d'atouts que nous, et ça créait une sorte de jalousie”. Jalousie. Voilà le mot lâché. La condition des uns étant bien moins favorables que celles des autres, on cherche à restaurer l'équilibre par la bagarre. Ceux qui jouissent de la plus mauvaise image sont sans conteste les habitants de Macôt, la commune la plus riche. Dans le canton, leur réputation est épouvantable : les Aimerains les voient comme des buveurs et des bagarreurs invétérés, comme si l'Isère marquait la fin de la civilisation ! Evidemment, on ne peut que faire état de tels jugements. On ne cherchera ni à les expliquer, ni à les contredire. Gilbert Vivet-Gros affirme qu'il y avait “de vraies frontières” entre toutes ces communes, ce qui rend d'autant plus audacieux le pari du créateur de La Plagne.
La Plagne à l'heure des Mines
En 1807, un maçon nommé François Pélissier redécouvre une galerie à La Plagne, où l'on avait perdu toute trace des mines de plomb argentifère depuis le XVe siècle. En 1810, l'exploitation du gisement reprend sous la direction de Jean-Godefroy Schreiber, directeur de l'École des Mines de Moûtiers, jusqu'à la chute du Premier-Empire. La Mine va ensuite changer de direction au gré des vicissitudes politiques européennes. L'exploitation est interrompue à plusieurs reprises jusqu'en 1901, avant de reprendre et de s'amplifier sous le contrôle de la Compagnie Peñarroya en 1934.
Extrait du premier cadastre français de Savoie de 1870
(Document des Archives départementales de Savoie / Conseil départemental de Savoie)
Les Mines de La Plagne sont réparties sur deux sites : La Roche et La Plagne. Edmond Broche, qui a vécu et travaillé à La Plagne explique que ce sont deux mondes à part, où les conditions de vie sont bien différentes. En bas “vivait la plus grande partie du personnel, qui travaillait au jour” et en haut “les gars qui travaillaient au fond”. Pour lui, on vit bien mieux en bas. Le minerai de plomb argentifère est extrait en haut entre 1765 et 2000 mètres d'altitude. L'entrée principale de la Mine est celle de la galerie Charles-Albert, aujourd'hui située dans la station de Plagne 1800. Le minerai sort à Plante Melay, 80 mètres au-dessous, puis il est chargé dans les bennes d'un téléporteur (que les gens du pays appellent “le câble”), qui descend à La Roche. Le minerai brut y est concassé, broyé, trié par flottation (un procédé chimique permettant de séparer les différents composants), et filtré dans ce qu'on nomme la “laverie”. Ce lieu est le plus important de l'exploitation. Peu d'événements ont marqué les esprits des habitants de La Roche comme sa destruction par un incendie dans la nuit du 31 Décembre 1950. Cet accident industriel fait date. Même le journal Le Monde s'en fait l'écho quelques jours plus tard : “Malgré l'intervention des pompiers d'Aime et celle du personnel qui réussit à évacuer un dangereux dépôt de bouteilles d'oxygène, le feu a détruit des bâtiments et une certaine quantité de matériel.
Le montant des dégâts paraît devoir se chiffrer par dizaines de millions (...)
Les ateliers de laverie occupaient une centaine d'ouvriers. Un certain nombre d'entre eux pourraient être employés à la reconstruction, mais celle-ci demandera plusieurs mois.” De fait, “la mine s’arrêta durant plus de huit mois et de nombreux ouvriers furent licenciés” note l'exposition initiée par Geneviève Ruffier-Lanche.
La laverie en 1952
(Photo Juliette Reibell)
“La laverie a été reconstruite au printemps” se souvient Juliette Reibell. “Au début de l'incendie, mon père est descendu sortir les bouteilles d'oxygène pour éviter que tout explose” note Josiane Labertrande. Il faut dire que le Louis Regazzoni était connu pour sa force physique. Pour Edmond Broche, c'était “un Hercule, il faisait huit heures à la mine et en faire huit autres ailleurs ne le dérangeait pas !”
Après traitement à la laverie, le minerai est descendu à Bonnegarde (au-dessous de Macôt) par un autre téléporteur, construit au début des années 1930. A l'origine la Peñarroya souhaitait qu'il aille jusqu'à Aime, mais le nombre de propriétés privées à survoler l'a contraint à revoir son projet. A la suite d'un accident, qui cause trois morts du côté de la Grangette, il est strictement interdit aux habitants de monter à bord du téléporteur pour descendre dans la vallée. Mais, comme toutes les interdictions, elle est transgressée. Lulu Ougier avoue, amusé, l'avoir pris “en contrebande : aux Charmettes, il y avait une station d'angle, le câble ralentissait et les bennes passaient près du sol.” “On n'avait pas le droit ! Mais je l'ai pris deux ou trois fois ! Il n'allait pas vite... On avait le temps de sauter !” ajoute Alice Ougier en riant. Inconscients du danger, beaucoup prennent le câble en marche pour monter ou descendre, évitant ainsi de longues heures de marche.
A La Roche on trouve aussi les bureaux de la Peñarroya ainsi que les logements de la direction et des ingénieurs. Juliette Reibell y vit lorsque son père est directeur de la Mine de 1950 à 1952 : “Nous étions logés dans le chalet de direction. Les employés étaient éparpillés autour. Mon père avait le téléphone et la voiture, une Hotchkiss.” Edmond Broche qui est également le chauffeur personnel du Directeur, a travaillé pour son successeur : “il n'hésitait pas à m'appeler, il savait où j'étais, jour et nuit. Les premières années, il ne voulait pas que je m'absente, mais au bout d'un moment je lui ai dit que je ne pouvais pas être tout le temps à sa disposition !”
Le Docteur Borrione a pour la Mine des mots très durs : un “enfer”, un “cimetière d'hommes”. D'ailleurs les jeunes Savoyards délaissent progressivement le travail au fond. Deux maladies professionnelles font des ravages : la silicose et le saturnisme. Bien peu d'ouvriers dépassent la cinquantaine. Dans ces galeries, la poussière toxique, omniprésente pénètre les organismes et atteint le système digestif et respiratoire. “On voyait à peine briller les lampes à carbure à cause de la poussière.” Voilà le souvenir que Lulu Ougier a de la Mine, dans laquelle son père, chef mineur, l'a emmené petit : “les gars ressortaient de là blancs, comme s'ils s'étaient roulés dans la farine.” L'utilisation d'eau sous pression dans les machines d'extraction a bien permis d'assainir l'air, mais n'évite pas la silicose. “C'étaient les plus costauds qui mouraient en premier.” Les ouvriers les plus robustes abattent plus de travail et par conséquent inhalent davantage de poussière. La visite médicale régulière est pour certains l'annonce d'une mort prochaine, comme celui à qui le médecin avoue : “pour vous guérir il faudrait passer vos poumons au marteau piqueur ! Vous êtes foutu !” Le saturnisme fait aussi des victimes dans la vallée : les ruisseaux sont pollués et le taux de mortalité lié au plomb explose avant que ne soient installés des systèmes de filtration. L'activité de la Mine, elle, ne diminue pas, et a besoin de davantage de bras. La compagnie fait appel à une main d'œuvre étrangère, qui devient majoritaire dans les années 1950.
La Plagne dans les années 1950
(Photo Société d'Histoire et d'archéologie d'Aime)
A La Plagne s'établit une forte communauté Maghrébine qui vit dans un ensemble de bâtiments précaires, que le facteur Adrien Montmayeur baptise “Constantine” (la troisième ville d'Algérie). Le père de Gaby Douaifia est l'un de ces travailleurs originaires d'Algérie (territoire français jusqu'en 1962). Dans les mines de phosphate, de l'autre côté de la Méditerranée, il avait occupé tous les postes, avant de demander sa mutation pour la Savoie. “Il maîtrisait parfaitement le français et l’arabe. La Direction lui a confié la responsabilité de médiateur avec les ouvriers maghrébins.”
Le père de Gaby habite tout de suite à La Plagne, mais faute de logement vacant, lui et sa mère passent un an dans un hôtel d'Aime, et montent en 1955. “Mes parents ne vivaient pas dans le bonheur : ils venaient d’un pays chaud où ils vivaient confortablement, pour se retrouver à 2000 mètres d’altitude entourés de neige et dans un taudis insalubre… Nous avons passé près d’une année dans un logement d'une pièce, sans eau, sans électricité, ni sanitaire. Cette année-là, l'hiver fût particulièrement neigeux. Nous nous chauffions à l’aide d’un modeste poêle à charbon.” La vie quotidienne des familles est en effet extrêmement difficile, et le maigre confort du foyer peine à faire oublier la dureté de la journée de travail. Edmond et Suzette Broche montent à la Mine en Octobre 1953. En plus d'être le chauffeur du directeur, Edmond s'occupe du ravitaillement, des matériaux et du déneigement de la route. Comme les 150 habitants de La Plagne, ils souffrent bien sûr de l'isolement, “coupés du monde” à cause d'une route quasiment impraticable, mais surtout du froid. Suzette raconte : “Au début il n'y avait pas de chauffage central, nous avions 0° dans la chambre, et du givre sur les murs... C'est avec la cuisinière que l'on chauffait les appartements, mais la Compagnie nous donnait à peine assez de charbon.”
La Plagne en 1952
(Photo Juliette Reibell)
L'alimentation en eau est aussi très insuffisante : “nous n'en avions pas la moitié du temps ! Alors en hiver, on remplissait tous les ustensiles disponibles avec de la neige pour avoir un peu d'eau le lendemain”. Sans oublier le bruit “des compresseurs, au moins 16 heures par jour !”
Tous se souviennent aussi de la neige qui tombe alors en abondance : “devant notre maison, il y en avait régulièrement jusqu'au balcon et nos voisins avaient fait une galerie couverte”. Lulu Ougier se souvient qu'on creuse un tunnel pour entrer à l'école et qu'on accède à beaucoup de bâtiments “par la fenêtre de l'étage !” Même chose à Constantine, avec la contrainte supplémentaire d'être réellement coupé du monde : “Il fallait ouvrir un chemin, à la pelle, sur la distance qui nous séparait du village” Ces souvenirs de neige plus abondante qu'aujourd'hui sont corroborés par les observations de Météo France : depuis 1959, les cumuls sont en diminution de 30% sur l'ensemble des massifs de la Savoie, et à Peisey-Nancroix, la neige ne tient au sol que 90 jours contre 130 auparavant. Il faut vivre avec à une époque où elle gêne plus qu'elle n'apporte la prospérité.
En dépit de ces difficultés quotidiennes immenses, les habitants de La Roche et de La Plagne sont très solidaires. “Ma femme a pleuré pour monter, mais quand elle est descendue 18 ans après elle a pleuré aussi. On a fini par regretter la vie là-haut.” “On était bien obligé de se serrer les coudes !” Suzette évoque la solidarité entre les femmes, au-delà de la barrière de la langue ou de la religion : “A côté de chez nous habitaient des Marocains. La mère parlait très peu Français. Elle était gentille comme tout et me posait beaucoup de questions. Elle aurait fait n'importe quoi pour me rendre service !”
Les années de la guerre d'Algérie (1954-1962) mises à part, les relations sont plutôt bonnes entre les communautés, et les comportements racistes restent minoritaires, malgré des univers culturels diamétralement opposés. Lina Coudray Vivet-Gros, institutrice à La Roche de 1940 à 1943, se rappelle ses cours du soir : “Cinq grands Algériens venaient après 6 heures. La Compagnie leur payait des cours de Français. C'était agréable et amusant, car ils voulaient bien apprendre des mots français à condition que j'apprenne des mots arabes, et que je les écrive ! Je travaillais plus qu'eux ! Mais quand ils s'en allaient ils étaient très contents et moi aussi. Vers 8 heures, il y en avait toujours un qui revenait avec le couscous ! Un délicieux couscous à la confiture ! Et on me disait : ta mère n'est pas ici, il faut que tu manges ! Ce sont de très bons souvenirs !”
Pour Lulu Ougier “c'était la belle vie là-haut ! Les gens avaient plus d'argent qu'à Macôt.” “Ils aimaient leur métier. On leur aurait dit d'aller travailler ailleurs, ils auraient refusé, car ils gagnaient beaucoup plus” note Paul Broche, qui gagne le salaire confortable de 900 Francs par mois en 1965 et bénéficie d'avantages en nature conséquents. Edmond Broche ajoute : “Notre paye était correct, et nous étions chauffés, logés et éclairés.”
La cantine de La Plagne dans les années 1940
(Photo Famille Martinod)
La Roche et La Plagne sont surtout deux véritables villages avec leurs lieux de vie, leurs fêtes, et leurs écoles. Chacun a la sienne. Elles comptent entre une dizaine et une vingtaine d'élèves selon l'époque. En 1971, les deux écoles à classe unique ferment et les élèves sont transférés vers le nouveau groupe scolaire de Plagne Centre. Lina Coudray Vivet-Gros a ouvert celle de La Roche : “C'était mon premier poste d'institutrice. Je voulais être professeur d'éducation physique, mais la guerre est arrivée là-dessus...! Il y avait déjà une école à La Plagne, mais pas à La Roche, car il n'y avait pas assez d'enfants. J'avais sept ou huit élèves de tous les âges, entre 4 et 14 ans... C'était très familial ! Je faisais classe dans mon appartement, à deux pas de ma chambre ! J'ai eu les enfants du Directeur, Jean Guizoli, les Rodoz, les Gracien, les Regazzoni”. Lucile Marin (née Regazzoni) se souvient très bien de son institutrice : “Elle n'était pas commode la Lina !” L'intéressée en a beaucoup été amusée.
Le principal lieu de vie, au centre de chacun des villages, est appelé la “cantine.” C'est à la fois un restaurant, un bar et une épicerie d'appoint, où les habitants aiment se retrouver. Celle de La Roche, construite en 1929, a été tenue notamment par Mme Martinod dans les années 1940, puis par Mme Lasserre et son mari dans les années 1950. Lina se souvient qu'on “venait danser le samedi soir, tous réunis, tous métiers confondus, ouvriers ou contremaitres...” Mêmes souvenirs pour Lucile Marin : “c'était un lieu de rencontre familiale, où on dansait, où on écoutait jouer de l'accordéon. Il s' y en est passé des choses !”
La Roche et La Plagne ne sont distants que de trois kilomètres et malgré cette proximité géographique, ces deux “mondes” aux modes de vie si différents communiquent peu : “on n'avait pas tellement l'occasion de se voir” se rappelle Suzette Broche, “mais il n'y avait pas d'animosité”. Les enfants des deux hameaux, eux, “ne s'entendaient pas” raconte Lucile Marin. “Surtout lorsque l'instituteur ou l'institutrice de La Roche était malade et que les enfants devaient aller à pied à La Plagne !” Qu'il y ait ou non des rivalités ou des jalousies, les relations sont rares. D'ailleurs, aller d'un site à l'autre est en soi une aventure : il faut emprunter un semblant de route dont la pente peut atteindre les 30%. A elle seule, cette route pourrait occuper des chapitres entiers ! Elle n'existe que parce qu'elle est vitale pour la Mine. “Seul lien avec l'extérieur” elle doit rester ouverte jour et nuit, 365 jours par an “car nous n'étions pas à l'abri d'un blessé ou d'un malade qu'il aurait fallu évacuer en urgence. Il est arrivé, lors de grosses chutes de neige, que tous les ouvriers de la Mine sortent pour aider au déneigement” se souvient Edmond Broche. “Il fallait la déneiger l'hiver, et en boucher les trous à la bonne saison. Et nous n'avions pas le même matériel qu'aujourd'hui !”
L'autocar assurant la liaison avec la vallée en 1952
(Photo Juliette Reibell)
Pour descendre de La Plagne à La Roche, on doit se faire transporter par la jeep de la Mine que conduit Edmond, par exemple pour aller prendre le car qui descend à Aime et qui ne part que de La Roche. “Je descendais aussi les femmes enceintes à la maternité d'Aime. Il n'y avait pas cinquante solutions ! L'été ça secouait drôlement dans la jeep, et quand elles arrivaient elles n'étaient pas longues à accoucher !” André Broche, lorsqu'il était enfant, en a eu plus d'une fois l'estomac retourné. Edmond se rappelle très bien le jour où il s'était soulagé dans la poche de son veston !
En dehors des contacts professionnels, ou des rencontres rapides en attendant le car, il n'y a guère dans l'année pour les habitants que deux occasions de se retrouver. La première est la Sainte-Barbe, patronne des mineurs fêtée le 4 Décembre, un jour chômé pour tous. “C'était quelque chose d'extraordinaire” raconte Edmond Broche. “Tout se déroulait à la cantine de La Plagne, jamais à La Roche (sauf la messe de temps en temps), car c'était la fête de la Mine. Il y avait un bon repas et un bal le soir. A la fin de la journée, on réglait les comptes...” “Ça finissait en beuveries et de temps en temps ça castagnait” ajoute Paul Broche. Lucile Marin se souvient “d'une grande fête qui rassemblait tous les ouvriers. C'était sacré !” Sa fille Carolyne revient sur ces moments avec une certaine nostalgie : “on était gamins, on n'y comprenait rien mais on adorait ! Le patron jouait de l'accordéon ou de l'harmonica jusqu'au matin...” Quelques semaines, l'arbre de Noël rassemble à nouveau toute la population, cette fois dans la salle des fêtes de La Roche. Les préparatifs sont pour Gaby le meilleur souvenir de sa scolarité. “Notre maîtresse nous préparait un mois à l’avance : on apprenait et répétait des scènes de la Nativité entrecoupées de chants mélodieux, puis, on partait en vacances. C'était un régal dans tous les sens du terme, car on avait droit, petits et grands, à un cadeau offert par la Compagnie ainsi qu'un goûter copieux avec un bol de chocolat chaud, et tout cela dans une ambiance festive à nulle autre pareille.” Le reste de l'année, la Mine offre d'autres loisirs à ses employés, et notamment une séance de cinéma hebdomadaire dans les salles des fêtes, les samedis et les dimanches en alternance entre La Roche et La Plagne. Un luxe pour l'époque ! Le cinéma se fait beaucoup plus rare à Macôt : “On n'y avait le droit qu'aux grandes occasions” explique Robert Astier. “On poussait les tables du bar, chez Marc.” Quant à la télévision elle arrive à la Mine bien plus tôt qu'en vallée. C'est bien entendu un poste en noir-et-blanc, qui ne recevait au début qu'une seule chaîne... Suisse ! Le premier était installé à la salle des fêtes de La Roche. “C'étaient de chouettes moments” pour Gaby, “tous les jeudis après-midis, tous les enfants s’installaient devant pour regarder les séries de l'époque : 'Mon ami Flicka' et 'Zorro'.”
Les habitants de La Plagne et de la Roche vont peu dans la vallée avant l'ouverture de la route en 1962. “Notre mère descendait deux fois par an” se souvient Lucile Marin. Pourtant, un car assure la liaison entre La Roche et la vallée deux fois par semaine, le Mardi vers Moutiers pour le marché, et le Samedi après-midi jusqu'à Aime. Il est conduit par Charles Broche, le père d'Edmond et de Paul. Les places sont comptées : “il fallait réserver et elles étaient données au compte-gouttes. Nous habitions aux Mairiers (au-dessus de La Roche), et nous n'en avions pas les trois quarts du temps !” se souvient Josiane Labertrande. Gaby a été chargé plusieurs fois d'en réserver : “le jeudi, je me levais à 5 h du matin pour me rendre au bureau attendre que le secrétaire arrive pour l’inscription. Les premiers arrivés étaient sûrs d’avoir une place. La corvée était plutôt agréable, car dans ce local régnait une atmosphère feutrée mêlée d’odeurs particulières, et où je pouvais rêvasser en attendant le lever du jour.”
Le matériel de ravitaillement
Edmond Broche assure la correspondance grâce à la jeep : “pour La Plagne nous avions droit à quinze places. Les gens s'inscrivaient au bureau, et j'amenais les cinq premiers jusqu'à La Roche, dans l'ordre des inscriptions. Les autres devaient descendre à pied ! Je remontais tout le monde en jeep, mais toujours dans l'ordre des inscriptions, de cinq en cinq... Il fallait bien une dizaine de minutes pour faire le trajet”.
En temps ordinaire, il n'y a guère besoin de descendre, puisque la compagnie organise le ravitaillement des villages grâce au téléporteur, dont les bennes remontent de Bonnegarde à vide. Chaque famille possède un casier à lait, avec un, deux ou trois compartiments, un sac à pain en tissu et une caisse pour la viande, le tout portant une étiquette nominative. Tout le monde a aussi un carnet : “on marquait ce qu'on voulait, en pain, en viande ou en épicerie, et le lendemain on recevait le tout. On descendait dans la vallée une fois par mois pour payer” se souvient Suzette Broche. Un employé de la Mine “était préposé pour aller faire le tour des commerçants à Aime ou Macôt avec toutes les listes” et tout remontait par le câble “dans les bennes couvertes. Par -20°, les bouteilles de lait arrivaient figées par le gel, et parfois même, le vin gelait aussi” note avec humour Edmond Broche. A La Roche, le ravitaillement est distribué à chacun par le conducteur du téléporteur, Edmond Bérard (le père d'Armand). A La Plagne, par contre, il n'y avait pas de distribution.
Les téléporteurs de La Plagne et de Plante Melay, à La Roche en 1952
(Photo Juliette Reibell)
Cette vie aurait pu durer encore des décennies, mais la Mine de La Plagne, l'une des plus importantes de France (1/5e de la production de plomb) confrontée à la concurrence internationale et à la baisse de son rendement, est condamnée à la fermeture dès la fin des années 1950. Pourtant, tout est fait pour tenter de la maintenir : espérant trouver un nouveau filon, on multiplie les sondages et les explorations, sans succès... La Mine ferme le 1er Mars 1973, après avoir produit 137.000 tonnes de plomb
et 361 tonnes d’argent depuis sa mise en service en 1810.
Et le sport dans tout ça ?
Comme on aurait pu le croire à tort, la pratique des sports d'hiver n'a évidemment pas attendu l'ouverture de la station de La Plagne pour se développer ! Bien avant même qu'on ne songe à réaliser une station, le ski, le bobsleigh et la luge sont pour beaucoup de jeunes de la vallée des sports réguliers. “On skiait tous les jours, dès qu'on sortait de l'école” raconte Armand Bérard, qui vit alors à La Roche. Le ski entre d'ailleurs dans l'emploi du temps : chaque semaine le jeudi, jour hebdomadaire de repos des enfants, est consacré à l'entrainement. Lorsque Lina y est institutrice, et grâce aux bons résultats de ses élèves dans les championnats locaux, la Compagnie embauche un moniteur pour leur donner des cours et suivre leur progression. Tous sont des mordus de ski, et Gaby se souvient que “pour un enfant plagnard en hiver être privé de ses skis est la punition la plus sévère !” La Mine organise aussi des randonnées pour les jeunes auxquelles Josiane Labertrande a participé : “on partait toute la journée, avec nos peaux de phoque.”
Arrivée d'une compétition de bobsleigh sur route à La Roche en 1952
(Photo Juliette Reibell)
Presque chaque commune des vallées de Tarentaise et de Bozel a son club sportif, plus ou moins structuré, plus ou moins riche, plus ou moins titré : l'Union Sportive Aime Macôt, La Rapide du Chanton de Bellentre, le Ski Club de Champagny... A la Mine, la Compagnie monte aussi son club : le Ski-club de La Plagne qui prend assez vite le nom de Club des Sports de La Plagne, avant que celui de la station ne soit créé en 1962. Le matériel est différent, les lieux de pratique aussi, mais des compétitions ont lieu chaque fin de semaine, et certains champions vont briller sur la scène régionale : Armand Regazzoni, Gracien Rodoz, et plus tard Armand Bérard...
Une course sur le Biolley
(Photo Armand Bérard)
Les jeunes de La Rapide du Chanton de Bellentre sont habillés par leurs mères, qui leur tricotent un pull bleu et un bonnet bordeaux à liseré bleu. Gérard Rochet rappelle qu'ils s'entrainaient “sur la piste du Chanton, entre le Sauget et Montchavin, qui était très raide, bien plus qu'aujourd'hui ! Nous étions des descendeurs.” Les meilleurs de Bellentre intègreront le Club des Sports de La Plagne, où on manque de skieurs de cette spécialité.
Tous les dimanches des compétitions sont organisées par roulement : à La Plagne, Bellentre, Granier, Peisey-Nancroix ou Valezan... Armand s'en souvient bien : “On organisait une course de ski tous les hivers, entre le Biolley et La Roche. On damait bien sûr à pied . Ce jour-là on bloquait la route pour pouvoir la traverser à ski et on faisait un pont qu'on démontait après.” Bellentre fait partie du circuit, et Gérard Rochet rappelle que “les gars de Val d'Isère ou de Courchevel venaient courir sur la piste du Chanton.”
Immense différence avec le ski actuel : on monte le plus souvent à pied. Il y a bien un téléski à La Roche, long de 200 m, construit en 1942 par Emile Martinod, chef ingénieur de la Mine, et dont on peut encore voir le pylône d'arrivée au début de la route des Mairiers. Il a la particularité d'avoir un fort dénivelé et un arbre coupé comme pylône intermédiaire ! Il fonctionne tous les jours : “on le mettait en route et on s'en occupait nous-mêmes” se souvient Armand Bérard. “Comme on n'était pas encore très lourds à l'époque, dans la partie centrale du téléski on était en l'air, à un mètre-cinquante du sol” ajoute Paul Broche, amusé. Mais ce téléski ne va pas bien haut, et l'appétit pour une descente plus longue et plus difficile oblige d'abord à marcher : “On allait au Saint-Jacques pour skier, mais quand vous venez de La Roche, vous ne montez pas deux fois par jour !” Même chose à Bellentre, où la présence abondante de neige jusqu'en fond de vallée a permis de construire “un petit téléski qui partait de la voie ferrée, entre Landry et les Granges. Mais pour monter au Chanton, c'était à pied !” se rappelle Gérard Rochet.
Equipe de bob dans les années 1950
(Photo Edmond Broche)
Le bobsleigh est l'autre grand sport. Pour beaucoup ce n'est pas un hasard si La Plagne a été choisie pour installer la piste olympique. Il y a une vraie tradition locale du bob et de la luge. Des compétitions sont organisées sur les routes, par exemple entre la cantine de La Plagne et La Roche. Pour Lucile Marin chaque course “était une vraie fête !” “C'est sur la route de La Plagne que s'est couru en 1967 le Championnat de France, remporté en bob à deux par l'équipage dont je faisais partie avec Eugène Dao et en bob à quatre par l'équipage Hubert Bonin, Raymond Ougier, René Clément-Guy et Fernand Bérard” se rappelle Paul Broche. Les champions Macôtais et Aimerains ont été nombreux, on ne peut qu'en oublier. On peut citer par exemple l'équipage Lauvergniat, Perrot, Robino, champions de France en 1951, les équipages de Raoul Bugny et d'Hubert Bonin en 1962 ou bien plus récemment le duo André Broche - Christian Costerg, champions à Macôt en Janvier 1982. C'est un sport de casse-cou, extrêmement dangereux, surtout sur la route de La Plagne. Edmond Broche se souvient : “Il y avait de ces bosses ! Et au fond le ruisseau. Quand on arrivait bien lancé c'est souvent qu'on y descendait direct !” Raoul Bugny ajoute “c'était pour s'amuser entre copains... mais j'ai quand même été champion de France en bob à deux, en 1962. Quand on est allé courir à Saint-Pierre de Chartreuse on a eu cinq blessés, et ça m'a découragé car on n'avait pas d'assurance...” La piste de bob naturelle a ensuite été installée à Sangot, à Montvilliers, puis à nouveau sur l'ancienne route jusqu'en 1989, et enfin, après la construction de la piste olympique à Plangagnant. La luge est aussi très pratiquée. C'est surtout un moyen de transport. Adrien Montmayeur, longtemps facteur à Macôt, assure sa tournée quotidienne à pied, du bourg jusqu'à “Constantine” et redescend en luge l'hiver. Evidemment c'est aussi un sport et “chaque année il y avait une course communale entre La Roche et Macôt” rappelle Lulu Ougier.
L'été, même si les travaux des champs laissent moins de temps libre, on ne perd pas l'habitude de l'activité physique. Durant ses trois années passées à La Roche, Lina multiplie les courses en montagne : “On était toute une équipe, on faisait chaque été les classiques : le Jovet, les Grandes Rochettes... En Aout 1943, on a fait le Bellecôte avec tous les gens de La Roche et de La Plagne, une belle expédition avec une nuit du côté de la Chiaupe.”
La Plagne, le Maquis, la Résistance
A l'issue de la signature des Armistices Franco-Allemand et Franco-Italien de Juin 1940, la frontière alpine est considérée comme une zone démilitarisée sur cinquante kilomètres. L'occupation italienne se limite à trois communes de Haute-Tarentaise : Seez, Montvalezan et Sainte-Foy-Tarentaise. Le reste de la Savoie est administré par le Régime de Vichy. Dès 1942, la Résistance intérieure se structure en Tarentaise, avec à sa tête le Capitaine Louis Lungo, alias Durhone, qui s'entoure notamment des frères Joseph et Pierre Bardassier. Dans le canton d'Aime, nombre de volontaires les suivent : Pierre Borrione, Marius Bérard, Camille Côte, Marcel Montmayeur, Marceau Vivet, Albert Mingeon...
En Novembre 1942 les Italiens occupent l'ensemble des départements alpins pour quelques mois seulement, car l'Italie capitule en Septembre 1943. Les soldats Allemands les remplacent et s'installent dans le canton d'Aime. Une occupation particulièrement sévère, comme partout ailleurs en Europe, avec son lot de disparitions, de prises d'otages et de pillages.
Montgirod incendié par les Allemands en 1944
(Photo Les chemins de la mémoire)
Suzanne Lauvergniat est l'une de celles qui ont perdu un mari ou un fils. Son époux, le père de Michèle, née quelques mois plus tôt, est arrêté par la Gestapo à Aime, au hasard. Mort en déportation au camp de Bergen-Belsen en Allemagne, il n'a jamais revu son pays natal.
Chez les Vivet-Gros, pas de disparition, mais une histoire étonnante qui pourrait inspirer un scénario de film. “Une journée d'angoisse” vécue par Elise, la sœur de Gilbert et de Lina, au cours de laquelle, selon cette dernière, “Macôt a bien failli brûler !” Deux résistants poursuivis par les Allemands choisissent leur maison pour abri et demandent à la jeune Elise de cacher une précieuse enveloppe, dans laquelle se trouve une liste de tous leurs contacts. Il faut peu de temps aux soldats pour les rattraper. Les hommes sont interrogés, fouillés, malmenés. “Nous étions pétrifiés.” Elise profite d'un moment de liberté pour cacher l'enveloppe dans une grange voisine de la maison. L'interrogatoire de son père François, maire de 1933 à 1941, s'éternise, mais Elise est laissée libre de ses mouvements malgré la surveillance de la maison et la forte présence allemande à Macôt. Elle reçoit la mission d'informer les autres résistants du secteur, dont certains sont basés à Bonnegarde. Avant d'entrer précipitamment dans la maison, les deux hommes se sont débarrassés de leurs armes dans un des bassins du lavoir. Une preuve accablante qui aurait pu faire retomber la colère de l'Occupant sur la population de Macôt. Peu de temps avant, le 14 Aout 1944, les Allemands ont incendié le hameau de Montgirod en représailles pour des faits similaires. Un triste sort épargné à Macôt, grâce à l'intervention héroïque de la jeune Elise, qui lui vaudra les éloges publics du Maire à la Libération. Les résistants seront finalement relâchés faute de preuves. Ce genre d'opérations coups de poings des Allemands contre les villages de la vallée sont courantes. Isidore Costerg, le père de Fernand, est à Mongirod le jour où les Allemands incendient le village. “Il était chargé des réquisitions, et devait approvisionner les épiceries avec son gazobois, une camionnette qui roulait au bois. Ce jour-là, il est monté à Montgirod. Le village brûlait. Et moi j'étais à Macôt. Au bout d'un certain temps, s'il n'était pas revenu, je devais filer en montagne, car ça voulait dire que mon père avait été arrêté et que les Allemands viendraient brûler Macôt aussi.” Isidore Costerg, même s'il n'y participe pas directement, est au courant des activités des Maquisards et apporte son aide à leur ravitaillement. Certaines réunions ont même lieu chez lui. Fernand s'en souvient : “Les représentants des maquisards venaient à la maison pour discuter. J'ai écouté plusieurs de ces réunions en cachette. Il y avait Marius Bérard, Marius Grand et d'autres que je ne connaissais pas.”
Résistants et musiciens devant le monument commémoratif du parachutage, dans les années 1950
(Photo Lucile Marin)
L'Occupant s'aventure moins fréquemment dans la Montagne qui devient vite un lieu de refuge. La Plagne et La Roche sont de parfaits abris : une population nombreuse, des alpages immenses, et surtout des mines dans lesquelles les Allemands ne sont jamais entrés. “Ils n'en seraient pas sortis et ils le savaient très bien !” explique Lulu Ougier. Le Maquis de La Plagne, créé en 1943, est dirigé par un Alsacien. Souvent inconscients du danger, beaucoup de jeunes du pays entrent en résistance, bien déterminés à entraver le régime de Vichy et l'armée d'occupation. Leurs noms sont bien connus : Bérard, Vivet-Gros, Ougier, Grand, Perrière, Montmayeur, Buttod, Mérel et tous les autres... Lina Coudray-Vivet Gros les côtoie, notamment lors de courses en montagne. “On avait des rapports très amicaux. Il y avait beaucoup de réfractaires au S.T.O. [le travail obligatoire en Allemagne pour les jeunes Français] qui se sont fait embauchés à la Mine.” Elle leur fait même découvrir la mythique “Grotte des Sarrazins”, un repli idéal.
Les résistants bénéficient de l'aide active de l'Ingénieur des Mines d'alors, Ilia Goloubinow, qui n'hésite pas une seconde à laisser les galeries servir de refuge, d'entrepôt et de stand de tir pour entrainer tous les maquisards de Tarentaise. Il est d'ailleurs lui-même très impliqué. Il le paiera de sa vie à l'été 1944 au combat de Laval, en contrebas du Cormet d'Arêches. Les Alliés ont débarqué en Normandie quelques semaines plus tôt, les troupes d'occupation sont à cran, et n'hésitent plus à éliminer purement et simplement toute résistance.
Les maquis de Tarentaise ont de nombreux faits d'armes à leur actif : sabotage d'usines, destruction des voies ferrées ou de lignes électriques... Leur but : paralyser l'industrie française, mise au service de l'Allemagne, et empêcher le contrôle durable de la région par l'Occupant. Parmi ceux que les autorités d'Occupation appellent des “terroristes” se trouve Marius Bérard, blessé à la jambe par une balle, lors du sabotage du barrage de Centron, vitale pour l'usine de Pomblières, en Septembre 1943. Gilbert Vivet-Gros raconte que “c'était le premier résistant blessé de Tarentaise. Transporté par les Italiens à Moûtiers, il avait été durement questionné sur son lit d'hôpital... Ils ont même bougé sa jambe meurtrie !” Marius en sera sorti au début du mois de Mars 1944, grâce notamment au Docteur Borrione et à Isidore Costerg. Il se cachera ensuite dans le chalet des Vivet-Gros à Praconduit.
Inventaire du parachutage
(Document d'une exposition sur l'histoire de la Mine)
Parmi toutes les actions du Maquis de La Plagne, la plus héroïque est sans doute le parachutage de douze tonnes d'armes, de matériel et de vivres, dans les alpages enneigés, au cours de la nuit du 10 au 11 Mars 1944. Londres organise ces parachutages pour permettre aux maquis alpins de tenir. Pourtant, ce n'est pas le site de La Plagne qui est retenu par les Alliés, mais un terrain de haute montagne inhabité, le Quermoz, situé sur le versant d'en face au-dessus de Hautecourt. Ce terrain est tellement inaccessible que les maquisards de la Plagne décident de détourner les avions alliés grâce à des feux de balisage improvisés.
Les participants à ce parachutage encore vivants sont aujourd'hui bien peu nombreux. Ils en ont écrit l'histoire il y a plus de 20 ans. Un texte, que l'on trouvera en annexe, est lu chaque année lors de la commémoration organisée le 15 Aout. Tous avouent leur inconscience du danger. Gilbert Vivet-Gros était âgé de 18 ans... Lina, sa sœur, lève les yeux au ciel quand on évoque son engagement lors du parachutage... Il s'y est lancé à corps perdu, comme tous les autres. Pourtant il le dit lui-même, il n'était pas ce qu'on peut appeler un maquisard : “on était pris dans le mouvement des gens du pays, tous opposés aux occupants. On s'est adressé souvent à moi car j'étais bon skieur.” Tous ces jeunes connaissent par cœur leur montagne. “C'était presque un amusement... l'inconscience aidant...” Pour récupérer une partie des conteneurs largués au hasard de la nuit, Gilbert Vivet-Gros est sollicité afin de monter une petite équipe, en rassemblant autour de lui les jeunes skieurs. “Avec quatre amis, on est allé les chercher dans les endroits les plus difficiles d'accès”. Lulu Ougier, tout aussi inconscient, participe dans un autre groupe. “J'étais tout content de faire du ski. On a apporté les armes dans un chalet d'alpage, où Bardassier, Borrione, mon père... et tous les grands maquisards les ont triées et descendues à la mine.”
“Tout cela a été organisé en quelques heures, à l'improviste.” Leur chance ? Que les Allemands ne soient pas montés, leur attention ayant été détournée par un conteneur largué par erreur dans la vallée sur les usines de Pomblières. Ils ne sont venus que trois jours après, mais il n'y avait plus rien à trouver car tout avait été caché dans les mines. Quant aux nombreuses traces de pas dans les alpages, elles sont effacées deux jours après le parachutage par quatre-vingt centimètres de neige fraîche. Si le sort en avait décidé autrement, la répression aurait été terrible. Et comme toujours, faute de résistants arrêtés, la colère des soldats se serait reportée sur les habitants. D'ailleurs, lorsqu'ils finissent par monter vers La Plagne, les Allemands s'arrêtent chez les Regazzoni. Lucile s'en rappelle encore, avec terreur : “ils sont venus à la maison, ils ont tout pris, notre fromage, notre beurre... Mon père et beaucoup d'hommes ont été rassemblés sur la place de La Roche. Ils ont menacé de les exécuter, pour finalement les laisser repartir.”
Avec celui des Saisies, en Aout, plus important encore, le parachutage de La Plagne, dont les jeunes ont été le rouage essentiel, permet d'armer tous les Maquisards de Tarentaise. Ils libèrent la Savoie de l'Occupant entre Aout et Septembre. Parmi ces résistants, un homme, un médecin, leur médecin, Pierre Borrione.
Pierre Borrione (1913-1974), le créateur de “La Plagne”


Pierre Borrione en 1960
(Extrait du film de Lina Coudray-Vivet Gros)
Le Docteur Pierre Borrione est véritablement à l'origine de l'idée “La Plagne” et de sa réalisation. Résistant, médecin de la quasi-totalité des familles du canton, homme charismatique et unanimement respecté, il est Maire d'Aime de 1959 à 1971, et président du syndicat intercommunal jusqu'en 1974. Pour Max Jannot, “son autorité morale, son dévouement, ses qualités humaines et la confiance qu'il inspirait ont été décisifs dans la naissance de la station.” Il a su convaincre les Maires, fédérer les énergies et s'entourer des personnes les plus compétentes pour mener à bien son projet.
Pierre Borrione, entré en Résistance en 1942, prend des risques. Il soigne nombre de résistants blessés, et en 1943, il rédige des certificats médicaux de complaisance pour éviter le STO (le Service du Travail Obligatoire en Allemagne) aux jeunes du Canton qui le lui demandent. Arrêté, interné quelques mois en Haute Vienne, il réussit à s'échapper et doit se cacher dans les alpages de La Plagne. Terré dans les dolines, il change chaque jour de “planque”. Il continue néanmoins à soigner clandestinement ses patients, le plus souvent la nuit, et contribue à faire évader Marius Bérard de l'hôpital de Moûtiers en 1944.
A Macôt, à Aime, à Bellentre, à La Roche, à La Plagne... on ne trouvera pas un foyer où l'on puisse entendre une seule critique à son égard. “C'était une personne tout simplement extraordinaire” juge Edmond Broche. Les lecteurs de Frison-Roche pourraient reconnaître en lui le docteur Coutaz. Comme lui, il n'hésite pas à monter pour une consultation quelle que soit l'heure ou le temps, “par devoir professionnel d'abord, par amour de la montagne et de ses habitants ensuite”. Suzette Broche se souvient “qu'un jour il est venu à La Plagne, depuis Valezan. Il était une heure du matin. De La Roche, il est monté à pied, dans la neige !” Un médecin de campagne dévoué mais aussi audacieux, le premier en France à avoir “expérimenté les vaccins contre la polio des Laboratoires Mérieux”, en faisant vacciner toute la population de Bellentre et de Macôt en 1953 et 1954.
Dans les années 50, Patrice Weiss, le percepteur d'Aime, participe à un grand nombre de réunions municipales sur le budget. Il se souvient d'un homme “d'une immense sagesse, qui connaissait les qualités et les travers de tout le monde, et notamment de ses adjoints. Il savait aplanir les conflits. Chaque année, lors de la discussion du budget, la subvention au curé était le clou de la soirée. Il laissait discuter son conseil. Et bien sûr, entre les laïcs sanguins et les grenouilles de bénitiers, c'était un moment de bravoure ! Une fois qu'ils s'étaient tout dit, Pierre Borrione trouvait un compromis.” De la même façon, mettant fin à des décennies de conflit entre Aime et Macôt, il réussit à trouver un terrain d'entente pour le partage de l'alpage du Bozelet.
En privé, “c'était un très bon vivant” se souvient Lina Coudray Vivet-Gros. “Il venait à la maison comme chez lui et on mangeait tous ensemble dans la cuisine de ma mère... On jouait aux cartes... Il était très facile à vivre !” Pierre Borrione est également un homme d'une grande culture. Il s'investit dans les recherches historiques concernant la région et met en valeur un passé souvent oublié. Membre de l'Académie de La Val d'Isère, il fonde la Société d'Histoire et d'Archéologie d'Aime et le musée archéologique qui porte aujourd'hui son nom.
Le Docteur Borrione est élu Maire d'Aime en Mars 1959 : “il n'a pas fait de campagne, il a été sollicité pour être Maire”, se souvient Gilbert Vivet-Gros. Il déclare en Mai, devant les représentants des différents secteurs professionnels du canton : “nous habitons une région privilégiée, agréable, où, semble-t-il, il fait bon vivre. Et pourtant la vie s'étiole. Notre bonheur n'est qu'apparent et la misère se cache dans nombre de nos villages. Nos communes se dépeuplent, nous allons tout doucement vers l'agonie”. C'est avec la volonté chevillée au corps de sauver la vallée de la désertification que le Docteur Borrione lance le projet fou d'une station de sports d'hiver. Son but est de créer suffisamment d'emplois pour assurer la survie des communes, en prévision du jour où toutes les industries cesseraient leurs activités. Max Jannot, ancien pharmacien, ami et successeur du Docteur Borrione à la mairie d'Aime se souvient : “les mines de charbon d'Aime qui employaient encore 80 personnes en 1959, avaient annoncé leur fermeture pour 1960. Et il se doutait que la mine de plomb ne durerait pas éternellement non plus. Je me rappelle très bien de ce qu'il voulait faire à La Plagne : 3.000 ou 4.000 lits et deux ou trois remontées...” Cette idée mûrit dans son esprit depuis plusieurs années, mais les réactions sont souvent hostiles. Comme ce dimanche de 1957, à Peisey-Nancroix : “on était quatre sur la terrasse du restaurant de Roger Collin, le Maire, et on se disait qu'on pourrait faire à La Plagne la même chose qu'à Courchevel...” raconte Gilbert Vivet-Gros. “Et celui-ci nous a dit : 'mais vous êtes des couillons ! Vous verrez Courchevel dans quelques années ça va tout tomber à l'eau !'” Ce genre de réaction ne freinera pas ses ambitions. “Et pourtant à l'époque il rêvait juste de créer 500 ou 600 emplois...”
Celui qui est à l'origine de La Plagne est à l'évidence Pierre Borrione.
Une aventure de “rêveurs humanistes”
Le plateau de La Plagne en 1960
(Photo Michel Bezançon)
Seule, la commune d'Aime n'aurait jamais pu créer une station de sports d'hiver. Pierre Borrione, prudent, mais décidé, procède par étapes successives. Il lui faut d'abord convaincre son conseil municipal. Autour de lui, les élus adhèrent rapidement et presque unanimement. Parmi eux, Roger Bugnard, boucher à Aime, premier-adjoint pendant trois mandats, est un homme de confiance et un soutien de la première heure au projet. De par son métier il connaît bien tous les paysans du canton et va s'impliquer dans les négociations foncières.
Le second objectif de Pierre Borrione est de rallier à son idée les Maires des communes voisines : Macôt, Bellentre et Longefoy. Il voit souvent ses homologues qui partagent tous son inquiétude sur l'avenir économique de la vallée. Il est conscient que la reconversion vers le tourisme posera problème, à cause du foncier. Pour éviter cet écueil, il ne veut pas faire de la station une affaire d'élus et choisit de consulter et d'impliquer dès le début la population en proposant plusieurs réunions cantonales. En Mai 1959, une rencontre se tient avec “un certain nombre de personnes représentant les différentes activités professionnelles”, dans le but “d'organiser une réunion d'information s'adressant à tous les habitants du canton”. Un mois plus tard, plus de 600 personnes - cultivateurs pour la plupart - répondent à l'appel. Ils ont été conviés par campagne d'affichage et voitures-radios. Sous un hangar de la scierie Costerg à Aime, la plus grande “salle” du canton, se déroule la première “assemblée générale”. Elle doit permettre de mobiliser toutes les forces économiques locales pour trouver des solutions à la crise et éviter le sombre avenir annoncé. Après un exposé du Docteur Borrione, un Comité de Défense des Intérêts Economiques du Canton d'Aime est mis sur pied, et on désigne pour chaque commune des “délégués”.
A Macôt la jeune génération s'investit rapidement aux côtés du Docteur : Gilbert Vivet-Gros, Fernand Costerg, René Montmayeur, Adrien Aimoz sont nommés délégués. Ils mettent en place un syndicat d'initiatives que Fernand Costerg présidera pendant 6 ans. Il s'appuie sur une équipe dont les noms sont bien connus : Michel Ougier Simonin, Isidore Bérard, Joseph Marjollet, Paul Bellemin, et Jean Plouton qui en est secrétaire.
Michel Albertone, Gilbert Vivet-Gros, Paul Bellemin,
Max Jannot et Jean Plouton en 1962
(Photo SHAA)
A Aime, c'est Max Jannot qui fédère les soutiens. Tous sont âgés d'une trentaine d'années. Il y a une vraie différence de vue entre les jeunes et les anciens, qui marquera tout le développement de La Plagne. Fernand se souvient que dans sa famille, on était plutôt défavorable à la station, principalement à cause de la construction de la route qui empiétait sur les propriétés. Il n'est pas étonnant que les jeunes, voyant leurs perspectives professionnelles à long terme assez incertaines, soient prêts à s'engager et que les anciens qui ont toujours vécu, même modestement, grâce à leur terre, ne soient guère enthousiastes pour la céder.
Pendant tout l'été, ces délégués vont mener une enquête dans leurs communes à l'aide d'un questionnaire détaillé sur la vie et l'activité de chacun. Il ne s'agit pas seulement d'un recensement. Tous les habitants savent déjà que le Maire d'Aime a l'ambition de tourner le canton vers le tourisme, et de créer une station de sports d'hiver. C'est l'amorce d'une campagne de promotion et un vaste sondage. Pour connaître l'opinion des habitants de la vallée, tous les stratagèmes sont bons. “Les gens gardaient leur avis pour eux” raconte Gilbert Vivet-Gros. A Macôt, il y avait comme partout des lavoirs, où les femmes se retrouvaient. J'ai dit à mon épouse et à mes cousines d'écouter les conversations : quand elles rentraient, elles me disaient, celle-ci elle est d'accord, celle-ci elle dit ça... et je notais. Quand on se rencontrait avec le Docteur Borrione je lui faisais état des réactions des unes et des autres. C'était en quelque sorte de l'espionnage !” Dans cette société encore très traditionnelle, les femmes se retrouvent au lavoir, et les hommes au bistrot. Gilbert Vivet-Gros les a tous fait et il a “tout entendu. Tout ! Par exemple que les vaches allaient crever en mangeant des stylos à bille ! Il y avait beaucoup d'inquiétude chez les paysans de Macôt, car on allait utiliser leur terre pour faire skier des rigolos...” Un rigolo, c'est à dire celui qui ne consacre pas tout son temps au travail. Le ski et les loisirs des futurs touristes sont bien loin des préoccupations des paysans. Le Maire de Longefoy, Maurice Loyet, se souvient des nombreuses réunions et des efforts qu'il a fallu déployer pour convaincre la population paysanne du canton “tout doucement, tout doucement, à force d'arguments, notamment grâce aux jeunes. On y est parvenu, mais ça a été dur !”
A l'automne, le Comité de Défense publie un rapport de vingt-cinq pages, qui fait l'état des lieux des ressources, des activités économiques et du développement des communes. Il commence par cette question : “le canton d'Aime mérite-t-il d'être défendu ?” Ce rapport met en valeur ses forces et ses faiblesses, et préconise des solutions, notamment le “projet d'équipement des stations de sports d'hiver, centré sur le site de La Plagne.” Pour le mener à bien, l'appui des pouvoirs publics est évidemment indispensable. La rencontre entre le Maire d'Aime et Maurice Michaud est décisive. Ce Savoyard de 55 ans, est un passionné de montagne. Polytechnicien, il a suivi, en tant qu'Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées le développement de la station de Courchevel. Soucieux que l'Etat n'apporte aides et subventions qu'à des communes dont le projet de station est viable, Maurice Michaud incite les autorités à créer la Commission Interministérielle pour l'Aménagement de la Montagne (CIAM), chargée de donner un avis technique sur les sites proposés. Il en devient le directeur, et à ce titre, va se rendre en Savoie sur les lieux des futures stations des Arcs, et de La Plagne, donner son accord à leur lancement, et en soutenir les pionniers. Il fait appel à Emile Allais, Champion Olympique en 1936 et Champion du Monde en 1938. Le skieur est devenu un expert internationalement reconnu dans l'aménagement des domaines skiables. Ses conseils en matière de création de pistes, d'entretien, de damage ou de conception des remontées mécaniques ont été décisifs à Squaw Valley aux Etats-Unis ou à Portillo au Chili. Il dirige alors Courchevel, et suit Maurice Michaud partout où il lui faut l'avis d'un spécialiste.
Maurice Michaud
(Photo ?)
Pour obtenir l'accord de Maurice Michaud, et donc de l'Etat, plusieurs atouts de La Plagne ont été déterminants. En premier lieu, la proximité de la Mine à laquelle arrivent l'électricité et le téléphone, et même si elle est exécrable, une route. Ces investissements préalables ne sont pas à faire dans l'immédiat, et ne constituent pas un blocage, aux prémices du projet. L'argument le plus favorable est la propriété du sol : le site est entièrement communal. Maurice Michaud a fait du contrôle foncier par la commune ou l'investisseur un véritable dogme, qu'il appliquera avec rigueur à tous les projets qui lui sont soumis. Il avait soutenu auparavant le projet porté par les Maires de la vallée des Belleville, et y avait essuyé, dans un premier temps, un échec cuisant. “Là-bas les terrains étaient privés, et les propriétaires ont tout bloqué” rappelle Max Jannot. Dans un reportage qui lui est consacré en 1965, présenté par le journaliste comme étant, en Savoie, “le maître après Dieu” (c'est dire !), Maurice Michaud résume la façon dont il a procédé avec toutes les stations. “L'endroit où une station peut se faire est beaucoup plus rare qu'on ne le croit ! Le Maire d'une commune qui est au-dessus de 1200 mètres d'altitude a la tentation, quand il est dynamique, de penser qu'elle a un destin de station de sports d'hiver. Or c'est beaucoup plus difficile que cela. Pour faire une station qui crée du chiffre d'affaires et des emplois, il faut que des conditions presque contradictoires soient réunies. Il faut qu'il y ait du soleil, sur l'habitat et sur les pistes, mais que la station soit en face nord pour qu'il y ait de la neige. Il faut aussi que ce soit assez haut, et pourtant qu'il n'y ait pas de vent. Il faut que ce soit facilement accessible, mais pas près d'une grande ville, car l'affluence du week-end gênerait les Parisiens en séjour... C'est pourquoi, dans 9 cas sur 10, je dois décourager un Maire.” Il ne parle pas du foncier, conscient peut-être de la violence qu'a déclenché contre lui cette question.
On est parfois sévère avec Maurice Michaud. On rapporte qu'il était “abrupt et redouté.” Très investi, aux côtés de Robert Blanc et Roger Godino dans le développement de la station des Arcs, il s'est attiré de nombreux ennemis, et des surnoms parfois grotesques, comme celui de “général des tire-fesses”. Il avait en tout cas le pouvoir “de valider ou d'invalider n'importe quel projet de station.” Maurice Michaud n'est pas toujours des plus diplomates. Il a parfois des mots malheureux, et des phrases lapidaires comme celle-ci : “la première condition pour réaliser une station, c'est d'éliminer l'habitant !” Que l'on soit ou non d'accord avec cette théorie, cela tombe plutôt bien : à La Plagne il n'y a plus personne au-dessus de 1950 mètres et tous les terrains appartiennent aux communes. Une chance !
Un article du 21 Mars 1960
(Document Monique Plouton)
De son côté, Pierre Borrione continue sa campagne. Le 21 Mars 1960, il conduit pendant quatre heures une seconde grande réunion cantonale à la salle des fêtes d'Aime, à laquelle participe sans doute près de 800 personnes. Il commence par un préambule sur la revalorisation de la condition paysanne, et sur la nécessité pour les agriculteurs de moderniser leurs exploitations et de créer des coopératives. Bien conscient que cela ne suffira pas, le Maire va développer son idée et préciser le cœur de son projet : “créer une super station de sports d'hiver.”
La maquette de 1960
(Photo Jean Plouton)
Le projet de station est déjà très avancé, comme en témoigne la maquette qui est présentée au public ce soir-là. Pour Lina Coudray Vivet-Gros “c'était une très bonne idée, mais on avait été assez embarrassé pour la réaliser ! J'avais même proposé d'en confier la fabrication aux élèves du lycée technique d'Annecy.” Finalement, M. Chaigneau, chef forestier du canton d'Aime et amateur de miniatures, reconstitue en bois et plâtre le versant nord du massif de Peisey à Longefoy. Un outil de communication sans doute décisif pour ceux qui trouvent le projet encore bien nébuleux. Cette maquette a brûlé en 1972 dans l’incendie de la Grande Rochette. Un journaliste rend compte le lendemain avec précision de l'exposé du Docteur Borrione. Il faut l'imaginer, derrière la maquette, en train d'esquisser ce que serait le domaine skiable de La Plagne. “L'équipement sportif peut être progressif mais très efficace dès l'établissement de la première remontée mécanique R1 entre la station et le Bécoin [il s'agit du téléski du Biolley] : 600 mètres de dénivelé pour 1.720 mètres de longueur linéaire, permettant l'établissement de quatre pistes avec plusieurs variantes aboutissant soit à la station soit à La Roche, par des pistes de 3 à 6 kilomètres de longueur. Une navette La Roche - la station (4 km) suppléerait momentanément à la remontée R2 [il s'agit du téléski des Bouclets].” D'autres aménagements annoncés par le Docteur Borrione ce soir-là ont été par la suite remis à plus tard comme l'intégration rapide de Montalbert et l'extension sur Bellentre et Peisey-Nancroix. Mais l'exposé impressionne l'assemblée par sa rigueur et sa modestie apparente. Serge Bugnard, avec les yeux d'un enfant de 12 ans, se souvient d'une foule “phénoménale” et d'un immense enthousiasme. Plus âgé, Joseph Duchosal parle lui d’une présentation très sérieuse, bien construite et convaincante.
A la suite de la réunion, les Maires des quatre communes concernées créent le Syndicat Intercommunal pour l'Étude et l'Aménagement de La Plagne, dont Pierre Borrione prend la présidence. Pour rendre compte de la réunion, le Dauphiné Libéré titre “Vers la prospérité du canton d'Aime”. Le journaliste Albert Eysseric écrit : “Après avoir abordé tous les problèmes, le Docteur Borrione révéla un projet qui peut, qui doit, semble-t-il, ouvrir au canton d'Aime une ère de prospérité.” Pour tous il apparaît désormais évident que le tourisme sauvera la vallée.
Albert Perrière dans les années 1950
(Photo ?)
Cette promesse reste cependant suspendue à l'accord de la commune de Macôt dont le maire est Albert Perrière depuis la fin de l'année 1957. Son prédécesseur, Pierre Marchandet, avait démissionné quelques mois après sa réélection, anxieux de devoir gérer la transition de sa commune vers le tourisme. Raoul Bugny, son gendre, confirme : “C'était un grand copain de Borrione, mais il s'est senti dépassé et incapable de prendre les décisions nécessaires. C'était un brave homme qui ne voulait contrarier personne, et il a senti que ça allait être la bagarre”.
Fernand Costerg rappelle que son père Isidore avait épaulé Pierre Marchandet dans sa tâche de Maire jusqu'aux élections de 1957. “M. Marchandet avait accepté de se dévouer pour être Maire. Il ne l'avait pas vraiment souhaité. Mon père, lui, avait une très grosse influence sur les gens du pays, et a longtemps été capitaine des pompiers. Il ne pouvait pas être Maire en raison de son activité forestière, mais est resté plus de 15 ans au conseil municipal, après avoir été élu sans se présenter aux élections de 1945. Et lorsque M. Marchandet est devenu Maire, mon père a été son premier adjoint. Il avait un rôle essentiel, et a, par exemple, décroché les subventions pour l'adduction d'eau... Il a été très critiqué, et même un peu dégouté. Il a donc décidé de ne pas se représenter en 1957. Et M. Marchandet en a sans doute été fragilisé.”
Albert Perrière, nouveau premier adjoint de Pierre Marchandet devient Maire de Macôt. Il dirige une petite entreprise de travaux publics de cinq salariés. Pour Raoul Bugny, “Il avait fait la campagne et le bois comme tout le monde, et il a senti que la station allait fournir bien plus de travail”. Pragmatique, il s'engage très vite dans le projet du Maire d'Aime, voyant bien qu'il est dans l'intérêt de sa commune. Il a beaucoup de respect pour Pierre Borrione, et lui fait confiance. “C'est certainement cela qui a été bénéfique à La Plagne.”
Un Maire n'est que le premier des élus d'une commune, et il ne peut prendre une décision aussi fondamentale sans le soutien de tous les autres. Or, le conseil municipal de Macôt est plutôt partagé. Gilbert-Vivet Gros suggère à Pierre Borrione et Albert Perrière d'emmener les conseillers municipaux à Saint-Bon, la commune de Courchevel, puis à Saint Martin de Belleville pour les convaincre des bienfaits d'une station. “On a rencontré des paysans, des hôteliers, et aussi Fontanet, le Député et Président du Conseil général de la Savoie.” Fernand Costerg est aussi du voyage : “comme le Conseil municipal était majoritairement composé de cultivateurs, ils ont pu poser toutes leurs questions. Les paysans que nous avons rencontrés avaient déjà été confrontés au développement touristique.” Pourtant, à l'issue de ces rencontres rien n'est fait. Gilbert ajoute : “Quand on est rentré, certains s'étaient convertis à l'idée.” Mais pas tous. Il faut beaucoup de persévérance à Albert Perrière pour convaincre les élus et ensuite la population de sa commune : “à la maison c'était le bureau des pleurs ! Les gens défilaient pour se plaindre. Mon père essayait de rassurer tout le monde” confie Agnès Astier. Et pourtant Albert Perrière, comme beaucoup de Savoyards, n'est pas un homme à la parole facile. Il joue parfois avec une prétendue surdité, et n'entend que ce qu'il veut entendre. Homme de conviction, il s'en tient pourtant à sa ligne une fois qu'il l'a tracée : pour développer la station, aucun obstacle n'aurait pu l'arrêter. Le Docteur Borrione ne serait sans doute pas parvenu à convaincre les plus hésitants sans Albert Perrière et tous ces jeunes qui se sont engagés à soutenir La Plagne dès le début. André Broche résume en une formule : “ce sont les Macôtais qui ont convaincu les Macôtais !”
Le Progrès Savoyard du 14 Avril 1960
(Document Lina Coudray-Vivet Gros) (cliquez pour lire l'article)
Persuadé que la Plagne offre un terrain propice à une station d'avenir, Emile Allais se rend sur place en Avril 1960 pour une reconnaissance et pour dresser le rapport qu'attendent de lui les autorités. Le journaliste Pierre Collet raconte cette journée dans Le Progrès Savoyard du 14 Avril 1960. Emile Allais est accompagné entre autres du Docteur Borrione, de Gilbert Vivet-Gros, des ingénieurs des Ponts et Chaussées Vincent Cambau et Marcel Bétemps, d'Armand Regazzoni et de Delphin Blanc, les grands champions de ski locaux.
Emile Allais en Avril 1960
(Extrait du film de Lina Coudray-Vivet Gros)
Après un survol en hélicoptère, “les inventeurs de La Plagne” selon l'expression de Collet, proposent aux visiteurs deux descentes : le Biolley et la Grande Rochette. Mais pour descendre, il faut d'abord monter ! “Depuis longtemps déjà vestes de duvet et pulls ont été rangés au fond des sacs, et maintenant les visages commencent à ruisseler.” Le groupe s'arrête souvent : “on consulte les plans directeurs, on prend des notes, on scrute la pente.”
Lina Coudray Vivet-Gros tient la caméra pour immortaliser ces quelques moments. Elle intitulera son film “Les premiers pas de La Plagne”. “L'imagination de tous”, dit-elle, est tournée vers la future station “dont l'avenir est dans la parenthèse de deux skis”. “On était tous un peu angoissés, on se demandait si Emile Allais, Cambaud et les autres allaient trouver le site de La Plagne assez beau. C'était déjà le printemps, c'était très avalancheux. Au Col de Forcle, vers midi, quand on a servi à boire, on n'était pas tout à fait tranquille et on s'interrogeait du regard.” Les à priori ont beau être favorables, La Plagne passe un véritable examen : un avis négatif des experts et les fonds du Plan Neige ne seront pas alloués. Sans le soutien de l'État les projets du Docteur Borrione seraient condamnés. Les sourires affichés sont prometteurs. Le site leur a plu. Pierre Collet note que les regards se tournent même vers d'autres sommets “skiables”, et on évoque une extension future notamment vers Roche de Mio. Lina conclue : “On est ensuite redescendu au chalet où nous avons mangé la polenta, dehors au soleil. Tout le monde était très content, et le Docteur Borrione, qui nous avait attendu, ravi.” Quelques jours plus tard, Emile Allais rend son rapport aux autorités. Il écrit : “La Plagne a des possibilités extraordinaires et sera la station la plus originale, avec un ensoleillement et un enneigement garantis”. La Plagne est lancée.
Dans le courant de l'année 1960, le Docteur Borrione et Gilbert Vivet-Gros rencontrent le directeur des Mines de La Plagne qui souhaite en savoir davantage sur le projet de station. Il suit depuis des semaines les allers et venues et le bal des hélicoptères. La Peñarroya a exigé de lui que rien ne soit fait pour faciliter les démarches des promoteurs du projet de station. Il a donc refusé que le cantinier de la Mine serve des repas aux visiteurs. Pourtant, alors qu'ils le croyaient hostile, il leur dit à la fin de l'entretien : “ce que vous faites est formidable, surtout ne dites à personne que je vous soutiens et continuez, car dans dix ans les mines de plomb argentifère seront fermées”. Etonnante passation.
L'entête du Syndicat intercommunal en 1961
(Document Société d'Histoire et d'Archéologie d'Aime
On est surpris, quand on connaît tous ces événements, de constater que c'est assez tardivement, le 1er Décembre 1960, que le Conseil municipal de Macôt décide “d'étudier l'équipement d'une station de sports d'hiver à La Plagne.” En fait, presque tout avait été préparé, étudié à l'avance, il ne manquait plus que l'autorisation formelle, mais fondamentale, de la commune hôte. Dans la foulée, le 29, le conseil municipal vote son “adhésion de principe au Syndicat intercommunal.” L'explication de ce retard est assez simple. Force est de constater que certains élus trainent les pieds. Les terrains de La Plagne étant communaux c'est la construction de la route qui ralentit le projet. Une partie des propriétaires ne veut pas céder les terrains, aux Villards, à Prariond ou aux Charmettes. “La route ne traversait que des propriétés privées. Et beaucoup de Macôtais n'en voulaient pas !” rappelle Max Jannot. Le dossier avance, néanmoins, grâce aux efforts d'Albert Perrière et des jeunes du Syndicat d'initiatives dont la confiance dans le projet ne faiblit pas. Le Conseil municipal de Macôt décide finalement de valider la construction de la route de La Plagne, mais à une seule voix de majorité. Fernand Costerg, comme beaucoup, a pensé “qu'il s'agissait de la voix prépondérante du Maire.” Le dernier obstacle est levé : La Plagne aura bien une route neuve qui doit être, selon le cahier des charges, “large, de pente douce et régulière, accessible toute l'année, et répondant aux besoins urgents d'une circulation touristique intense.”
En quelques semaines l'ingénieur Siméon, des Ponts et Chaussées du canton d'Aime, propose un projet de tracé : 21 virages, 16 kilomètres de long, 6 mètres de large et une pente moyenne de 8 %. Cette route est déclarée d'utilité publique par la Préfecture, ce qui ouvre la voie au rachat négocié des terrains nécessaires. Les Ponts et Chaussées et les Maires sont à la manœuvre, et la procédure s'accélère. Le 20 Avril 1961, le Dauphiné Libéré fait le bilan de ces mois de tractations : “Les promoteurs de la station voulaient aller vite. (...) On se rend aisément compte de la somme de labeur fournie par les services des Ponts et Chaussées, dont le rôle dépassa largement le cadre d'un tracé de route. (...) Les diverses administrations, collectivités et sociétés intéressées ont compris l'intérêt qu'une telle réalisation ne peut manquer d'apporter.” En quelques semaines, tous les propriétaires donnent leur accord de principe. Il n'y a plus aucune opposition. Aucune expropriation n'est nécessaire.
Travaux de revêtement de la route en 1962
(Photo Jean Plouton)
Il faut maintenant construire, passer du virtuel au réel. Et la route est un défi en soit. La financer va être aussi difficile que de convaincre les propriétaires d'en céder l'emprise. Son coût a été estimé à 2,2 millions nouveaux Francs, entrés en vigueur en 1960 (ce qui équivaudrait aujourd'hui à 3,5 millions d'Euros). Or, le budget annuel de la commune de Macôt n'est que de 600.000 Francs.
Tout se décide lors du Conseil municipal du 28 Février 1961. La commune dispose immédiatement de 200.000 Francs, auxquels s'ajoutent 100.000 Francs pour les coupes de bois prévues dans l'année. Il lui faut encore trouver 1,9 millions de Francs. La Peñarroya s'engage à verser 500.000 Francs et l'administration des Eaux et Forêts à débloquer un prêt de 800.000 Francs. Une route neuve facilitera considérablement l'exploitation de la Mine, comme celle de la forêt de Macôt. La commune peut également prétendre à des subventions, mais elles sont bien maigres (à peine 60.000 Francs). Tous ces prêts et ces aides sont échelonnés sur plusieurs années, et la somme disponible dans l'immédiat est insuffisante. Or la station doit ouvrir en Décembre. Pour payer le chantier qui doit démarrer rapidement, Macôt doit emprunter, à court terme, l'essentiel de la somme. “Son budget ne le lui permettait pas.” rappelle Gilbert Vivet-Gros. “Alors le Syndicat Intercommunal est venu apporter sa caution à la commune : il fallait pour cela que chaque Maire fasse valider cet engagement par son Conseil municipal.” Autrement dit que les Aimerains ou les Bellentrais, se portent garants, sur leurs impôts, d'une route Macôtaise... Un pari risqué, en tout cas extrêmement audacieux, lorsqu'on connait les dissensions entre les habitants ! Ça ne pose aucun problème à Aime, mais à Bellentre c'est une autre affaire. “Auguste Mudry, Maire de Bellentre, et ancien député communiste de la Savoie a sans doute présenté cela un peu brutalement à son Conseil qui a refusé tout net. Les élus ne voulaient pas servir de caution à une commune plus riche que Bellentre.” Gilbert poursuit : “Je me rappelle très bien avoir vu arriver Mudry, un jour de réunion à Aime. En allant vers Albert Perrière, il lui a dit : Albert ! Mes conseillers ont refusé de t'apporter la caution pour le prêt, mais je mettrais une hypothèque sur mes propriétés”. La semaine suivante, après un nouveau vote, le Conseil municipal de Bellentre donne enfin son accord. La caution est acquise, le financement bouclé.
En Mars, deux premiers hectares de terrains situés à La Plagne ont été cédés, dans le cadre d'une convention avec le Syndicat intercommunal, à deux sociétés : la Société d'Aménagement de La Plagne et la Société Foncière de La Plagne, au prix de 50 centimes le mètre carré.
Michel Bezançon en 1965
(Photo Michel Bezançon)
L'une a pour mission d'aménager les pistes et les remontées mécaniques, l'autre de construire les bâtiments et de rechercher des investisseurs. On fait appel à Michel Bezançon, jeune architecte urbaniste de 27 ans : “j'avais déjà fait plusieurs études d'urbanisme en Maurienne, notamment à Lanslevillard, pour imaginer les transformations liées à la construction du barrage du Mont Cenis. L'entrepreneur avec qui je travaillais alors m'a mis en contact avec Michaud. C'est lui qui m'a emmené à la Plagne, et j'ai commencé à travailler sur le sujet. Peu d'architectes croyaient alors à l'aménagement de la montagne. Moi je venais de monter mon agence, et je n'avais rien à perdre !” Le premier plan d'urbanisme global présenté par Michel Bezançon prévoit la construction de 36.000 lits. Il a projeté les aménagements sur plus de 20 ans, avec des stations, des pistes et des remontées mécaniques sur les quatre communes. Cette ambition avait déjà été révélée avec la présentation de la maquette en 1960. “Mais lorsque Borrione a vu ça” raconte Michel Bezançon “il a été effrayé ! Toutes ces stations, avec des routes qui venaient de partout, des dizaines de remontées mécaniques, c'était fou ! Alors il a pris mes plans, et il les a cachés. Il m'a demandé de ne faire qu'un petit projet d'aménagement du plateau de La Plagne. Il m'a dit ensuite : on verra le reste dans dix ans !” Jusqu'au milieu des années 1980, le développement de La Plagne s'est fait selon ce premier plan, à quelques changements près. Michel Bezançon a conçu, d'année en année, neuf des onze stations.
Les dernières procédures administratives avant le début des travaux sont validées le 14 Avril 1961, dans le chalet de Gilbert Vivet-Gros. La présence, lors de cette réunion, du Préfet Maurice Grimaud et de tous les chefs de service de la Préfecture montre toute l'importance du projet pour le département.
L'Entreprise Moderne de Bâtiments et Travaux Publics, de Challes-les-Eaux près de Chambéry, propose le prix le plus bas, et remporte les marchés de construction des premiers bâtiments et des deux-tiers de la route. “La Moderne faisait des routes en Maurienne, dans les Hautes-Alpes, et lorsque j'en deviens le Directeur, elle démarre les travaux de La Plagne. Son patron, M. Janoski, voulait investir dans ce projet et avait déjà rencontré tout le monde” se souvient Jacques-Yves Bérard, qui fait ainsi connaissance avec La Plagne.
Les travaux de la route commencent en Mai. Les seize kilomètres de chaussée doivent impérativement être tracés pour le mois de Décembre. Même si elle n'est pas entièrement revêtue, comme on le pressent, elle sera bien plus facile que celle de la Mine pour monter jusqu'au plateau de La Plagne. Là-haut, il n'y a rien, mis à part deux halles à vaches, dont la commune demande la conservation jusqu'en 1962. On a prévu de construire deux hôtels, un premier bâtiment commercial pour accueillir un snack et deux remontées mécaniques. Il faut également ajouter des chalets pour loger les ouvriers, un lieu de restauration, et un bâtiment pour la fabrication des parpaings et des poutrelles en béton. Le tout à réaliser en quelques mois à peine.
Les travaux au début de l'été 1961
(Photo Jean Plouton)
A l'automne, Jean Plouton, se rend à La Plagne pour une visite du chantier. Il en fait un récit enthousiaste, comme à son habitude, dans le Dauphiné Libéré du 23 Octobre 1961, sous le titre “La jeune station de La Plagne-Macôt engage une course contre la montre”. Il écrit : “Ouvrir deux hôtels de 24 et 30 chambres, un snack pouvant accueillir 120 personnes, deux remontées mécaniques et permettre à 300 skieurs de se livrer à leur sport favori : tel est l'objectif que se sont fixés les réalisateurs. Il nous a été donné de nous rendre compte de la rapidité avec laquelle les travaux sont menés. (...) Un premier hôtel reçoit actuellement son installation intérieure (…) Le chauffage central fonctionne. (…) Les sept chalets sont en cours de finition et deux servent actuellement de cantonnement aux quatre-vingts ouvriers qui bénéficient de tout le confort moderne : eau chaude, douche, télévision…” Le gros-œuvre est achevé, les bâtiments couverts, et il ne manque que trois kilomètres pour achever la route. Tout cela a été fait en un peu plus de trois mois. Il faut dire que les ouvriers ont travaillé jour et nuit, avec acharnement, dans des conditions extrêmement dures, éclairés la nuit par d'immenses projecteurs. D'ailleurs, un des responsables qui accueille le journaliste compare son chantier à “un son et lumière”. En cette fin Octobre, l'optimisme est de mise, d'autant que le plus difficile est derrière eux. Avant de construire, il a fallu acheminer sur place, par l'ancienne route, plus de 1.000 tonnes de ciment, un rôle dévolu aux Latil de Marius Bérard. On a préféré fabriquer sur place les 80.000 parpaings et les 1.500 poutrelles nécessaires plutôt que de les faire monter au fur et à mesure. La météo est leur seule inquiétude. Jean Plouton continue : “Déjà, avec les premiers froids, la neige a fait son apparition et recouvre le plateau d’une couche de 30 cm. Sans arrêter les travaux, elle les ralentit.” On lui a peut-être caché un incident, dont se rappelle très bien Michel Bezançon : “En Septembre, il est tombé 30 cm de neige. Les ouvriers, qui étaient marseillais, ont pris leurs affaires et ont menacé de partir !” On parvient à les raisonner, mais si les conditions météo se dégradent encore, rien ne garantit la poursuite du chantier. C'est donc toujours un marseillais qui accueille Plouton en Octobre.
Inauguration de la route en Octobre 1961, notamment
par MM Perrière et Borrione
(Photo SHAA)
Tout va pourtant s'arrêter très brutalement. L'Entreprise Moderne est étranglée de dettes, à cause de chantiers dans le Sud de la France pour lesquels elle n'a pas été payée. Incapable de poursuivre, elle doit cesser son activité à La Plagne et demander dans la foulée la résiliation de ses marchés. Elle déposera le bilan en 1962.
Les chantiers s'arrêtent nets à quelques semaines seulement de l'ouverture, prévue pour Noël. La route n'est pas achevée, les bâtiments ne sont pas encore terminés. C'est un coup très dur pour les entreprises locales qui se sont lancées dans l'aventure, et qui risquent maintenant la faillite : “entre les charpentiers, les plombiers, les zingueurs..., il y a des dizaines d'entreprises, qui, à leur tour commencent à boire la tasse, puisqu'ils n'ont pas été payés” raconte Jacques-Yves Bérard. Parmi ces pionniers, les Charpentes Montmayeur, les Menuiseries Gal, les Transports Bérard, ou encore les gérants de la cantine : Joseph Duchosal, René Montmayeur et Jean Prévost. “Nous voulions investir dès le départ” rappelle Joseph. “Nous avons pris la gérance de la cantine et nous en étions les fournisseurs. Elle était tenue par M. Pompigni, un parisien. Lorsque la Moderne a fait faillite nous avons beaucoup perdu...” Cette période est aussi très dure pour ceux qui portent le projet depuis des années. C'est un souvenir terrible pour Gilbert Vivet-Gros : “On frôlait les murs. Tous ceux qui avaient été contre La Plagne ne se gênaient pas !”
Maurice Michaud est immédiatement averti de la situation, et se met à la recherche d'une solution. Il est inimaginable qu'un si beau projet s'effondre aussi lamentablement. Il faut absolument terminer le chantier et lancer la station. L'ingénieur réunit une dizaine de grandes entreprises du bâtiment de Savoie : Botto, Ratel, Oliva, Pegaz & Pugeat..., et exige qu'elles reprennent, sous la forme d'un consortium, la suite de la Moderne presque toutes affaires cessantes. Voyant leur peu d'enthousiasme, Maurice Michaud va jusqu'à les menacer : en cas de refus, il fera son possible pour les priver des juteux contrats de l'État. Les entrepreneurs n'ont guère le choix : on dit rarement non à Maurice Michaud. Louis Pugeat, président du Syndicat des entrepreneurs de Savoie, reprend provisoirement la direction du chantier. Jusqu'en 1963, il est Président de la Société d'Aménagement de La Plagne, qui n'est alors qu'une SARL. Il fait appel à Jacques-Yves Bérard : “Il avait besoin de quelqu'un qui puisse s'occuper de tout ça. Comme j'étais assez connu de ces entrepreneurs, je suis devenu Directeur de la SAP. Je devais faire avancer un petit peu le chantier, pour lequel il n'y avait plus de sous, alors qu'en parallèle démarrait toute la procédure de contentieux.”
Robert Legoux en 1960
(Photo ?)
Tous savent pourtant que pour assurer le développement de la station à plus long terme, il faut un investisseur solide. Louis Pugeat se tourne naturellement vers le Comptoir Central du Matériel d'Entreprise (CCME), la banque d'une grande partie des entreprises du consortium. En Octobre 1961, son directeur-général, Robert Legoux, âgé de 37 ans, vient visiter La Plagne, pour se rendre compte de la situation. C'est son premier projet à la montagne. Le site lui plaît tout de suite. Il rencontre les élus, l'architecte et décide de s'engager pleinement dans l'aventure.
Le premier dossier qu'il doit gérer est celui des créanciers. C'est, dans les souvenirs de Jacques-Yves Bérard, un très grand moment : “Robert Legoux réunit les créanciers dans une salle des fêtes de Chambéry, en présence de tous les maires. En quelques phrases extrêmement simples, Legoux parvient à les rassurer. Ils n'ont sans doute pas retenu grand-chose du discours, mais ils ont senti la confiance dans son regard et dans ses gestes. La réunion a duré trois-quarts d'heure, maximum. Et tous ont eu la certitude qu'ils seraient payés. J'ai appris ce jour-là ce qu'était la communication.” Le plus dur reste pourtant à faire : pour Jacques-Yves Bérard, il faut instruire les 350 dossiers, factures à l'appui et verser à chacun son dû.
Puis, il faut négocier la convention de concession et définir le rôle de chacun. Une dizaine d'années après, Robert Legoux retrace cette période : “Peu importe (...) de savoir qui sera propriétaire de quoi. Ce qui importe c'est de faire aboutir, non pas à tout prix - on est en économie de marché - mais par tous les moyens, des projets dont on sait maintenant qu'ils sont financièrement très difficiles. (...) Les paysans savoyards ne s'y sont pas trompés en appelant “gros moteur” celui qui va se trouver aux prises avec les réalités techniques (...), commerciales (...) et financières. (...) C'est l'intervention systématique de la promotion immobilière dans la création des stations qui caractérise la “troisième génération”, celle où la même équipe contrôle non seulement les remontées mécaniques et le plan d'urbanisation, mais, en outre réalise la construction de la station et organise son animation. La deuxième génération était celle de la station “concertée”, la troisième est celle de la station “intégrale”. Elle est née avec La Plagne.
L'intervention de Robert Legoux aura été déterminante : il reprend la Société d'Aménagement de La Plagne, la transforme en société anonyme, fait entrer au capital les entreprises de bâtiment locales, puis des banques. Il sauve la station d'une liquidation avant même son ouverture. Il se lie vite d'amitié avec les Maires, et redonne confiance aux pionniers. “La Plagne a pu continuer grâce à lui. Il a été une sorte de mécène. Il a été l'aménageur, mais n'avait aucune volonté de s'enrichir, et il a porté à bout de bras tout le développement de la station” rappelle Edmond Blanchoz. Borrione est le créateur, Legoux le mécène, les deux hommes sont décisifs pour la station de la Plagne.
Chronique de la station au Bonnet rouge : 1961-1970 : la décennie des pionniers
La Plagne durant la saison 1961/1962
(Photo du fonds André Martzolf)
Décembre 1961
L'ouverture officielle a été fixée au Vendredi 22 Décembre. Il n'a pas été prévu d'inauguration, mais Pierre Borrione prononce un discours en mairie de Macôt. Les hôtels s'apprêtent à accueillir leurs premiers clients : le Christina (trois étoiles) et les Mélèzes (deux étoiles) sont à peine terminés. Jacques-Yves Bérard, appuyé par Maurice Michaud et même par le Préfet Grimaud en personne, a sollicité quelques semaines plus tôt Marcel Burnet qui préside la fédération des hôteliers de Savoie. Il dépêche ses deux fils Paul et Jean-Pierre pour prendre la tête des hôtels. C'est un signe de confiance sans pareil dans les possibilités de La Plagne. Paul Burnet, à qui on a confié les Mélèzes, se souvient de son arrivée : “c'était encore en chantier, il a fallu parer au plus pressé, et déballer la vaisselle aidés par les clients !” Son frère Jean-Pierre, qui arrive au Christina, raconte : “Je suis monté le 11 Décembre. Le toit était posé, mais il n'y avait pas grand-chose à l'intérieur ! Et pourtant nous avons ouvert...” Jacques-Yves Bérard ajoute : “Tout a été livré à H-1, au moment où les premiers clients étaient amenés par Bérard !” On peut aussi loger dans un appartement aux Isbas. Au total La Plagne offre 200 lits. Les premiers clients viennent grâce au bouche à oreille, aux nombreux articles de journaux de la presse locale ou après avoir pris contact au seul numéro de téléphone en service à La Plagne.
Pour ceux qui découvrent la station à ce moment-là, la première impression est plutôt insolite. Joseph Duchosal, qui monte peu de temps après l'ouverture s'en rappelle : “Il y avait de la boue partout... C'était abominable. On n'avait pas vraiment l'impression que la station était ouverte !” La route n'est pas revêtue, aucun véhicule léger ne peut s'y aventurer, et sur le plateau le faible enneigement laisse encore voir le sol fraichement bouleversé par les terrassements. Un bâtiment aurait dû accueillir les premiers commerces, mais la faillite de la Moderne a reporté sa construction. Ils s'installent donc dans le hangar où étaient fabriqués les parpaings, tout juste débarrassé de la poussière de ciment.
Serge Gostoli
(Photo du fonds André Martzolf)
Serge Gostoli installe son magasin Serge Ski, et les époux Lauvergniat, propriétaires de l'hôtel des Alpes à Aime ouvrent le snack-bar, que va tenir leur fille Michèle. “Je montais tous les jours avec un chauffeur et je tenais le bar seule. A Pâques il y a eu du monde, les Isbas avaient été loués à de jeunes étudiants. Le dimanche, on préparait des repas, on montait le pain et on faisait des sandwiches. Le soir, les gens de l'hôtel venaient, ils consommaient et ils dansaient à un endroit où le sol était bien lisse.” Et pourtant nous sommes à 2000 mètres d'altitude, dans un hangar provisoire, ouvert à tous les vents...
Le domaine skiable est encore modeste : deux téléskis et quatre pistes. Le Biolley permet aux skieurs de monter jusqu'à 2350 mètres, et le petit téléski de la Lovatière dessert le front de neige et permet l'initiation des débutants. Ils ont été installés par Montaz & Mautino, l'entreprise phare de l'époque, qui va construire jusqu'à la fin des années 1960, la quasi-totalité des remontées mécaniques Plagnardes.
Albert Eysseric, du Dauphiné Libéré, qui avoue avoir été sceptique que la station puisse ouvrir pour les fêtes, salue la “performance”. Il se fait même élogieux à propos du Christina : “il faudrait des pages, et la place nous manque, pour en décrire le confort douillet, l'élégance et l'harmonieuse disposition.” L'enthousiasme des responsables de la station est réel : Jacques-Yves Bérard informe le journaliste qu'il a reçu “une soixantaine de demandes pour construire” et lui parle déjà des stations satellites ! Quant au directeur de l'École de ski, M. Guillemot, il annonce fièrement “que l'on pourra skier à La Plagne jusqu'au mois de mai.” Dans le même journal, Jacques Morlins écrit, le 30 Décembre 1961 : “La Plagne-sur-Aime (sic), station prodige du Nouvel An, étrenne ses pistes vierges et ses installations toutes neuves. (...) Après avoir visité les travaux en cours, au début de Novembre, j'écrivais dans cette même page “On skiera à La Plagne cet hiver”. Ma certitude était moins fondée sur l'avancement des installations que sur la foi ardente, la volonté obstinée, que j'avais constatée chez tous les réalisateurs de la future station (...).
La façade de la buvette en 1962
(Photo Michèle Collet-Lauvergniat)
Bien que la route n'arrivât même pas au cœur du plateau, bien que les hôtels fussent loin d'être habitables, pas un de ces hommes ne doutait qu'on puisse ouvrir les pistes pour le premier jour de l'année nouvelle. Et les clients avaient sans doute la même confiance, eux qui retenaient déjà les chambres que maçons, menuisiers et plâtriers occupaient encore...” Et d'évoquer, lui aussi, les perspectives immenses d'agrandissement du domaine skiable.
L'ouverture de la station est rien moins qu'un miracle lorsqu'on songe à la situation de l'automne. Avec le recul, Michel Bezançon constate que “La Plagne a démarré dans des conditions impensables ! On ouvrait à peine les premiers hôtels alors qu'ils n'avaient toujours pas obtenu leurs permis de construire ! D'ailleurs il y a eu une plainte contre un des hôtels, mais les gendarmes ne l'ont jamais vu ! Ils ont fini par le trouver quand le permis a été délivré, trois mois après !... Il y avait une vraie complicité avec l'administration...” La convention entre le syndicat intercommunal, les communes et la SAP n'est même pas encore signée : elle doit l'être le 24 Décembre. Jacques-Yves Bérard s'en souvient bien, car elle donne lieu à un épisode épique : “Après une demi-heure de discussion, au moment de signer, le Président Pugeat referme son stylo et dit qu'il ne signera pas dans ces conditions ! C'était un fin négociateur, et il voulait obtenir plus de garanties et de facilités. On a rediscuté, puis on a signé dans la nuit de Noël.”
Au bout de quelques semaines, en pleine nuit, la conduite d'eau qui alimente la station gèle. On réveille Jacques-Yves Bérard : “Je suis monté à 2h du matin avec Jean Crétier pour voir pourquoi il n'y avait plus d'eau. Jean a été un personnage majeur : il était au sens le plus noble du terme l'homme à tout faire. Dieu merci, nous n'avons pas eu de problème médical, on aurait eu quelqu'un de malade, il mourrait sur place !”
La Plagne durant la saison 1961/1962
(Photo du fonds André Martzolf)
1962
Le bilan de cette première saison est très positif : une clientèle au rendez-vous, des hébergements souvent pleins... Dans le Dauphiné Libéré du 4 Mai, Jean Plouton écrit : “Avec les vacances de Pâques, la nouvelle station bénéficiant d'un enneigement remarquable, connut une affluence record. Hôtels et chalets étaient combles, mais, comme le disait un hivernant : La Plagne est une station magnifique, le tout est d'y accéder !”
La route de La Plagne en 1962
(Photo Jean Plouton)
Comme on aurait pu le prévoir, la portion de route non revêtue n'a pas résisté au rapide dégel qui suit d'abondantes chutes de neige. Fin Avril, une partie s'affaisse, et les véhicules sont bloqués dans soixante centimètres de boue. Arriver ou quitter La Plagne est impossible. Le Lundi 30 Avril, lendemain de Pâques, on décide d'évacuer la station et on mobilise les grands moyens : l'entreprise Bérard met à disposition, pour tracter les véhicules, ses Latil et ses chauffeurs. Lulu Ougier est de la partie : “je tirais 7 ou 8 voitures et je transportais aussi, à l'arrière, Siméon, le directeur des Ponts et Chaussées, et Burnet, le patron des hôtels...
L'ambiance était très tendue, et ils ont fini par s'engueuler !” L'hôtelier aurait-il accusé l'ingénieur d'une perte de chiffre d'affaire ? C'est en tout cas une fin de saison brutale et hors du commun... La route aura décidément causé bien des tourments depuis 1960 ! Cet épisode n'est pas isolé : l'accès a été perturbé à plusieurs reprises depuis le 22 Décembre. “Nous devions exploiter une route dans la boue !” raconte Fernand Costerg. “Dès le début il a fallu aider les gens à monter, pousser les voitures... Moi, j'avais une Ondine Renault, à traction arrière... Il fallait que je mette un sac de sable dans mon coffre pour la lester, sinon je n'avançais pas !”
Les six mois qui suivent sont, pour Michel Bezançon, l'occasion d'une “complète remise en ordre”. En fait jusque-là on a beaucoup improvisé, imaginé et mis en œuvre dans l'urgence. Il faut régler les questions administratives, faire venir des commerçants, et terminer les travaux qui auraient dû être faits en 1961.
Le Dauphiné Libéré s'en fait l'écho dans son édition du 13 Septembre 1962 : “D'importants travaux (...) donnent à La Plagne son vrai visage de belle station. (...) Le visiteur débouchant aujourd'hui sur le plateau envahi par l'armada bourdonnante des engins de toutes sortes, ne peut cacher sa surprise devant l'ampleur des travaux accomplis. (...) L'hiver dernier la route n'était qu'un chemin cahoteux le plus souvent recouvert de boue et accéder à La Plagne tenait certains jours de l'exploit.” Enfin goudronnée dans sa totalité, la route change le visage de la station. C'est une révolution et “le paradis !” pour Edmond et Suzette Broche, mais aussi la fin des anciennes solidarités entre les habitants de la Mine et du ravitaillement collectif par le câble.
Les travaux de terrassement engagés sur le plateau sont colossaux. Il faut aplanir le front de neige, canaliser et combler le lit du ruisseau de la Lovatière, qui, en passant entre le Christina et le téléski du Biolley, compliquait la vie des skieurs. Le paysage est transformé.
La Maison de La Plagne avant 1965
(Photo du fonds André Martzolf)
Le petit téléski de la Lovatière est supprimé, on détruit la halle aux vaches ainsi que le hangar de parpaings.
A 200 mètres du Christina, on construit, avec un an de retard, le premier bâtiment commercial : la Maison de La Plagne, où l'on trouve aujourd'hui le restaurant “le Chaudron” et le tabac-presse. Sur près de 600 m² et 2 niveaux, elle doit abriter l'école de ski, et tous les services de la station : les bureaux de la SAP, l'office du tourisme et plusieurs commerces, dont celui de Jacques Paviet : “Mon père a ouvert une alimentation” raconte sa fille Laurette. “Il était fromager de métier. Nous n'étions ni Macôtais, ni Aimerains, nous venions de Centron. Quand mes parents s'étaient installés à Macôt en 1960, cela avait déjà fait scandale ! Alors être l'un des premiers à monter à La Plagne...! Dans la Maison de La Plagne, à côté de nous il y avait Serge Ski. Au-dessus il y avait le bar de Lucette Botto, l'école de ski, le petit local de la Banque Populaire, un bureau de vente et de promotion de La Plagne”. La Maison de La Plagne est un lieu à tout faire, où l'on projette même des films ! Les parents de Michèle Lauvergniat sont les seuls à ne pas reprendre de commerce : “en 1962/1963, nous n'avons pas eu l'autorisation de remonter. Papa [Roger Lauvergniat] avait fait des plans avec Bezançon pour créer un garage-bar-restaurant à l'entrée de la station. Tout était prêt, mais en Janvier 1964, mon père s'est tué en voiture”.
Pour diriger l'école de ski on fait appel à une pointure : Pierre Leroux. “La Société d'Aménagement de La Plagne détenait la plupart des activités : immobilier, commerces, remontées mécaniques et une école de ski qui n'en était pas encore vraiment une” raconte Pierre Decharne, l'actuel directeur. “La SAP a fait venir Pierre Leroux qui était alors à Méribel. On lui a demandé de créer une véritable école, et il l'a voulue totalement indépendante du promoteur.” C'est un grand nom de l'alpinisme qui arrive à La Plagne. Leroux est aussi nommé directeur sportif. Un vrai “coup” médiatique : l'alpiniste vient de gravir le Jannu, compte des centaines d'ascensions de sommets alpins et plusieurs 8000 à son actif. Il est probable que Pierre Leroux ait inspiré le nom des immeubles de La Plagne : Shangri-La, Nanda-Devi, Jannu, Everest... “La Plagne cherchait un sportif de renom... Elle l'a trouvé ! C'était un grand personnage Pierrot !” note Jean Ratel, son beau-frère, avec beaucoup d'émotion.
La Plagne en 1963
(Photo du fonds André Martzolf)
Jean Ratel n'a pas été appelé par les dirigeants de La Plagne : son arrivée, en Novembre de la même année, est un peu le fruit du hasard, mais il va vite devenir incontournable. “Je travaillais pour la Banque Populaire Savoisienne, qui devait ouvrir une agence à La Plagne, notamment pour aider les premiers commerçants à s'installer. Mon patron m'a choisi, car j'étais le plus sportif des employés ! Je faisais déjà beaucoup de ski et de montagne.” Il prend la direction de la première agence bancaire, indispensable à une station qui démarre. Chaque employé de la station ou des commerces doit y ouvrir un compte pour être payés, et parallèlement, les commerçants ont besoin de fonds pour lancer leur activité. “Avant de venir, j'ai dû être formé à Paris pour bien aider les gens à constituer leur dossier de crédit. Je crois que mes premiers prêts ont été accordés à Serge Gostoli et à Jacques Paviet”. Jean ouvrira aussi le compte d'Arlette, sa future épouse, en lui prêtant ses cinquante premiers Francs. Monique Plouton confirme : “On a tous débuté avec la Banque Savoisienne !” Celle qu'on appelle plus volontiers “Mimi”, est la première postière de la station. Elle tiendra avec son époux, Jean Plouton, le bureau jusqu'à sa retraite. Quant au facteur de Macôt, Firmin Vivet, il fait durant les premières années sa tournée à pied depuis Macôt.
La deuxième saison arrive vite, après ces quelques mois de travaux et de réorganisation. En Décembre, les skieurs découvrent deux nouvelles remontées, les téléskis du Z et le Télé-École, ainsi que quatre nouvelles pistes, dont une à la découverte des “Colorados”, autrement dit les canyons du massif de la Grande Rochette. La station édite pour la première fois un dépliant en couleur, qui vante le “merveilleux décor de montagne et de neige”, et invite les skieurs “face au Mont-Blanc” sur des “pistes ouvertes au soleil et à la joie” pour vivre “d'inoubliables heures blanches.” Il a été confié à l'agence de publicité Havas. L'entreprise publique participe comme il se doit à l'effort national pour développer le tourisme de montagne et va gérer la communication de la station pendant des années.
Pour populariser La Plagne on s'appuie sur son principal atout : son ensoleillement exceptionnel, vanté par Emile Allais dès 1960. Le premier logo est donc un soleil anthropomorphe, qui arbore un large sourire et des pommettes saillantes. De son gant de ski, il pointe du doigt la direction de la station.
Le premier logo de La Plagne
(Document du fonds André Martzolf)
Chose amusante, l'altitude est aussi mentionnée sur le dépliant : 1962 mètres. Très pratique pour lancer une station juste avant l'année 1962. Une coïncidence qui n'a rien de fortuit dont la presse se fait l'écho. L'année suivante, grâce aux travaux de terrassement, on passe à 1963 mètres. L'altitude réapparaitra sur la brochure de l'hiver 1969/1970... et ce sera bien entendu 1970 mètres !
Gilbert Vivet-Gros devient président - bénévole - du Club des Sports de La Plagne. Cette nouvelle structure accompagne la naissance de la station, et prend le relais du Ski-club des Mines. Gilbert Vivet-Gros en fait une vitrine sportive, aidé par Max Jannot, Paul Bellemin, l'instituteur de Macôt, Ginette Crétier, Tom Mongellaz, l'entraîneur, Bernard Murzilli au chronomètre, Michel Albertone au micro de toutes les animations sportives, et bien d'autres volontaires... La première réussite du Club est d'avoir établi un lien entre les habitants locaux et la nouvelle station grâce à leurs enfants. “Nous voulions intégrer la jeunesse de la vallée et les faire venir skier à La Plagne. On a par exemple financé les cars qui montaient les élèves des écoles de Macôt et d'Aime...” explique Gilbert. “On a pris en main les enfants de Macôt. On les emmenait avec Bellemin tous les mardis après-midi, dans le cadre des cours” ajoute Fernand Costerg. “Ceux d'Aime sont montés quelques années plus tard. Parmi tous ces gamins qui sont venus découvrir La Plagne, il y avait de très bons skieurs, et les meilleurs entraient au Club des Sports.”
Gilbert Vivet-Gros va aussi recruter les meilleurs champions des communes alentours, tel Noel Grand, natif de Seez, qui intègre le Club des Sports de La Plagne en 1963 : “J'étais privilégié, avec des conditions de travail les meilleures possibles. Je pouvais m'entrainer comme je voulais, aller en compétition quand je le souhaitais...” Repéré par la Fédération, mais victime d'une blessure, Noel ne peut intégrer l'équipe de France première. Il s'aiguille donc vers la carrière d'entraineur aux côtés de Jean Béranger et d'Honoré Bonnet dès 1970, avant de terminer sa carrière comme directeur sportif de l'équipe masculine.
Couverture du programme
du Grand Prix 1963
(Document Jean et Arlette Ratel)
Portant un pull-over bleu marine strié d'une bande jaune, les membres du club sont “chargés de toute l'animation de La Plagne” raconte Gilbert. “Le club s'est occupé de tout pendant des années : du stade de slalom, du kilomètre lancé, de la piste de vitesse...” Dès la première saison, il organise un Grand Prix qui réunit la plupart des champions locaux, et mêmes quelques vedettes du ski Français, comme Marielle Gœtschel, championne du Monde, et sa sœur Christine. Il propose aussi divers concours entre résidents vacanciers et permanents, où l'on vient avant tout s'amuser, comme la Course des familles. Cet événement fédérateur va durer des années. Chaque année au mois de Juin, un séminaire de quelques jours était organisé pour définir l'ensemble de l'animation de la saison suivante. Gilbert Vivet-Gros affirme “ que tout ce qui avait été arrêté était appliqué à la lettre.” Dans “La Plagne de A à Z”, Yves Nouchi écrit : “avant La Plagne il n'y avait rien, alors il fallut tout créer. Il y a d'abord l'animation de jour, qui donne vie aux pistes et aux installations sportives. C'est, ici, le travail du Club des Sports de La Plagne qui, été comme hiver, réalise, je le reconnais volontiers, des tours de force. On vient même de partout pour copier. Qui aime le sport et les activités physiques, ne s'ennuiera jamais à La Plagne.” Et il faudrait être exigeant ! Le programme est déjà très complet : patinage, natation, curling, snow-kart, luge, ping-pong, tennis, pétanque, été comme hiver, et évidemment toutes les pratiques de ski.
1963
L'année 1963 commence sous les meilleurs auspices. Au cœur d'un des hivers les plus rigoureux que la France ait connu, La Plagne affiche, comme la plupart les stations alpines un enneigement remarquable. Signe que la réputation de la jeune station est déjà faite, des clients de Courchevel pressent le pilote Michel Ziegler, responsable de la Compagnie Air Alpes de les emmener à La Plagne, à la découverte de pentes nouvelles. Contrairement à ce que l'on a pu lire par ailleurs, les premières liaisons aériennes n'ont pas eu lieu lors d'un hiver sans neige. C'est bel et bien l'attrait de la nouveauté qui pousse ces clients à demander une dépose à La Plagne. Air Alpes assure déjà, depuis l'année passée, des liaisons régulières depuis Lyon ou Genève vers Méribel et Courchevel, ainsi que des liaisons inter-stations à la demande. Il accepte d'ajouter une desserte de La Plagne, et prend contact avec Jacques-Yves Bérard, qui est aussi demandeur, pour organiser un premier voyage : “Je suis allé le voir à Courchevel, il m'a fait monter dans son avion, nous avons fait un tour du massif, et il a repéré les endroits où il pourrait se poser...”
Pilatus d'Air Alpes en 1963
(Photo fonds André Martzolf)
La première traversée aérienne est relatée par Jean Plouton dans le Dauphiné Libéré : “Lundi 14 Janvier 1963, il est 8h40, il fait -20°, l'air est d'une pureté exceptionnelle, le soleil envahit peu à peu le cirque de montagnes. Un vrombissement déchire l'air, un Piper aux couleurs vives survole la station, prend le vent et se pose sans heurt, soulevant un fin nuage de poudreuse. La piste d'atterrissage : Pierre Leroux, directeur sportif, les dameurs et pisteurs de la station, l'ont préparée et balisée. Les pilotes Merloz et Ziegler descendent. Ils sont partis de Courchevel huit minutes plus tôt, profitant des conditions atmosphériques particulièrement favorables. Emile Allais a tenu à y assister, il se pose lui aussi sur les flancs du Biolley à dix heures.”
Quelques jours plus tard, un second article de Jean Plouton relate un nouveau voyage. On comprend que cette liaison aérienne ouvre, déjà, des perspectives intéressantes : “elle permettra - et c'est là le but principal - aux skieurs de Courchevel, Val d'Isère ou Méribel, sur un simple appel téléphonique à Air Alpes, d'être quelques dix minutes plus tard skis aux pieds sur les pistes de La Plagne.” L'article évoque le prix, même s'il n'est pas encore arrêté, de 15 Francs pour la liaison avec Courchevel. A titre de comparaison, le prix d'un forfait journée était alors de 10 Francs. La Plagne en tire profit dans sa communication : dès l'hiver suivant la brochure invite les skieurs à “battre tous les records en prenant l'avion”. L'altiport se situe d'abord sur le replat du Biolley (là où est construit Aime-la Plagne), puis est définitivement aménagée sur le Dou du Praz en 1964. La piste mesure alors 300 mètres de long, 25 mètres de large pour 14 % de pente moyenne. Le Piper cède alors la place au Pilatus qui peut transporter sept passagers et La Plagne intègre pleinement le réseau Air Alpes, en bénéficiant de liaisons quotidiennes avec Genève, et régulières avec Lyon, puis en 1967 Nice et même Paris avec escale à Chambéry. Cette liaison va prospérer quelques années, malgré son coût. Il faut par exemple compter 140 Francs pour relier Genève en 1966 (ce qui représenterait aujourd'hui 176 Euros), l'équivalent du forfait pour huit journées de ski. Dès le début des années 1970 cependant, les liaisons régulières s'interrompent au profit de liaisons sur demande. L'altiport sert alors surtout pour des déposes sur glacier et des promenades panoramiques. L'absence de route d'accès devient un handicap pour le développement de l'altiport qui cessera son activité au début des années 1980.
Dans le Dauphiné Libéré du 14 Mai 1963, Jean Plouton fait un bilan plus qu'élogieux de la deuxième saison : “Un succès. Le nombre important d'hivernants qui séjournèrent dans ses hôtels confortables le prouve. Unanimement, tous furent séduits par la beauté naturelle de ce site incomparable, et par l'ampleur du panorama découvert. Séduits aussi par son climat (...) et la qualité exceptionnelle de la neige poudreuse jamais glacée.” Grâce à sa réputation de station nouvelle qui offre tout le confort moderne à 2000 mètres d'altitude, La Plagne attire déjà nombre de personnalités de la scène, des médias et de la politique. Et ce n'est qu'un début. Pour cette saison, on peut citer : Sylvie Vartan, “l'idole des jeunes”, le ministre François Missoffe, qui a acheté à La Plagne fin 1962, et surtout Gaston Monnerville, Président du Sénat de 1959 à 1968, qui deviendra un habitué.
L'Orée des Pistes en 1964
(Photo fonds André Martzolf)
Et pourtant la croissance immobilière de la jeune station n'est pas conforme aux prévisions.
Tous s'attendaient à ce que les investisseurs se bousculent mais il n'en est rien. L'enthousiasme de la première saison est déjà retombé et les parcelles de terrain à vendre n'ont pas eu le succès escompté. La SAP crée alors une filiale, la Société Immobilière de La Plagne (SIP) pour prendre le relais. Une dizaine d'années plus tard, Robert Legoux assure que la SAP était “condamnée” à endosser le rôle de promoteur immobilier “à la fois pour que la station grandisse selon un rythme suffisant et pour assurer l'équilibre financier de l'opération.” Car si l'aménagement et l'exploitation du domaine skiable font perdre chaque année deux millions de Francs, l'activité immobilière rapporte et permet de combler ce déficit. La SIP achète les terrains à la commune, construit les immeubles imaginés par Michel Bezançon (à l'été 1963, le Shangrila, le Jannu, le Makalu) et vend les appartements dans le cadre de copropriétés. La capacité d'hébergement passe à 750 lits.
Seuls deux acheteurs indépendants se sont fait connaître, dont la célèbre Monique Loo, qui achète une parcelle pour construire un hôtel de prestige : l'Orée des Pistes. “C'était le summum !” raconte Mimi Plouton “Maîtres d'hôtels, femmes de chambres habillées de tabliers blancs, c'était quelque chose ! Il y avait des soirées dansantes, et il fallait avoir une tenue impeccable, sans quoi on se faisait sortir ! N'allaient à l'Orée des Pistes que des gens de classe, des gens qui avaient de l'argent.” Mme Loo ouvre aussi l'une des premières boites de nuit de la station, qui accueille régulièrement, pendant deux ans, le joueur de jazz Claude Luter. D'autres établissements vont ouvrir dans les années suivantes.
Pour commercialiser les appartements construits, à travers la Société Immobilière de La Plagne (SIP), les dirigeants de la station ont un atout maître en main : leur réseau. Yvan Comolli, adjoint de Robert Legoux au CCME, formé à l'Ecole Polytechnique, va être l'un des ambassadeurs de La Plagne les plus efficaces. “Par le biais du GPX, le Groupement Parisien des Polytechniciens, il a demandé à ses amis de devenir propriétaires à La Plagne” raconte Jacques-Yves Bérard. Et assez vite, “on se met à vendre des dizaines d'appartements à des X...” Ainsi, deux-tiers des premiers propriétaires sont d'anciens diplômés de la grande école, et La Plagne est rapidement surnommée “Polytechnique-sur-Neige”.
Leur rôle et leur grande proximité avec les cadres de la Société d'Aménagement de La Plagne font débat. On leur reproche souvent, par exemple, d'avoir souhaité créer, pour eux, une file d'attente spécifique aux remontées mécaniques. Mais ils ont certainement évité à la station un échec commercial et lui ont permis de poursuivre son développement. Par contre ces clients sont d'un monde un peu à part, avec leurs références et leurs coutumes, que les locaux ne comprennent pas toujours, ce qui crée parfois un décalage cocasse. Les anciens élèves ajoutent volontiers la lettre X, caractère mathématique par excellence, à leur nom pour s'identifier comme diplômé. Roger Chenu raconte souvent une anecdote à ce sujet : “Les premiers moniteurs venaient de Bellentre. Et leurs clients étaient majoritairement des polytechniciens. Comme ils le faisaient souvent, ils se présentaient le matin, aux cours, en ajoutant un X à leur nom. Ça donnait : 'Monsieur Untel, X'. Un jour, un des moniteurs en a eu marre et s'est présenté lui aussi : 'Bonjour, moi c'est Y !'”
La Plagne en Aout 1964
(Photo Clément T.)
Parmi ces X, Michel Frybourg découvre la station, grâce à son ami Vincent Cambaud et achète un appartement sur plan au Mustag, qui doit être construit l'année suivante. Son épouse et lui viennent en séjour au Makalu. Les Frybourg sont ravis : “c'était une station familiale, idéale pour les enfants. Comme nous avions acheté, nous voulions venir aussi l'été. J'en ai donc parlé à Comolli qui m'a répondu que c'était à mes risques et périls, à cause des chantiers... Ils ne concevaient alors La Plagne que comme une station de sports d'hiver. Nous sommes venus dès fin Juin, nous avons trouvé les fleurs... C'était splendide ! Les premières saisons d'été nous nous retrouvions à peine à sept ou huit familles. Evidement il y avait les chantiers, mais on pouvait s'éloigner assez vite des nuisances.”
Finalement, La Plagne est commercialisée comme une station d'été dès 1966. Et on ne laisse pas les vacanciers seuls à admirer les fleurs. Au contraire, il y a autant d'animations qu'en hiver, et cela fonctionne très bien. “Nous étions un groupe de bénévoles pour animer la station, avec le Club des Sports” raconte Arlette Ratel. “Pendant toute une époque, la locomotive était le propriétaire du Restaurant la Crêpe, Jean-Claude Zelenay, qui organisait des sorties barbecues, des matchs de volley ou des tournois de boules... Paul Bellemin menait aussi beaucoup de choses.
Moi-même, je me suis initiée au tennis puis je suis devenue éducatrice, et j'ai appris les bases à beaucoup de vacanciers.” Le tennis est le sport roi de l'été. Le Club des Sports finance la construction de courts, qui sont chaque année de plus en plus nombreux. Mais cela ne suffit pas : “Il fallait aller à l'Office du tourisme afin de réserver, souvent dès 8h du matin, pour jouer l'après-midi ! Et il est arrivé qu'on ne puisse pas !” se souvient Michel Frybourg.
Les téléskis du Z et du Cabri en 1964
(Photo du fonds André Martzolf)
Bien qu'ayant perdu beaucoup d'argent avec la faillite de la Moderne, Joseph Duchosal, René Montmayeur et Jean Prévost, les anciens gérants de la cantine, investissent à nouveau dans une épicerie et un restaurant, Le Refuge, une véritable institution plagnarde. Celle qu'ils géraient en 1960 a été confiée à Hélène et Mario Talenti : “les entreprises qui construisaient la station sont venues me chercher pour tenir la cantine des chantiers, aux Isbas.” Hélène continue : “on lui téléphone et on lui dit : demain il faut monter pour faire à manger pour les ouvriers à 12h. Avec sa 203, Mario a fait le tour des commerçants d'Aime”. Au départ, il n'y a qu'une quarantaine de bouches à nourrir, mais “on en a eu jusqu'à 300, en trois services ! On servait une cuisine familiale”...mais pour une famille très nombreuse ! L'été, ils servent les maçons, l'hiver ce sont les peintres... Michel Bezançon, son équipe et les chefs de chantier mangent chez eux tous les jours : “Bezançon venait en plein service, débarrassait la table, mettait une nouvelle nappe en papier... Ils étaient serrés comme des sardines !” C'était un feu roulant, midi et soir : “on était bousculé comme c'est pas possible ! On commençait à servir à 12h, les ouvriers n'avaient qu'une heure, donc il fallait aller vite. Ensuite il fallait débarrasser les tables (un chantier !), faire la vaisselle, balayer et remettre les couverts pour le soir.” Leur journée se termine souvent tard... et même parfois très tard. “Les ouvriers venaient à n'importe quelle heure nous demander du vin chaud ou un casse-croute.” Mario se souvient être allé porter, à la demande de Michel Bezançon, “une marmite de vin chaud aux ouvriers qui coulaient une dalle à minuit passé.” La cantine des Talenti est un lieu indispensable, qui n'est pas ouvert qu'aux ouvriers et au personnel de La Plagne. Les résidents des Isbas déjeunent aussi chez eux. Lorsque le Refuge ouvre, en 1964, les Talenti et René Montmayeur se partagent la clientèle.
Pour les skieurs, on construit deux nouvelles remontées. Le petit téléski du Cabri, en parallèle du Z, est réservé aux débutants : une rampe en bois permet d'en atténuer la pente naturelle. De l'autre côté du plateau, au-dessous de la station le téléski des Aollets mène les skieurs à 2300 mètres, jusqu'au pied de la Grande Rochette, ouvrant les champs de neige de quatre nouvelles pistes. Certains skieurs découvrent à cette occasion le vallon des Ours, où on projette de créer une station, la future Plagne Bellecôte. Grâce à son parc de cinq remontées mécaniques (!), La Plagne se vante, dans une publicité qui parait le 10 Décembre 1963 dans le Journal de Genève, d'être “La station où vous n'attendez pas !” Un message déjà diffusé fin Novembre par le Dauphiné Libéré, sans doute sous la plume de Jean Plouton : “Pas d'attente aux téléskis. (...) Le débit total des remontées mécaniques sera cet hiver de 3.000 skieurs à l'heure, aussi, même le dimanche, il n'y aura pas d'attente !” Tout s'annonce décidément très bien. Et pourtant ce n'est pas l'équipement qui va faire parler de La Plagne, mais son enneigement.
La Plagne durant la saison 1963/1964
(Photo du fonds André Martzolf)
1964
Plagne Centre en 1964
(Photo Jean Plouton)
La saison 1963/1964 débute dans toutes les stations alpines avec l'angoisse de l'absence de neige. Selon les données de Météo France, cette saison est encore aujourd'hui la moins enneigée qu'ait connue la Savoie, avec en moyenne une baisse de fréquentation de 20 à 55 % ! Seules quelques stations tirent leur épingle du jeu, dont La Plagne. A la fin du mois de Janvier, les bulletins d'enneigement publiés dans le Dauphiné Libéré affichent un nombre impressionnant de “0”. Dans celui que Le Monde publie le 18 Janvier 1964, La Plagne affiche 10 pistes ouvertes sur 10. A titre de comparaison, les skieurs de Courchevel doivent eux se contenter de 8 pistes seulement alors que la station en compte une quarantaine.
La presse signale rapidement que le manteau neigeux plagnard est bien plus abondant qu'ailleurs. “En cet hiver de neige rare, brillant début de saison pour La Plagne” écrit le Dauphiné Libéré. Même le grand quotidien national l'Aurore qui consacre, le 20 Février 1964, une page à “l'aventure fantastique de La Plagne, Flaine et des dizaines de stations (...) qui vont transformer l'économie de nos montagnes” affirme que, La Plagne “qui ne compte encore que trois hôtels a acquis ses lettres de noblesse en montrant cette année un enneigement exceptionnel.” L'altitude et la situation géographique de la station l'expliquent. En 1960, Emile Allais avait déjà noté dans son rapport combien le cirque montagneux, qui protège La Plagne des vents dominants orientés au Sud-Ouest, est favorable à la conservation de la neige.
L'article de l'Aurore continue : “Alors que ses deux glorieuses rivales, Val d'Isère et Courchevel, n'avaient à offrir au début de Janvier que des pentes d'herbe sèche, La Plagne a réussi à établir un véritable pont aérien grâce aux petits avions d'Air Alpes pour amener les amateurs sur ses pentes skiables.” La liaison aérienne vers La Plagne fonctionne à plein. Pour Jacques Yves Bérard c'est bien simple, “c'est l'année où la station a explosé, grâce à tous les articles de presse qui conseillaient aux gens de venir skier chez nous !”
Durant la saison 1963/1964, Pierre Leroux structure son école de ski et s'entoure d'une solide équipe de moniteurs. Parmi ceux du début des années 1960, on peut citer : Tom Mongellaz, Martial Pettex, Pierre Paquet, Pierre Blanchard, Claude Rey, Alain Chevassu, Denis Ducos... Et l'école recrute. C'est à ce moment-là qu'Arlette Ratel arrive à La Plagne : “Je suis venue car je voulais enseigner le ski à ma sortie de l'ENSA de Chamonix. J'habitais Ugine, et je devais encadrer une sortie scolaire. Cette année-là il n'y avait pas beaucoup de neige dans les stations alentours. Nous sommes allés à La Plagne, où il y en avait beaucoup plus qu'ailleurs. Comme j'avais été mise à pied à la Clusaz à cause du manque d'enneigement, je cherchais un travail. Le hasard a voulu que je rencontre un ami d'enfance, Tom Mongellaz, qui y était déjà moniteur. Il m'a arrangée un rendez-vous avec Pierre Leroux. Par le plus grand des hasards, il m'avait vu skier le matin. Il m'a embauchée tout de suite.”
L'école de ski lors de la saison 1963/1964
(Photo du fonds André Martzolf)
Pierre Leroux et Sylvie Vartan en 1962
(Document du fonds André Martzolf)
Au printemps 1964, les travaux de la première galerie commerciale, entre l'Orée des Pistes et le Jannu, se poursuivent avec l'aménagement du second étage. Le rez-de-chaussée a été ouvert en Décembre 1963. Au total, dix-sept boutiques prennent place dans cette vaste allée à l'abri des intempéries, moderne et chauffée, une première pour une station de sports d'hiver, largement relayée par la presse. On ne pense pas encore aux tracas qu'elle occasionnera pour sa gestion ! Serge Gostoli et son magasin “Serge ski”, la librairie de Lucette Botto quittent la Maison de La Plagne et s'y installent. Jean Ratel déménage son agence bancaire dans le Jannu. Les époux Jannot ouvrent leur pharmacie. Elle est tellement bien ordonnée et d'une architecture si moderne qu'elle ne ressemble pas du tout à une officine traditionnelle, de l'aveu même du propriétaire. On fait ses courses quotidiennes à “l'Alimentation générale” de Duchosal, Prévost et Montmayeur qui propose une épicerie, une boucherie, une boulangerie, une quincaillerie et une droguerie. On peut aussi acheter des fleurs et même déguster des fruits de mer. Jacques Paviet ouvre sa crèmerie dans “le souk”, en sous-sol de la galerie, là où était initialement prévu un parking. Sa fille Laurette, qui prendra la suite, raconte : “On avait un bar et une épicerie, juste à côté de Jean Robino qui avait son magasin d'électroménager.” Entre la plupart de ces commerçants, il y a une ambiance fraternelle. A de rares exceptions près, ils sont tous “importés” comme le dit Sophie Murzilli, et forment pour Laurette “une véritable petite famille”. “C'était la fête du matin au soir... Je me rappelle surtout de mon père et du curé, picolant toute la journée !” Mimi Plouton confirme : “Nous étions tous solidaires. Si l'un avait besoin de la voiture, on la lui prêtait... Nous étions un noyau à être monté, nous n'avions pas besoin de nous faire de nouveaux amis ! Je me rappelle des soirées au Refuge... Quelle rigolade ! Les hommes allaient tous prendre l'apéritif le soir chez René [Montmayeur] ! Et d'ailleurs qui n'y allait pas ?”
Alors que s'ouvre la troisième saison, Albert Eysseric écrit, dans le Dauphiné Libéré du 19 Décembre 1964 : “En trois ans, La Plagne s'est hissée au rang des plus grandes, mais elle se veut une station pas comme les autres.” L'originalité, c'est le créneau de La Plagne depuis le départ. L'une des premières stations construites ex-nihilo, l'une des premières à adopter un plan d'urbanisme nouveau qui sépare voitures et skieurs... Pour lister tous les traits particuliers, le journaliste a rencontré Jacques-Yves Bérard. Il lui donne un chiffre : 80 %. C'est celui du nombre de copropriétaires. Clientèle attachée à la station plus qu'aucune autre, puisqu'elle y a investi. La Plagne n'a que 20 % de lits hôteliers, qui par définition n'accueillent en général que des clients moins réguliers. Une autre originalité, le chauffage urbain. Il est mis en route en 1964. “Une cuve de fioul de 100.000 litres, une installation ultra moderne, trois kilomètres de canalisations serpentent entre les immeubles, et la station est chauffée.” Le directeur emmène Eysseric dans les galeries marchandes, “une petite ville intérieure et douillette ” où “le client pourra chaque matin faire ses courses en pantoufles.” En plus de marquer sa différence par son incontestable modernité, La Plagne grandit. Sa croissance est même remarquable. Six nouveaux immeubles, pour un total de 500 lits sont construits en 1964 : l'hôtel Graciosa, le Serro Torre, la Cordillère, le Mustag, le Nanda Devi I.
Emile Allais à la fin des années 1960
(Photo Jean Plouton)
Emile Allais quitte Courchevel et arrive à La Plagne avec une place de choix : il sera conseiller technique pour le développement du domaine skiable. Il va appliquer sa méthode : rendre les pistes accessibles au plus grand nombre. Il témoigne dans le livre de Gildas Leprêtre, “L'épopée de Courchevel” : “Ils ont cru que j'allais tracer des pistes noires parce que j'étais champion. Au contraire, je pensais qu'il fallait intéresser tout le monde. Les débutants sont nos futurs clients, les bons skieurs se débrouilleront toujours pour descendre.”
Emile Allais applique ses principes à La Plagne, qui obtient vite la réputation d'une station où on pratique un “ski familial”. Lorsque la SAP construit, en 1966, le premier télésiège deux places de la station, le Boulevard, la brochure hivernale annonce : “sur une idée d'Emile Allais, Administrateur, cet appareil à deux vitesses permet une initiation rapide du débutant. Il est le premier de ce genre en France”. D'ailleurs le souci des débutants est réel dès les débuts, si l'on songe au téléski du Cabri et à sa rampe de bois. Ne pas le faire aurait été se priver de l'immense majorité de la clientèle qui vient à la montagne sans encore maitriser le ski. La Plagne doit aussi à Emile Allais une autre innovation : skier en aval de la station. Etrangement, ce n'était pas chose commune. Trois itinéraires de plusieurs kilomètres sont alors mis à disposition des skieurs : la Farandole, les Charmettes et la piste du Vallon des Ours. A la Roche, une navette permet de remonter.
Allais suggère aussi de faire venir un homme qu'il a formé : André Martzolf. “Il nous fallait un chef de pistes. Emile Allais était rentré à la SAP et il m'a dit : moi j'en connais un à Courchevel, mais je quitte déjà Courchevel pour venir à La Plagne, je ne peux pas le faire venir !” se souvient Gilbert Vivet-Gros qui lui demande aussitôt le nom auquel il pense. “André Martzolf ? Mais c'est un de mes grands copains ! J'ai dit à André : on cherche un responsable de pistes à La Plagne. Tu ne peux pas monter un jour de réunion ? Et il s'est présenté. M. Legoux se tourne vers lui et dit : vous avez tout entendu, vous avez vu comment on travaille. Autour d'une table, on se dit tout ! Vous avez votre valise ? Vous commencez demain matin !” André Martzolf prend la direction du Service des pistes, poste qu'il va occuper jusqu'en 1999.
Pour Laurette Paviet “André Martzolf était un homme extraordinaire, un des plus intègres de La Plagne” et pour Sophie Murzilli “quelqu'un qui agissait beaucoup, mais avec retenue et après mûre réflexion.” Arlette Ratel ajoute “que c'était un homme très entier, avec un sacré caractère, croulant sous les responsabilités.” Pour son épouse Mireille Martzolf, pas de doute, “c'était un meneur d'hommes. Doté d’une forte personnalité, il était très respecté. Il était aussi très humain, et aidait facilement quelqu'un en difficulté. Mais ce n'était pas un homme à prendre de face, il fallait le contourner ! C'est Edmond Blanchoz qui m'a expliqué un jour comment prendre un Martzolf dans le bon sens !” Il faut dire qu'il avait les idées bien arrêtées et parfois à contre-courant : contrairement à d’autres stations il a équipé plus tardivement le service des pistes de motoneiges.
André Martzolf dans les années 1960
(Photo Jean Plouton)
Martzolf favorisait les chenillettes, non par refus de la modernité, mais pour limiter le bruit et la pollution engendrés par ces engins. Il était particulièrement opposé aux “virées” de loisirs le soir, très conscient des dangers qu’elles comportaient. Il lui a fallu du temps avant de les accepter.
Dans sa fonction de directeur du service des pistes, André Martzolf est régulièrement confronté aux questions liées à l'environnement, à une époque où elles commencent à préoccuper l'opinion : il trace les pistes, aménage le paysage, modifie le cadre naturel. Pour Mireille, aucun doute, il était “écolo avant l'heure !” Il travaille en étroite relation avec Christian Combet : “on repérait les pistes ensemble. Une fois, au milieu d'un tracé il y avait un très bel arolle et un épicéa remarquable, et André voulait que la piste passe de chaque côté. Je l'ai regardé et je lui ai dit 'mais non ça ne va pas ! Qui est agent forestier ? Qui est directeur des pistes ?' Les rôles étaient inversés !” Il se produit la même chose sur le stade du Biolley, dont se souvient, amusée, Sophie Murzilli : “il y avait un gros mélèze au milieu du stade. Martzolf ne voulait pas qu'on le coupe ! Pendant des années, on a dû le contourner pour tracer les slaloms.” Il sera finalement abattu en 1969, à l'occasion d'un premier élargissement du stade. Il a toujours été soucieux d'intégrer au mieux les pistes, surtout lorsqu'elles traversent les massifs forestiers. Henri Béguin participait au tracé des pistes sur Montchavin : “Il en refusait certaines de peur qu'on ne voit qu'une tranchée depuis Bourg-Saint Maurice...” Christian Combet se souvient parfaitement de la création de la piste de l'Esselet, en 1976 : “c'était sacré ! Comme elle était en face des Arcs, ça devait être un modèle. Il avait fait venir un architecte paysagiste, qui nous a conseillé dans la coupe à faire...” Cette préoccupation fait de lui l'un des premiers directeurs des pistes en France à engager le réengazonnement, aussi bien pour des raisons esthétiques, que des raisons techniques liées au ravinement. Il travaille alors avec le CEMAGREF, qui pratique des essais sur le plateau du Pralioud, et très rapidement les pistes sont systématiquement engazonnées après travaux.
André Martzolf, conscient de ses responsabilités, était hyper-mobilisé, vigilant et disponible jour et nuit. Mireille, en témoigne : “C'était un perfectionniste, animé d’un grand sens du devoir qui avait du mal à déléguer, il était de cette génération d'hommes qui veulent tout maitriser. Ainsi, sa façon de s’occuper de tout contribuait à tranquilliser son entourage professionnel qui se reposait sur lui. Sa radio était à son chevet et il arrivait fréquemment qu'il soit réveillé en pleine nuit pour un problème ou pour un autre...” Interrogé par FR3 en 1978 au sujet de la prévention des avalanches, il accepte volontiers de se voir comparé à un marin luttant contre la tempête. Jœl Favre appuie la comparaison : “Il était toujours sur le pont, sillonnant sans cesse la station avec sa radio”. Christian Combet se rappelle d'un épisode révélateur : “On était partis un jour faire la traversée Montalbert Peisey-Nancroix à ski de fond, et quand on est arrivés à Pra Very, une coulée d'avalanche est descendue. Alors on s'est assis près des chalets, et de là il a dirigé toutes les opérations de secours avec sa radio, avec un calme et une dextérité remarquable, jusqu'à ce qu'un hélico vienne le chercher. Je suis resté scotché !” Pour Mireille, André “a vécu dans une tension permanente qui a peut-être provoqué une fin prématurée... Ce n’est qu’après sa retraite qu’il avait commencé à être serein et détendu.”
André Martzolf et ses pisteurs à la fin des années 1960
(Photo Jean Plouton)
En plus de s'occuper de la sécurité d'un domaine toujours plus vaste, il endosse rapidement un rôle prépondérant dans l'animation de la station, comme le note Eric Laboureix : “il s'occupait du CAS, le Comité d'Animation Sportive, avant que ne soit créé en 1991 Plagne Evénements Organisation (PEO).”
Autour de lui, une dizaine de pisteurs-secouristes, parmi lesquels André Astier-Perret, Jean-Paul Bérard, Armand Ougier, Simon Astier, Guy Clément-Guy et aussi Noël Grand ou Armand Bérard, qui sont bien souvent en compétition : “On était pisteurs, mais au début, on n'avait pas d'uniforme” raconte Armand. “On avait des rouleaux pour damer les pistes. C'était drôlement dangereux cette histoire ! C'était lourd, en bois... Il fallait que le rouleau tasse la neige, mais nous, on allait vite, comme des imbéciles ! Le rouleau faisait des bonds, et ça damait rien du tout !” Suivant l'exemple des stations nord-américaines, on commence à mécaniser le damage des pistes. Le Kristy, acheté l'année précédente et confié à Bernard Murzilli n'est guère performant. Une nouvelle machine, le Snow-Cat, fonctionne mieux, mais ne dispense pas les pisteurs du damage manuel. L'année suivante, la SAP fera l'acquisition d'un engin révolutionnaire, le Ratrack S.
Le 13 Novembre 1964, quelques propriétaires, à l'initiative de l'un d'entre eux, Philippe Clément, se rassemblent et créent une association : Le Cercle de La Plagne. Beaucoup de ses membres sont polytechniciens, et proches des dirigeants de la SAP. Cette proximité permet à l'association d'être écoutée et de défendre les intérêts des premiers propriétaires. En 1968, forte de ses 450 adhérents, le Cercle change de nom et devient l'Association des Propriétaires de La Plagne. Ses bénévoles s'engagent dans l'animation de la station et l'APLP finance de nombreuses initiatives pour améliorer l'image de La Plagne. L'une des plus importantes est l'opération : “Des arbres pour La Plagne”, lancée en 1974. Son but est de reboiser les abords de la station, en compensant les arbres abattus pour le développement du domaine skiable. Grâce aux fonds réunis, une centaine d'arbres seront plantés en 1975 et plusieurs autres jusqu'en 1980. La station prend ensuite le relais, et la plantation d'arbres est alors prévue dans la plupart des travaux.
Extrait du premier plan des pistes de La Plagne pour la saison 1964/1965
(Document APLP)
1965
Deux ans seulement après son ouverture, la station de La Plagne s'est lancée dans un pari fou : investir plusieurs années de chiffre d'affaires dans la construction d'une télécabine moderne et performante. Robert Legoux s'assure évidemment du financement et les choses vont assez vite. A l'automne 1963, la SAP lance un appel d'offre auprès de constructeurs de remontées mécaniques en France, en Italie, en Allemagne et en Suisse. Jacques-Yves Bérard se rend à Kriens près de Lucerne, auprès du constructeur Bell, qui installe alors dans toute l'Europe ses télécabines 2S (débrayables à deux câbles). Le marché est signé en Février 1964.
Cabine de la Grande Rochette
(Photo Bruno Chêne)
Les études géologiques préalables ont réservé leur lot de surprises, dont se souvient très bien Michel Bezançon : “La Grande Rochette est une montagne de gypse. Lorsqu'on a fait le projet, on a fait venir un géologue, professeur à l'École polytechnique. Il nous a dit : 'non, impossible de construire... Cette montagne va disparaître !' Heureusement quelqu'un a eu l'idée de lui poser la question : 'mais dans combien de temps ?' Et il a répondu, très sérieusement : 'dans 15 000 ans !' On a tous été très soulagés !” Cette particularité géologique rend le chantier plus complexe et plus coûteux : les fondations du dernier pylône sont situées à quarante mètres de profondeur, et il a fallu garantir une parfaite étanchéité au niveau de la gare pour éviter que l'eau ne s'infiltre. D'ailleurs, les fondations des pylônes qui devaient être réalisées à l'été 1964 sont retardées d'un an en raison de la mauvaise qualité du sous-sol contraignant à reprendre entièrement l'étude du profil qui n'est finalisée qu'en Septembre 1964.
Les travaux commencent à l'été 1964. Les ouvriers qui s'attaquent aux fondations de la gare amont, travaillent toute la semaine, douze heures par jour... Pour le transport des matériaux et des éléments métalliques, on ne peut pas avoir recourt à l'hélicoptère comme aujourd'hui : tout passe par une route qui a été aménagée à flanc de montagne. On envisage d'abord de passer par la face Nord, là où se trouve aujourd'hui la piste Carina. Gérard Paviet a participé à son aménagement : “C'était très pentu. Seuls les latils de Bérard pouvaient passer. Souvent, nous en Jeep on n'y arrivait pas...” Ce premier itinéraire est remplacé l'année suivante par une seconde route, qui existe toujours, passant par la face Sud, via le Col de la Grande Forcle.
Une base-vie est installée au sommet de la Grande Rochette, pour permettre aux ouvriers de creuser les fondations pendant tout l'hiver 1964/1965 en restant sur place. Aujourd'hui encore, Jacques-Yves Bérard s'en étonne : “J'installe là-haut une quinzaine de gars, dans des chalets Montmayeur... Quelles conditions de vie ! Il fallait être malade !” Des câbles tirés depuis La Plagne assurent l'alimentation en électricité et la liaison téléphonique. “On dormait sur des lits superposés, à quatre par chalet... On nous avait installé la télé. A la bonne saison, on nous montait en Jeep les repas préparés par les Talenti” se souvient Gérard Paviet qui passe plusieurs mois sur place. Les conditions de travail des ouvriers, dont beaucoup de Portugais, sont extrêmement précaires. Pour creuser les fondations, “les gars descendaient dans une benne fixée à une petite grue afin de travailler au fond, sans aucune sécurité ! C'est une chance s'il n'y a pas eu d'accident !” raconte Lulu Ougier, qui montait le matériel pour l'entreprise Bérard.
Les travaux de la Grande Rochette et la base-vie
(Photo Jacques-Yves Bérard)
Jacques-Yves Bérard monte au chantier chaque semaine à peaux de phoque. A l'occasion d'une de ses visites, il est accompagné d'un agent de l'ORTF, qui souhaite connaître la puissance du signal radio au sommet, pour l'implantation d'un émetteur. Pour lui, c'est l'un des grands moments de sa vie : “on monte un lundi après-midi, en plein hiver. Les nuages sont en peu en dessous de nous, seules quelques cimes émergent, et à cet instant la radio que l'on a emportée accroche la bonne fréquence, et on entend un air de Bach... Nous étions seuls au Monde, pendant deux minutes, nous n'avons pas dit un mot... et j'ai senti la présence de Dieu...”
La plus grande partie des bétons sont coulés pendant l'été 1965, et les structures de la gare et des pylônes commencent à être assemblées au début de l'automne. Le montage des mécanismes de la gare d'arrivée se déroule tardivement, à partir de Novembre, dans des conditions très difficiles, à cause des courants d'air glacials à -15°. L'épaisseur de neige atteint alors trois mètres et il faut creuser des galeries pour circuler sur le chantier. Gérard Paviet se rappelle du récit de ce montage, fait par son père : “Sur le pylône de la voute d'entrée, il ne pouvait pas tenir longtemps à cause du froid... Quand il en redescendait il avait cinq millimètres de glace sur la joue... Etre au pied du pylône, à l'abri du vent, lui semblait chaud comme dans une écurie...”
Grâce à tous ces efforts admirables, les délais sont tenus. Le 23 Décembre 1965, la télécabine de la Grande Rochette est ouverte au public. Les skieurs se pressent dans les frêles cabines en aluminium, dessinées par Pierre Guariche, un designer parisien dont c'est la première création pour La Plagne. L'ascension prend alors huit minutes, avec une vue plongeante sur le domaine. Le lendemain 24 Décembre on célèbre la messe de Noël à 2.500 mètres d'altitude, dans le hall d'arrivée... La télécabine de la Grande Rochette va rester en service 35 ans.
Les travaux de l'Everest en 1965
(Photo du fonds André Martzolf)
Un autre chantier remarquable marque l'année 1965 : celui de l'Everest, une tour de 14 étages. Les travaux débutent en Janvier sous une immense bulle de 20 mètres par 40 dans laquelle la température est celle d'un mois de Juin. Raoul Bugny a participé au chantier : “C'est une histoire loufoque ! Au mois de Décembre ils ont installé la bulle une fois le terrassement fait. C'était une grosse bâche tenue par de l'air pulsé grâce à deux ventilateurs. Il a d'abord fallu plus d'un mois pour faire fondre la neige qui avait été emprisonnée dessous. On avait installé une centrale à béton à l'intérieur. Même les camions rentraient...” Les travaux de gros-œuvre durent quatre mois (un niveau tous les quatre jours) et l'Everest est livré en Janvier 1966, en une année seulement. Sept autres immeubles sont construits à l'été 1965 : La Taïga, Le Sierra Nevada, Le Kilimandjaro, Le Nanda Devi II, Le Fitz Roy, L'Aconcagua et enfin Le Pelvoux (où se situe la Gare de la Grande Rochette). Le rythme de croissance de La Plagne s'accélère encore.
En 1964, les graphistes d'Havas avaient choisi de ponctuer le premier plan des pistes et des promenades de petits personnages souriants. Un dépliant amusant et original, commenté par Pierre Leroux, qui terminait par cette note : “Bonne promenade et bon ski ! Amusez-vous bien !” A l'opposé, le plan 1965 sera lui rigoureux, géométrique et même presque un peu triste. Avec ce contre-pied, on voit bien les tâtonnements de la communication en train de s'élaborer. Il va ainsi changer presque chaque année jusqu'en 1979, quand est adopté le fond dessiné par Pierre Novat. On fixe alors la forme du plan des pistes, à quelques variations près, pour plus de 25 ans. Autre nouveauté, le plan intègre le nouveau classement français des pistes en quatre couleurs : noire pour les plus difficiles, rouge, puis bleue et enfin verte pour les pistes les plus faciles. L'année précédente il y en avait cinq : noire, rouge, jaune, verte et bleue.
Bien qu'imaginée par le Docteur Borrione, La Plagne n'a pas encore de médecin à demeure. Les patients doivent descendre dans la vallée, pour se faire soigner. Le Docteur Tonenx, gendre de Pierre Borrione, s'installe à la fin de l'année 1965. Son arrivée a beaucoup marqué Jean Ratel, et pour cause : “J'étais dans la banque, et j'ai vu arriver un énorme 4x4 Land Rover, avec pelles, pioches et jerrican accrochés sur la carrosserie. Un homme en est descendu, vêtu d'une pelisse qu'on imagine plus sur le dos d'un esquimau ! Je suis sorti, j'ai demandé qui était cet hurluberlu, et on m'a dit que c'était le Docteur Tonenx. Un sacré personnage !”
La façade du Jannu en 1966
(Photo Jean Biaugeaud / Archives de Savoie / Fonds Michel Bezançon 17J179)
(•) 1966 - 1968
Ce sont des années charnières pour La Plagne, tant pour sa notoriété, son expansion, que pour son organisation interne.
En 1965, La Plagne est choisie avec trois autres stations françaises (les Deux-Alpes, la Mongie et Villars de Lans) pour participer, face à quatre stations suisses (Champéry, Crans, les Diablerets et Saint Moritz) au jeu télévisé Interneiges, la version hivernale du célèbre Intervilles. En Décembre 1965, La Gazette de Lausanne explique le fonctionnement de l'émission, dont la diffusion est programmée de Janvier à fin Février 1966 par l'ORTF en France et la SSR en Suisse : “Les représentants de chaque village participeront à trois épreuves sportives et une épreuve culturelle intitulée Crescendo qui aura trait à l'histoire de l'alpinisme en France et en Suisse.”
L'intérêt de Guy Lux pour La Plagne n'est pas le fruit du hasard. La station l'a sollicité, et plus précisément Jacques-Yves Bérard : “Je l'ai rencontré à Paris par l'intermédiaire d'un ami d'Havas. Nous étions intéressés par l'émission et lui par La Plagne. Ensuite, je me suis dit que pour gagner Interneiges il nous fallait des champions. J'ai donc pris contact avec Annie Famose, Isabelle Mir et d'autres. Il nous fallait aussi des gens pour répondre aux questions...” Naturellement, Emile Allais est désigné comme capitaine de La Plagne. Michel Albertone, animateur du Club des Sports est lui chargé de coordonner l'organisation.
Le match contre Crans doit se dérouler le Dimanche 20 Février 1966, en direct à partir de 13h30. Les jeux sur neige, commentés par Guy Lux, Roger Pradines et l'animatrice Suisse Claude Evelyne, se tiennent à La Plagne. C'est une occasion unique de se faire connaître de millions de téléspectateurs. Prenant la mesure de l'enjeu, la station décide de changer de logo. Avec une télévision toujours en noir et blanc, il faut un symbole marquant. L'agence Havas est chargée de plancher sur la question et confie la mission à un graphiste, Mathieu Diesse. Le logo existant est placé dans une paire de lunettes de soleil surmontées d'un bonnet rouge vif. Cette nouvelle identité fait l'unanimité. On l'affiche sur la façade du Jannu et La Plagne fait distribuer des centaines de bonnets rouges au public le jour de l'émission. Tout est fait pour marquer les téléspectateurs. Sur place, cela attire les foules. “Avoir Guy Lux à La Plagne était un évènement !” se souvient Arlette Ratel “C'était grandiose ! Il y a eu beaucoup de monde, une vraie fête !” Mimi Plouton confirme : “Cette journée nous a beaucoup apporté. Il y avait des gens partout, sur le front de neige, dans les couloirs...”
Malheureusement, pour ce qui est de la diffusion télévisée, les choses ne se déroulent pas comme prévu. Le Samedi on signalait déjà des difficultés de liaison entre La Plagne et Genève où siégeait le jury. La Gazette de Lausanne du 21 Février 1966 raconte la journée : “Pendant que se déroulait le premier jeu à Crans-sur-Sierre, l'inquiétude se lisait sur les visages des techniciens suisses : dans le car de reportage comme sur la patinoire on n'entendait qu'une seule chose : 'toujours pas de liaison'. (...) Le relais installé au col de Semnoze n'a pu commencer à fonctionner que 50 minutes après le début de l'émission, au grand soulagement de chacun.” Et ce grâce aux efforts des techniciens français en pleines intempéries. Malgré cela, la décision avait déjà été prise d'annuler la compétition, qui perdait tout enjeu, pour devenir un simple spectacle.
L'émission n'avait été que partiellement diffusée. Les organisateurs décident alors, à la surprise générale, de convoquer une vraie-fausse finale, opposant à nouveau les deux stations, à l'issue de laquelle celle s'étant imposée avec le plus grand écart de points remporterait la coupe Interneiges 1966. Cette solution un peu bâtarde profite grandement à La Plagne. Le second match est cette fois diffusé sans encombre le Dimanche 27 Février, dans les mêmes conditions que le précédent. La Plagne s'impose largement devant Crans avec 10 points d'avance, ce qui lui permet de rafler la coupe. Finalement, le pari médiatique est réussi : La Plagne s'est fait connaître plus largement encore et son nouveau logo lui vaut désormais le surnom de “station au Bonnet rouge”.
A partir de 1966, l'attention des médias ne retombera plus. Depuis sa création, la presse nationale évoquait régulièrement La Plagne parmi d'autres stations. L'un des premiers articles de fond qui lui est entièrement consacré paraît dans le journal Le Monde le 22 Février 1966, précisément deux jours après Interneiges. Intitulé “Comment on construit une station de sports d'hiver” (rien que ça !), l'article de Jacques-François Simon en fait un modèle à suivre, vante son esprit innovant et son architecture audacieuse : “La Plagne, que l'on vante tant, c'est avant tout, sans doute, un sens particulièrement aigu du confort. Le domaine skiable est vaste, parfaitement enneigé de décembre à mai. Comme il n'offre peut-être pas toutes les difficultés recherchées par les sportifs, on a adopté la formule du ski familial, tracé de larges pistes, soigneusement entretenues, bien desservies par des remontées mécaniques d'une capacité toujours supérieure à celle des habitations. L'attente au pied des téléskis ou du téléphérique est ainsi réduite au minimum. On trouvera aussi à La Plagne l'équipe de femmes de ménage qui fait défaut dans beaucoup de stations, une garderie d'enfants, bien entendu, mais aussi une salle de danse et de jeux réservée aux adolescents, un cercle de bridge très actif...”
Et La Plagne sert effectivement de modèle. A Avoriaz d'abord, puis aux Arcs et à d'autres stations alpines. On vient même du Monde entier pour la visiter : de Russie, du Japon et même d'Australie... Gérard Paviet se rappelle de la visite d'un responsable de la station de Falls Creek, près de Melbourne. C'était en Janvier 1969 : “Devant notre mini atelier du téléski du Z, je vois une personne qui prend des photos de notre racle servant à raboter les traces des skieurs sur la piste de montée. Je lui dis bonjour, il me répond en Anglais... Il est Australien...
Publicité pour Gunhild en 1970
(Document APLP)
En deux heures, je lui montre le domaine, le courant passe bien, il m'invite à prendre un pot le soir à l'hôtel L'Orée des pistes… De fil en aiguille, il en vient à me proposer un stage dans sa station... J'y suis resté trois saisons.”
Reste un défi de taille : séduire la clientèle et surtout l'inciter à l'achat d'un appartement parmi les centaines disponibles ou dont la construction dans les futures stations satellites est déjà arrêtée. La Plagne s'étend encore, et même à un rythme effréné. Six nouveaux immeubles sont encore construits pendant l'été 1966 : Le Vercors, Le Sikkim, L'Annapurna, La Meije, Les Ecrins et Le Mont Blanc, la seconde tour de La Plagne, plus haute encore que l'Everest, qui sort de terre en quatre mois du 1er Juin à fin Septembre, un délai plus court encore, grâce à l'amélioration de la technique et à l'expérience acquise par les ouvriers.
A cette époque, La Plagne attire déjà une clientèle plutôt aisée et se distingue en lui offrant un accueil soigné et des services originaux. Certaines boutiques vendent des produits haut-de-gamme, comme le modiste Gunhild, dont les propriétaires partagent l'année avec la station balnéaire bretonne de Quiberon. On peut un temps déguster des fruits de mer ou même acquérir des toiles dans une galerie d'art contemporain. Dès 1963, le service “Maîtresses de maison” est à la disposition des clients : “pour faire votre ménage, laver votre vaisselle, et vous faciliter vos vacances.” Michel Bezançon ajoute : “Quand vous montiez dans le car à la gare, il y avait quelqu'un qui vous offrait un café et un croissant.” Tous ces services coûtent chers, et l'architecte de préciser, amusé, qu'ils sont interrompus lorsque la rigueur de la comptabilité s'améliore.
Les structures touristiques sont réorganisées, et il faut le dire, professionnalisées. Jusque-là les choses étaient plutôt improvisées, les organismes s'empilaient rendant le tout illisible et plutôt inefficace. De l'aveu même de Patrice Weiss : “La Plagne n'avait pas de patron pour son tourisme : nous avions une mobylette, alors qu'il nous aurait fallu une Porsche !” Il y a bien un syndicat d'initiative, qu'il dirigea, à la suite de Jean Plouton, mais ses missions de promotion sont réduites, et il s'occupe surtout d'animation, de l'édition d'un dépliant et d'un journal, le Bonnet de La Plagne, dont la rédaction a été confiée à Claude Bandiéri. Quant à la structure nommée Office de tourisme elle s'occupe davantage des ordures ménagères...
Logo de la SPEI
(Document APLP)
La promotion de la station et l'accueil des clients restent du ressort quasi exclusif de la SAP et de la SIP. Les deux sociétés ont mis en place un montage assez complexe, mais qui peut se résumer simplement : le promoteur a intérêt à faire venir de nouveaux clients et à prendre soin d'eux pour leur donner envie d'investir dans un appartement.
Cette mission double de promotion et de commercialisation est alors confiée, pour quatre ans, à la SPEI, la Société Pilote d'Expansion et d'Information. Ce nom étrange cache une entreprise spécialisée dans la promotion immobilière sous tous ses aspects. C'est une émanation de la Banque Rothschild - l'un des principaux actionnaires de la Plagne - qui se fait connaître à la même époque pour la rénovation de quartiers entiers de Paris ou pour des opérations immobilières sur la Côte d'Azur. La SPEI met en place une structure spécifique, nommée Maison du Tourisme, dont les missions sont l'accueil des clients, la promotion de la station tous azimuts, la création d'un produit reconnu et attractif et évidemment la vente des appartements. Jean-Paul Berthaud en prend la tête et reçoit pour première mission de recruter son nouveau personnel. C'est ainsi que Mireille Martzolf arrive à La Plagne : “Je suis arrivée de Paris. Je n'avais aucune idée de ce qu'était la montagne. Je sortais d'études de langues et de tourisme, et je cherchais un boulot. Et fin 1967, je lis une annonce dans le Figaro. On recherchait des hôtesses à La Plagne. La SAP et la SIP avaient fait appel à la SPEI pour la promotion immobilière de la station. La SPEI menait des actions visant à faire connaître La Plagne. Nous étions quatre, toutes recrutées à Paris et habillées avec classe par Ted Lapidus puis Courrèges.”
Une hôtesse d'accueil dans “Les Chevaliers du Ciel”
(Document INA.fr)
Dès l'hiver 1967/1968, Mireille Coulon (qui épousera André Martzolf par la suite), Francine Albertone, Nicole Tripoz, Monique Lefort ont un rôle essentiel : elles accueillent la clientèle, assurent la commercialisation des appartements et collaborent au rayonnement national et international de la Plagne en invitant des personnalités et des célébrités.
Le tournage d'un épisode de la célèbre série Les Chevaliers du Ciel, au début de l'année 1968 répond à ces deux objectifs. Au repos – pardon, en stage de ré-oxygénation - à La Plagne, les héros Tanguy (Jacques Santi) et Laverdure (Christian Marin) déjouent le hold-up d'une bande de braqueurs. La banque tient dans l'épisode un rôle central, et surtout son banquier. Jean Ratel joue son propre rôle, même si sa voix a été doublée, car “elle ne portait pas.” Les billets eux sont véritables, et leur vigilant gardien s’est d’ailleurs “fait beaucoup de soucis à ce sujet !” En plus de son effet médiatique évident, cet épisode, qui sera diffusé en Janvier 1970, est un formidable témoignage de ce qu'était La Plagne à l'époque. Un autre événement original est créé en 1968, toujours sous la houlette de la nouvelle structure touristique : le premier festival de musique en haute-montagne, organisé du 13 au 20 Avril. Le Monde s'en fait l'écho dans un article du 19 : “Au fil des représentations, et malgré des conditions matérielles difficiles, La Plagne tient avec brio le pari de cette semaine musicale en haute montagne : audacieuse gageure qui donne lieu parfois à des situations aussi insolites que distrayantes”. Le succès auprès des vacanciers est mitigé, mais l'expérience est reconduite sous une autre forme l'année suivante, sous le nom de “Festival des neiges”. L'idée est copiée aux Arcs et aux Ménuires. Jusqu'en 1974, il se déroule toute la saison avec un concert par semaine ou par quinzaine. L''ORTF, qui apporte son soutien technique, retransmet certains concerts.
Les résultats sont là : stars de la chanson, grands sportifs, acteurs, et hommes politiques se bousculent pour être vus à La Plagne. Certains viennent une fois, d'autres reviennent régulièrement et plus discrètement. La liste serait trop longue. On peut citer, outre Sylvie Vartan et Claude Luter, qui viennent dès 1963, Mylène Demongeot qui sera Marraine de La Plagne, Marlène Jobert, Michel Constantin, Marina Vlady, Jacques Laffite... Du côté politiques, nous avons déjà mentionné Gaston Monnerville, il faut ajouter Jacques Chaban Delmas ou Alain Peyrefitte. Laurette Paviet se souvient d'une anecdote cocasse à son sujet : “Il venait en vacances et devait partir un soir avec toute sa famille, mais il n'y avait plus de taxi. Mon père les a descendus en estafette ! Ils ont tous voyagé jusqu'à Aime au milieu des cagettes de pommes !”
Arlette Ratel et les époux Monerville
(Photo Arlette et Jean Ratel)
Si c'est Pierre Leroux lui-même qui donne des cours de ski à Peyrefitte, en demandant à Jean Ratel, qui les accompagne “de ne surtout pas le dépasser !”, c'est Arlette qui est choisie pour accompagner Gaston Monnerville. C'est pour elle un excellent souvenir : “Il louait ses skis, mais gardait toujours sa propre paire d'immenses bâtons. Il était très drôle. Pendant un cours, Jean Plouton, qui était correspondant pour le Dauphiné, est arrivé. Monerville se retourne vers moi, et me dit : 'Arlette je vous avais bien dit que j'étais ici incognito !' J'étais un peu gênée... Et puis subitement il s'est retourné vers Jean et lui a demandé 'Comment voulez-vous que je me mette pour la photo ?” La Plagne aurait même dû recevoir, à l'Orée des Pistes, Bobby Kennedy, le frère de JFK, invité par l'épouse d'Emile Allais. Arlette Ratel, l'une des rares monitrices anglophones l'aurait accompagné... Tout avait été organisé quelques mois seulement avant son assassinat en Juin 1968.
Au fil des années, l'équipe des hôtesses s'étoffe et change. En 1969, Yves Nouchi décrit la Maison du tourisme comme “l'agence de renseignements et le point de ralliement de tous les rouspéteurs” et ses hôtesses comme “les petites fées de La Plagne.” Pendant ces années, Mireille et ses collègues sont mobilisées de jour comme de nuit : “Nous n'avions pas d'horaires, et c'était parfois jusqu'à 2 h ou 3 h du matin.” Une anecdote illustre leur rôle multitâches : “A l'occasion du Festival des Neiges, lorsque les musiciens du Quatuor Via Nova arrivent dans leur chambre, il n' y a pas de rideau occultant aux fenêtres... Et bien je suis descendue à Moûtiers chez un marchand de tissus, nous avons toutes tiré l’aiguille et le soir même les rideaux étaient posés. Nous étions sur tous les fronts ! C'était enthousiasmant pour un premier job. J'étais venue pour une saison, 40 ans plus tard j'étais toujours là !”
Le France en 1969
(Document APLP)
Pendant cette période intense, La Plagne continue sa croissance. Par exemple avec l'Hôtel Le France, dont les travaux commencent à l'été 1967, pour une livraison prévue à Noël 1968. Un projet gigantesque de 80 chambres et 215 appartements, porté par la Compagnie Générale Transatlantique, qui possède aussi le paquebot du même nom. Une plaquette de promotion éditée en 1967 vante le projet : “Au France de La Plagne vous passerez les plus heureuses vacances de votre vie. Le France est le dernier né, le plus grand, le plus moderne des immeubles de La Plagne. Il comportera ses restaurants, ses bars, ses salons, son night-club, ses boutiques et ses traiteurs.” Son inauguration est un événement, couvert là encore par Le Monde le 16 Janvier 1969. Mais l'expérience tourne court. L'hôtel n'occupe finalement qu'une partie de l'immeuble, le reste étant vendu sous forme de studios. Deux ans après son ouverture, le conflit entre les gestionnaires aboutit à la nomination d'un administrateur judiciaire, qui confie la gestion de l'hôtel à Marcel Burnet. Malgré son luxe et sa bonne réputation, le France ne trouve pas sa clientèle et la Transat finit par céder la totalité du bâtiment à la SAP.
Gardant néanmoins à l'esprit l'objectif de faire de La Plagne un véritable village, et non un vaisseau sans âme, on construit même une chapelle. Inaugurée le 23 Décembre 1966, intégrée au cœur des galeries par Michel Bezançon, sa conception et sa décoration est confiée à Pierre Guariche. Innovante et accueillante, cette chapelle rayonne de clarté et offre la générosité d'une modernité intemporelle. La station n'avait jusque-là pas de lieu de culte en bonne et due forme. Selon le plan des galeries, un espace entre les commerces, au sous-sol, était dédié à une chapelle provisoire. Le prêtre, l'Abbé Veyrat, fréquente beaucoup ce premier lieu, où se trouve aussi, le bar et la crèmerie de Jacques Paviet. Edmond Broche le décrit comme “un bon vivant, qui commençait toujours par mettre la bouteille de rouge sur la table ! C'était aussi une force de la nature ! Il avait les mains comme trois fois les miennes...et quand il vous tapait sur l'épaule...” Yves Nouchi fait de lui un formidable portrait : “La soixantaine, solide comme les mélèzes de Tarentaise, courageux comme Don Camillo, gourmet comme le curé de Cucugnan, aussi clair et libéral dans ses sermons que redoutable et intrépide sur la route de La Plagne, alpiniste, parachutiste (...) et grand buveur devant l'Éternel, tel est Joseph Veyrat !” L'Abbé peut donc aisément concilier ministère divin et convivialité. Laurette Paviet ajoute même : “Notre bar servait de confessionnal ! Les clients attendaient au comptoir, et l'Abbé Veyrat les confessait dans la cuisine !” Lorsque le temps lui permet, le culte catholique se tient à l'extérieur, ou dans d'autres lieux : par exemple le mariage des époux Ratel a lieu, lui, à l'Orée des Pistes.
Enfin, l'année 1968, est marquée par le lancement d'une deuxième station : Aime-La Plagne, surnommée depuis 1966, “le Paquebot des neiges”, ce que revendique son créateur, Michel Bezançon. Plagne Centre était construite sur le territoire de Macôt. A Aime, Pierre Borrione attend son tour : sa commune s'étend jusqu'à 2.300 mètres d'altitude, et le lieu de la future station est tout trouvé. Mais les contraintes du terrain sont nombreuses, et Michel Bezançon doit s'adapter : “Aime-La Plagne a été construite sur un plateau pour lequel les analyses géologiques ont mis en évidence un terrain gypseux qui risquait de s'effondrer à terme. Il ne restait qu'une zone de 220 mètres de long et de 50 mètres de large pour bâtir. Or, comme la commune, pour toucher des subventions pour la route, devait avoir au minimum 2000 lits, l'équation était simple : il fallait faire un ensemble monolithique. En plus Borrione avait souligné que c'était un endroit où il faisait très mauvais, sujet aux tempêtes, avec des congères... Il fallait construire quelque chose d'abrité. C'est le site qui commande l'architecture. Tout ceci nous a amené à faire un univers proche de l'Unité d'habitation de Marseille signée Le Corbusier, avec une coursive horizontale, des galeries marchandes, sur lesquelles débouchent escaliers et ascenseurs.
Première maquette d'Aime-La Plagne en 1966
(Photo Michel Bezançon)
C'est un univers clos, qui, je vous l'assure, pendant les tempêtes est très agréable à habiter, d'autant plus qu'on l'a relié à La Plagne par un téléphérique. Bien sûr ce n'est pas le chalet ! Mais c'est mieux qu'un immeuble, parce que c'est un village. Si le mot Paquebot des neiges est venu, c'était pour évoquer la croisière, dans la tourmente, dans la montagne. Navire, paquebot, tout tournait autour de cette notion de croisière dans la neige. On lui avait donné cette forme pour que les appartements de copropriété (la moitié à l'époque), qui sont situés sur les angles, aient des terrasses.”
“Qui a été le personnage courageux dans cette aventure ? C'est le promoteur. Parce que moi je réalisais un rêve, qui avait plusieurs formes. La première, en 1964, était un mille-pattes qui se baladait dans la montagne, avec des pilotis triangulaires. Une fois qu'on commençait la construction, il fallait la terminer, sans savoir si ce type d'habitat aurait du succès... Aime-La Plagne se voit de très loin, de Bourg Saint-Maurice, et l'idée était qu'on ne la remarque pas de jour. Ce pourrait être une falaise ou quelque chose comme ça.” Entre l'été 1968 et la fin 1969, le bâtiment a été construit en un temps record, à raison de six studios par jour. Pour Raoul Bugny, qui était alors chef de chantier chez Pégaz et Pugeat : “c'est l'un des meilleurs chantiers qu'ait fait l'entreprise.” Là encore, le temps de travail n'était pas compté, et on travaillait parfois même certains dimanches matin, lorsqu'il fallait terminer les opérations de la veille. “En 2000, Pegaz et Pugeat avait encore ce bâtiment comme référence pour leurs cadences. Ce chantier a été un laboratoire. Toutes les opérations étaient chronométrées : tant de temps pour couler un mètre cube de béton...”
La station doit ouvrir par tranches. La première, comptant 114 appartements, est livrée en Décembre 1969. La SPEI est aux avant-postes pour commercialiser les logements avant même le début des travaux. Mireille Martzolf s'en souvient : “Aime 2000 avait un grand succès. Nous vendions avec facilité les appartements sur plans. On accédait en chenillette avec les futurs acquéreurs sur le site d’’Aime 2000 où se trouvait une table d'orientation face au massif du Mont Blanc. Ensuite nous redescendions, pour leur montrer la maquette et les plans, et visiter l'appartement témoin dans la galerie, et on signait. D'ailleurs les clients achetaient souvent deux studios, face à face, l'un au Nord, l'autre au Sud. C'était fantastique ! Le concept d'Aime 2000 plaisait beaucoup, avec sa galerie offrant un panorama grandiose sur le Mont Blanc...” Les plaquettes de promotion insistent sur la modernité du projet : “Résolument d'avant-garde, Aime-La Plagne, la station de ski de demain (...) ensoleillée, sportive, hardie, surprenante, parfaitement intégrée à la montagne.”
La galerie d'Aime 2000 en 1971
(Photo L'Œil de Février 1971)
Florence et Emmanuel Benglia y séjournent dans un studio dès le premier hiver : “C'était un folklore absolu ! Les commerces étaient installés dans les caves, on mangeait au restaurant des ouvriers des couscous fabuleux... Dès le début nous avons connu une vraie vie de village.
Ça semble pourtant incroyable dans ce grand bâtiment ! Tous les propriétaires se connaissaient... Je me souviens d'une grande soirée raclette. Nous étions huit au départ, nous nous sommes retrouvés à vingt-et-un à la fin ! La station était moins encombrée : il y avait moins de commerces, et beaucoup d'espaces dégagés, où les jeunes s'asseyaient sur la moquette.”
On l'aura compris, cette période de lancement suscite beaucoup de nostalgie, tant la station a évolué depuis. D'ailleurs, le premier à le regretter n'est autre que Michel Bezançon, qui a vu le bâtiment se dégrader au fil du temps, et surtout vu pousser autour des immeubles qui n'auraient, selon lui, jamais dû être autorisés. Il avoue tristement : “autour du Paquebot il était interdit de construire. J'avais tenu le coup pour qu'on ne fasse rien, mais quand je suis parti en 1986, les Maires se sont dit : le chat est parti, les souris dansent et on a commencé à faire ces horreurs... On a détruit la qualité du produit. Si Aime-La Plagne est un Paquebot, il y a un certain nombre d'épaves qui se sont échouées autour ! Aime 2000 n'a pas été entretenue comme il l'aurait fallu. La galerie marchande, une architecture ultra-moderne, que Pierre Guariche avait dessinée d'un bout à l'autre s'est détériorée d'une façon hallucinante... Elle avait été présentée dans la revue l'Œil comme un chef d'œuvre, c'était tout un monde qui n'est pas du tout celui qui existe à l'heure actuelle.”
Aime La Plagne en 1970
(Photo Jean Bieaugeaud)
1969
Les années 1960 se terminent. Leur ambiance si particulière reste unique pour tous ceux qui les ont vécues à La Plagne. Nostalgie ? Peut-être. Mais le constat est unanime, il y a un avant et un après. L'atmosphère change, la clientèle, plus nombreuse, évolue et les liens se distendent. Avec les années 1970 viendra la crise économique, et on connait la suite. Dans la mémoire de beaucoup reste figée l'atmosphère de cette époque qui semble bénie. On la retrouve aussi avec nombre d'articles de journaux ou d'ouvrages consacrés à La Plagne. Deux exemples. Le premier, incontournable, est un ouvrage d'Yves Nouchi publié en 1969. C'est une sorte de Guide du Routard de La Plagne, qui référence tout ce qu'il y a à voir, à faire, à savoir. Impossible de tout dire. Quelques citations émaillent déjà ce récit, mais c'est une lecture idéale pour se replonger dans l'ambiance. Le second exemple est tiré du journal Le Monde, qui publie le 13 janvier 1969 un long article de Charles Vanhecke, intitulé “Jeux de Plagne”. Il écrit : “Manger une fondue, danser le jerk et faire un dernier schuss au clair de
lune.
Le premier panneau de la Gavotte
(Photo RG)
Ainsi traqué de jerk en schuss, et de bowling en drug, le seul
ennemi de La Plagne, on le devine c'est l'ennui. (...) Les boites de nuit font partie des galeries
marchandes. L'une a son plafond tapissé de papier argenté, pour faire fête, une autre où l'on s'allonge au lieu de s'asseoir.” La Plagne compte quatre boites : il est bien difficile de suivre leur évolution avec exactitude, car elles changent de propriétaires sans cesse. Aussi, les noms de ces établissements sont-ils nombreux :
Le “Whisky à gogo”, “le “Shuss”, le “Sunny Club”, le “Pop”, le “Scotix”, la “Rhumerie”, le “Tavaillon”, le “Jet 73”... Il n'y a plus de boite de nuit à Plagne Centre depuis plusieurs années, et il n'y en a plus guère que deux ou trois dans les autres stations d'altitude, et encore pas du même genre. Certains diront que l'époque n'est plus la même, d'autres qu'on ne sait plus s'amuser...
Pour la SAP, 1969 est une nouvelle année d'investissements conséquents. Avec l'ouverture de la première tranche d'Aime-La Plagne, l'effort de développement est notamment mis sur ce secteur : on construit les télésièges deux places du Biolley et du Colorado, le téléski des Crêtes et on ouvre six nouvelles pistes : la Canopée (en parallèle de la Carina), la Capella, les Coqs, les Etroits, la Gavotte et la Pollux. Quant au téléski Télé-Ecole, il est déplacé. Autour de la nouvelle station, que l'on veut résolument sportive, une piste de vitesse est ouverte ainsi qu'un stade de saut avec trois tremplins. La piste Farandole est redessinée, et accueille “un stade de descente permanent. Les touristes pouvaient aller s'y entraîner lorsqu'ils le voulaient. Bernard [Murzilli] l'a tenu pendant une ou deux saisons” se souvient Sophie Murzilli. La SAP a construit en 1967 le premier téléski des Bouclets, qui sera doublé et même triplé, puis en 1969 celui des Charmettes. La grande piste noire existante est alors modifiée, et prend le nom d'Emile Allais.
Robert Legoux et Henri Perrin en 1972
(Photo Michel Bezançon)
La réorganisation administrative de La Plagne se poursuit, avec le départ de Jacques-Yves Bérard son directeur depuis 1961 : "J'ai le sentiment que mon temps est fini. Depuis le début j'étais un peu celui qui couvrait tout. Or, La Plagne est en train de se découper, et il n'y a plus besoin de ce rôle de pivot. La SAP s'est recentrée sur les remontées mécaniques et l'immobilier, elle a vendu ses commerces... Je pars donc dans des conditions tout à fait cordiales." A mesure que la SAP se désengage, les communes endossent de plus en plus de responsabilités dans les routes, les transports, les déchets...
Henri Perrin devient directeur de la station, c'est à dire directeur de la Société d'Aménagement de La Plagne. Sorti de l'ENA en 1964, et devenu administrateur civil, il est passé d'abord à Chamrousse et l'Alpe d'Huez, avant d'être l'un des responsables de l'organisation des Jeux de Grenoble en 1968. Son rôle est différent de celui de Jacques-Yves Bérard : “Perrin lui a été davantage un ambassadeur, faisant du relationnel entre les différents décideurs... La Plagne n'avait plus besoin d'un ingénieur ou d'un commercial, mais d'un administratif.”
“C'est le premier et le seul directeur de station que nous ayons eu” rappelle Patrice Weiss. “Il était directeur général de la Société d'Aménagement de La Plagne, mais pas seulement, car il avait réussi à gagner la confiance des trois Maires. Avec Perrin et Borrione (parfois Perrière et Mudry), nous nous voyions une à deux fois par semaine.” Henri Perrin et Robert Legoux, fins connaisseurs des procédures administratives et financières, font largement profiter La Plagne des subventions de l'Etat, et notamment du FAL, le Fond d'Action Locale, créé en 1969. La complexité de ses modalités d'attribution dépasse nombre de décideurs de stations : Henri Perrin, lui-même, avouera sa perplexité au géographe Rémy Knafou. Toujours est-il que grâce à l'étroite collaboration entre le promoteur, le directeur de la station et les communes, le Syndicat intercommunal va “opérer de véritables razzias dans la dotation nationale du FAL” : en 1971, La Plagne obtient 5,5 millions de Francs, soit 40% de la dotation ! “Plus on construisait, plus on touchait d'argent ! Et nous étions la seule station à pouvoir doubler chaque année notre nombre de lits...” Grâce à cette manne, La Plagne a pu financer ses grandes infrastructures, comme le Télémétro, et plus tard la télécabine de Bellecôte...
Qui sont les salariés qui travaillent à La Plagne ? La réponse est donnée par une enquête menée à l'initiative de Patrice Weiss pendant l'hiver 1969/1970. Sans surprise, l'hôtellerie et la restauration (40 %), la SAP, l'Office du tourisme ou l'école de ski (20 %) et les commerces (18 %) sont les principaux employeurs. Cet hiver-là, on recense encore 58 salariés du bâtiment. L'activité de La Plagne génère au total 680 emplois, soit davantage que l'objectif du Docteur Borrione d'environ 500 emplois. Pari gagné. On est davantage surpris par leurs origines géographiques : les employés originaires des communes du syndicat intercommunal sont minoritaires (25 %), largement devancés par les non Savoyards (55 %). “Au début, on a eu du mal à trouver des employés pour les hôtels, pour les commerces, pour l'école de ski... Beaucoup sont venus d'ailleurs. J'ai accordé des crédits à beaucoup de gens extérieurs à la vallée” rappelle Jean Ratel. Il y a pourtant eu dans le canton et toute la Tarentaise, un réel engouement pour la station, comme l'illustre l'explosion du nombre de licences de taxis accordées par la commune de Macôt en 1961.
Le stade et son mélèze en 1968
(Photo du fonds André Martzolf)
La cohabitation entre les gens du pays et les touristes n'est pas toujours aisée. Raoul Bugny, s'en souvient : “En hiver, sur les chantiers, on ne travaillait pas le dimanche, alors j'allais aux remontées mécaniques. Les touristes nous prenaient vraiment pour des ploucs. Ils se foutaient de nous parce qu'on était mal habillé. C'est ce qui m'a décidé à ne pas entrer à la SAP.” Tous ces saisonniers sont incités très tôt à apprendre l'anglais. Comme le rappelle André Broche, le Docteur Borrione n'y était pas étranger : “En 1968, il m'a soigné pour une fracture des orteils. Nous avons discuté un peu. Il m'a demandé ce que j'allais faire, et on a parlé de ski... Il m'a dit que si je voulais en faire mon métier et être moniteur, il fallait que j'apprenne l'anglais. Il était le premier à me donner ce conseil. Le second s'appelle Pierre Leroux. En 1971, pour entrer comme permanent à l'école de ski, il m'a demandé de signer un engagement à apprendre l'anglais, ce que j'ai fait.”
La commune de Champagny rejoint le Syndicat intercommunal. La structure change de nom pour devenir le Syndicat Intercommunal de La Grande Plagne (SIGP). La crise économique est moins sévère à Champagny qu'en Tarentaise, et les perspectives moins sinistres. Tout le monde a pu constater, depuis l'ouverture du Parc, l'importance du tourisme pour garantir l'avenir. Jamais l'administration n'aurait pu imaginer un rapprochement entre deux vallées si éloignées par la route, et pourtant si proches ! Invités à découvrir le versant de Champagny par Alfred Ruffier-Monet, un jeune moniteur, André Martzolf et Edmond Blanchoz avaient proposé en 1968 au Maire de Champagny, Michel Renaud, de créer des pistes et des remontées mécaniques sur sa commune. “Ils sont venus... et ils voyaient le soleil ! C'est intéressant le soleil en hiver !” note Alfred Ruffier des Aimes qui est alors conseiller municipal. Le Maire de Champagny est favorable au rattachement avec La Plagne, mais il refuse de donner son accord. Il n'a pas évoqué ce point lors de la campagne électorale et ne se sent pas assez légitime. Alfred Ruffier des Aimes ne se souvient pas d'une forte opposition, mais juste d'une peur diffuse : “convaincre les habitants n'a pas été trop difficile. Il n'y a pas eu d'expropriation, on nous garantissait un forfait réduit et même le versement d'une prime de survol de nos terrains pour les câbles des remontées... En plus, le Conseil municipal était unanime.” Michel Renaud organise quatre réunions d'information, puis un référendum. C'est un succès : 77 % des votants donnent leur accord au rattachement à La Plagne.
Dauphiné Libéré du 5 Janvier 1971,
à droite Edmond Blanchoz et Michel Renaud
(Document Edmond Blanchoz)
Le Maire va procéder à un développement original et respectueux du site de Champagny, en toute indépendance. En 1976, Le Monde rend hommage à sa méthode dans un article consacré aux architectes consultants mis à la disposition des élus : “M. Renaud, maire de Champagny, se distingue en Tarentaise pour avoir résisté aux appétits de puissance du promoteur d'une grande station, La Plagne. La commune de Champagny (le Bas et le Haut) s'étale sur un versant ensoleillé en face de Courchevel. Trop de soleil, pas assez de neige pour faire une vraie station.
Mais elle possède, sur son territoire, le glacier de Bellecôte convoité par les promoteurs de La Plagne installée sur un autre versant de ce massif. Au lieu d'accorder au promoteur ce qu'il demande - une route (300 millions de francs), l'équipement du glacier et la construction d'une station d'altitude au-dessus de Champagny-le-Haut - M. Renaud, le maire, qui fait aussi les 3 x 8 à l'usine de dynamite de Bozel, refuse de vider sa commune de toute substance et retourne les termes de l'échange.
Contre l'équipement du glacier, il obtient un télésiège de 2 kilomètres de long (coût : 130 millions de francs) qui permettra à ceux qui logent dans son village de skier là-haut, sur le glacier. En bas, au pied du remonte-pente, il aménage un lotissement communal, extension harmonieuse du village dont les plans sont confiés à M. Hardy, l'architecte consultant. Entreprise complexe, où l'architecte a tenté de recréer l'ambiance des villages anciens avec leurs maisons collées les unes aux autres. Un développement sur mesure, réalisé par des entreprises locales, la multiplication des gîtes ruraux (il y en a déjà cinquante) : Champagny montre l'exemple. Nous ne sommes pas pressés, dit le maire. Si on met vingt ans, cela ne regarde personne. Vous comprenez, on reste chez nous. On n'est ficelé par personne... L'exemple sera-t-il suivi, par exemple, à Naves, près d'Aigueblanche, qui nourrit des projets à la fois modestes et ambitieux ?”
Vue sur le secteur de Champagny en 1968
(Photo du fonds André Martzolf)
Le télésiège de Champagny en 1984
(Photo Famille Vassard)
1970
Les travaux d'aménagement du domaine de Champagny commencent au printemps. La SAP crée neuf pistes et trois remontées mécaniques : le téléski des Verdons (pour le retour à La Plagne), le téléski des Borseliers et le télésiège de Champagny, “l'un des plus longs et des plus vertigineux des Alpes” selon Claude Bannières du Dauphiné Libéré. L'appareil, mis en service en Décembre, est inauguré officiellement le 5 Janvier 1971. Il est long, lent et froid et les files d'attente sont souvent interminables, si bien que la SAP prend l'initiative de distribuer des couvertures à la demande. Pour La Plagne, le développement de Champagny est une excellente opération. La brochure de l'hiver 1970/1971 vante un “accroissement fantastique du domaine skiable.” Côté village, deux résidences sont construites dans les premières années, pour compléter l'offre hôtelière déjà présente, mais insuffisante. Suivront plusieurs lotissements, toujours sous supervision municipale (Planchamp...).
La seconde tranche d'Aime-La Plagne est livrée, et le Docteur Borrione l'inaugure officiellement le 20 Décembre, en présence de deux Ministres (dont Joseph Fontanet) et du Préfet, à qui il souhaite la bienvenue dans “le nouveau hameau d'Aime 2000.” Le Monde y consacre un petit article, présentant Aime 2000 comme “une station sans pollution [dont] les huit cent vingt-trois appartements, la galerie marchande, les boutiques et l'hôtel sont entièrement chauffés à l'électricité. Les terrasses et les abords seront en permanence dégagés de leur neige par des circuits électriques.” Quoiqu'il en soit, le choc pétrolier sonnera le glas de cette dernière innovation. On inaugure aussi le Télémétro, qui relie la station à Plagne Centre et qu'un prospectus décrit comme “un téléphérique ultra-moderne, ouvert 24h/24”. C'est une innovation de Denis Creissels, l'ingénieur qui bouscule alors le petit monde de la conception des remontées mécaniques, au point d'être mis longtemps sur la touche par Maurice Michaud lui-même, comme le rappelle Philippe Révil dans “Les pionniers de l'or blanc”. Léger, automatique, silencieux, le Télémétro détonne. Il est amarré aux deux stations qu'il relie, et on l'emprunte aussi facilement qu'un escalier d'intérieur, dans la continuité des galeries. Il a d'ailleurs été décoré par Pierre Guariche, sur le modèle d'Aime 2000. Sa construction a été décidée l'année passée par le Conseil municipal d'Aime, après un très, très court débat. Dans le livre d'Edmond Blanchoz, Max Jannot, successeur du Docteur Borrione à la mairie le raconte : “Je m'en souviens parfaitement car c'était ma première réunion de Conseil municipal et je devais faire passer, aux autres élus, ce projet de onze millions de Francs. J'ai d'abord traité tous les autres petits dossiers, avant de présenter vers 23h30 le Télémétro. Le Conseil était alors saturé par un long débat sur le problème du ruisseau qui devait être curé pour un budget de 750 Francs et pour lequel chacun était concerné. Si la discussion sur le ruisseau et le petit pont pour les vaches, dont les planches devaient être transversales, dura trois quarts d'heure, celle portant sur le Télémétro n'a duré qu'une minute et demie !”
1971-1981 : la décennie d’expansion
Montalbert dans les années 1970
(Document APLP)
1971
Dix ans après le lancement de La Plagne, la Société d'Aménagement se tourne vers la commune de Longefoy.
Élu en 1953, le Maire, Maurice Loyet, se heurte à un sérieux problème foncier : “La grande partie des terrains était privée. Seul le haut était communal. Avant d'autoriser le passage de pistes de skis sur leurs terrains, les propriétaires nous demandaient ce que ça allait leur rapporter, et nous disaient souvent que le ski c'était pour les étrangers, et pas pour les gens de la commune. Ça n'a pas été facile du tout !” Le climat est d'autant plus lourd, que la commune sort à peine d'un remembrement agricole plutôt douloureux. Maurice Loyet souligne le rôle décisif des jeunes générations, pour convaincre les parents et les grands parents : le ski et le tourisme c'était l'avenir, et ils en étaient bien conscients. “Tout doucement, tout doucement, à force d'arguments, ça a fait boule de neige...”
L'autre problème est d'ordre financier. Christian Combet est depuis 1966 l'agent de l'ONF et le secrétaire de la Mairie : “Longefoy était une commune très pauvre, dont le budget était alimenté à 75 % par la forêt. Pour se développer il fallait l'aide du Syndicat Intercommunal. Alors, Maurice Loyet a organisé une réunion avec les habitants et les autres maires, pour demander officiellement leur appui. Mais Albert Perrière lui a répondu que ce n'était pas le rôle du Syndicat intercommunal, et qu'il fallait trouver une autre solution. Macôt avait obtenu la caution des autres pour sa route, mais Longefoy voulait plus que la caution, le financement... La solution, on l'a trouvé grâce au Sous-Préfet Creyssel, qui nous soutenait depuis le début : la création de centres de vacances et de colonies...”
Or, les exigences de La Plagne sont très précises. On demande à Maurice Loyet : “1.000 lits pour le premier téléski, ce qui est énorme pour une commune qui n'a rien du tout ! On a bien compris le problème, mais il a fallu les trouver ces lits !” Comment convaincre des collectivités locales d'investir au-dessus de Longefoy, à 1600 mètres d'altitude, alors “qu'il n'y avait rien du tout” de l'aveu même du Maire ? La chance joue en faveur de la commune. “Ce qui les intéressait à l'époque c'était que les gamins prennent l'air, il leur importait peu qu'il y ait des téléskis ou pas...” Peu onéreuses à développer, peu exigeantes en terme d'équipements, mais apportant les lits exigés par la SAP, les colonies de vacances paraissent la meilleure solution à tous points de vue. La commune possède une parcelle au Dou de la Ramaz qui revient à une association de la ville de Dunkerques. Elle achète 3 hectares à un propriétaire afin de créer un centre de vacances pour le département du Val de Marne, baptisé Centre Jean Franco (du nom du vainqueur du Makalu en 1955, avec Pierre Leroux et sept autres alpinistes). Même chose pour deux parcelles au Gentil, où la Moselle construit un centre de vacances nommé à l'origine Centre Erckmann Chatrian, deux écrivains Lorrains. Christian Combet se rappelle fidèlement de tous les détails. Ainsi, à propos de la négociation pour Jean Franco : “Quatre conseillers généraux étaient venus pour conclure l'affaire, ils sont restés une semaine ! Chaque jour ils venaient nous rendre compte à Maurice Loyet et à moi. Ca avançait, ça reculait... et finalement ils sont parvenus à s'entendre !” Non seulement ces collectivités construisent les centres (750 lits au total), mais elles contribuent aussi largement à l'aménagement des équipements indispensables...
Cette première phase de développement convient à la SAP qui construit les téléskis des Adrets, du Fornelet et du Gentil, avant même que le palier de 1.000 lits ne soit franchi. La brochure de l'hiver 1971/1972 peut alors présenter, avec le lyrisme habituel, la nouvelle extension : “après les débordements illimités en direction de Champagny-en-Vanoise, c'est vers Longefoy-Sur-Aime que vous irez à la découverte d'horizons nouveaux, un autre village savoyard accueillant, accessible par le haut, grâce aux pionniers de La Plagne, qui entendent faire régner l'harmonie entre le passé protégé et le présent réfléchi.” Rien que ça ! A Longefoy, l'idée de créer une véritable station autour du hameau de Montalbert commence à faire son chemin. Mais cela va prendre encore 10 ans !
Du 2 au 7 Mars, La Plagne accueille sa première compétition majeure : les Championnats de France de ski alpin, “ultime éliminatoire avant les Jeux Olympiques de Sapporo” écrit le Dauphiné Libéré. Pour l'occasion la piste Émile Allais (4 kilomètres et 925 mètres de dénivelé entre le sommet du Biolley et les Charmettes) a été largement modifiée, afin d'obtenir l'homologation de la Fédération pour la descente hommes. La descente femmes est organisée sur la piste Carina (2,7 kilomètres et 510 mètres de dénivelés) entre le sommet de la Grande Rochette et Plagne Centre.
La gare de la Grande Rochette
au lendemain de l'incendie
(Photo du fonds Edmond Blanchoz)
1972
Le 19 Mars, en page quatre du Dauphiné Libéré on peut lire : “A La Plagne, un incendie détruit la télécabine de la Grande Rochette. La nuit dernière, à minuit un incendie extrêmement violent a embrasé les installations de la télécabine et le restaurant de La Grande Rochette. En un quart d’heure, tout a été détruit, les câbles-porteurs se sont détachés de la gare supérieure, et se sont abattus sur le sol” poursuit le journal.
Cette soirée fait partie des pires souvenirs de Mireille Martzolf : “Nous avions participé avec le Docteur Tonnenx à un dîner à La Roche et, au retour, en remontant en voiture sur La Plagne nous avons cru voir un feu d’artifice à La Grande Rochette. Martzolf était au volant et je le vois se décomposer. En une fraction de seconde il venait de comprendre qu'il n'y avait pas de fête... Alors ça a été la course... Arrivés à La Plagne nous avons vu les flammes. Le plus impressionnant était le câble se déroulant tel un serpent de feu, terminant sa course sur le front de neige. Martzolf a couru vers un Ratrack, je ne savais même pas qu'il savait en conduire un, et s'est précipité là-haut...” Joël Favre se souvient aussi particulièrement bien de cette nuit : “Une demi-heure après avoir vu des étincelles depuis une cabine du Télémétro, on est sur le front de neige, et la Grande Rochette est toute illuminée. On s'est tous dit qu'il y avait quelque chose qui était en train de cramer. Je ne sais plus à quelle heure de la nuit les câbles ont cassé et sont rentrés dans le sol, à peut-être deux ou trois mètres de profondeur.”
Le Lundi 20 Mars, un article de Claude Bannières, publié en page cinq du Dauphiné raconte en détail cette nuit du 18 au 19 Mars 1972.
“Vers 23 h 15, MM. Lucien Briançon-Marjollet, employé de garde de la Société d'Aménagement de La Plagne et Claude Jouanneau, employé de M. Mario Talenti, gérant du restaurant d'altitude de la Grande Rochette (2500 mètres) furent brusquement tirés de leur premier sommeil à la fois par des crépitements et une vive lueur se reflétant sur la neige : une partie des bâtiments était déjà en flammes. (…) Impuissants, MM. Briançon-Marjollet et Jouanneau assistèrent à l'embrasement violent qui gagna toute la partie supérieure de la gare de la télécabine et du restaurant, ponctué par des explosions de toutes sortes, alcools, bouteilles de gaz, etc...
En bas, à la station de La Plagne, à 1970 mètres de même qu'au satellite d'Aime - La Plagne à 2100 mètres, personne ne remarqua, au début, les flammes qui dévoraient dans la nuit noire la Grande Rochette. C'est vers 23 h 20 que l'alerte fût bientôt donnée par Jean-François Vivet-Gros, Jean-Pierre Burnet directeur du Christina et le moniteur Serge Favre et, très rapidement, grâce aux liaisons extérieures et surtout au téléphone intérieur de la Société d'Aménagement, les secours purent être organisés. A 23 h 45, quatre engins chenillés des Entreprises Pierron partaient à l'assaut de la montagne avec des sapeurs-pompiers locaux, des pisteurs secouristes, des employés des remontées mécaniques, des volontaires, des gendarmes, le docteur Marcel Tonnenx, Henri Perrin et Eddy Blanchoz, de la Société d'Aménagement, et Patrice Weiss, directeur de l'Office du Tourisme. (…)
Pendant l'ascension, à la station, on avait vu se rompre les câbles porteurs de la télécabine devenus incandescents par le foyer et glisser le long de la paroi en dessinant un fantastique ballet pyrotechnique. La foule, prudemment tenue à l'écart, assista donc à la destruction d'un des plus beaux engins des Alpes, au débit de 1.200 personnes/heure avec des cabines célébrées pour leur design, fort heureusement stockées pour la plupart dans la gare inférieure.(…)
Actuellement, toute la machinerie de la télécabine ainsi que les moteurs, apparemment intacts dans leur blockhaus de béton, est hors d'état de fonctionner. Si la partie inférieure du bâtiment de la Grande Rochette est étonnamment intacte, le hall de départ et d'arrivée n'est plus qu'un amas de cendres, en dessous des charpentes métalliques tordues par le feu. Les cabines qui se trouvaient au sommet sont réduites à l'état d'une poussière de quelques millimètres d'épaisseur. (…) Les glaces des baies panoramiques ont fondu. (…)
Les travaux de reconstruction vont démarrer sans tarder, et plus de six mois seront nécessaires.”
La gare de la Grande Rochette au lendemain de l'incendie
(Photo du fonds Edmond Blanchoz)
Danielle Debernard en 1972
(Document APLP)
Pour La Plagne c'est un choc, à la mesure de ce que cette télécabine représentait. Malgré les expertises, la cause du sinistre n'est pas formellement identifiée. Les soupçons se sont portés sur une fuite du propane utilisé dans les cuisines du restaurant “Panoramic”. Les Talenti, contestent cette version : “c'est facile de dire que le feu est parti de la cuisine !” Pour eux, il aurait plutôt fallu chercher du côté d'un petit local de service, où les pisteurs entreposaient du matériel, et notamment de quoi peindre les piquets. Un local chauffé par un radiateur... “Je suis monté en Ratrack avec un gendarme qu'on appelait Napoléon” raconte Mario Talenti. “On était à la moitié du chemin quand le câble a lâché. On est arrivés là-haut alors que l'incendie était presque terminé dans la gare et commençait tout juste dans le restaurant ! D'ailleurs j'ai voulu rentrer pour sauver ce qui pouvait l'être. Le feu ne venait pas de la cuisine !”
La majeure partie de la saison est passée, mais on est à quelques jours de Pâques. “La liaison avec Champagny était interrompue” explique Edmond Blanchoz. “On a réalisé une grande prouesse technique : on a construit, en dix jours, un téléski provisoire sur le Col de Forcle, permettant de basculer sur Champagny. On avait fixé les pylônes sur la neige. En temps normal, il aurait fallu six mois, mais c'était un cas exceptionnel... Nous avons fait marcher les assurances, et la gare a été reconstruite dans l'année.” La nouvelle structure est évidemment moins séduisante : moins de baies vitrées, plus de tôle peinte... Mais en Décembre, la Grande Rochette est à nouveau accessible, un exploit !
Aux Jeux Olympiques de Sapporo, Danielle Debernard, déjà Championne de France, porte haut les couleurs du Club des Sports de La Plagne, en devenant Vice-Championne Olympique de Slalom et en décrochant une médaille de bronze en Géant. Elle sera aussi médaillée aux Jeux d'Innsbruck en 1976. Lorsqu'elle revient à La Plagne, le Club, les moniteurs de l'école de ski et les skieurs lui font un véritable triomphe. On lui offre même son poids en Beaufort à la Coopérative d'Aime.
Illustrations de la plaquette de promotion de Plagne Villages
(Document APLP)
Deux nouvelles stations sont lancées pour la nouvelle saison : Plagne Villages et Montchavin.
“Le projet de Plagne Villages est arrivé au moment où il y avait une hésitation à poursuivre l'aménagement de La Plagne” raconte Michel Bezançon. “La Société d'Aménagement avait rempli ses engagements vis à vis des quatre communes : Macôt où l'on avait construit La Plagne, Aime où Aime 2000 était terminée, Longefoy où avaient été créés des villages de vacances, et Bellentre dont le Maire avait dit : je ne suis pas prêt car je n'ai pas fini de résoudre mon problème foncier. La SAP a hésité à poursuivre, et il y a eu un débat au conseil d'administration. Cette station est une commande de Robert Legoux qui m'avait dit vouloir quelque chose le plus léger possible : un centre commercial tout petit, pas de galerie marchande, ni parkings couverts... Il voulait une station avec des toits à double pente et une organisation en village.” En 1970, Robert Legoux évoquait lui-même ce souhait, en réponse à un journaliste du Monde, au sujet d'Aime 2000 : “Nous préférons plusieurs unités de 4 000 à 5 000 lits, plutôt que la grande station de 20 000 lits, parce que nous assurons ainsi la diversité des ambiances. Bien entendu toutes ces unités seront reliées entre elles par des engins rapides. Et, pour le client, c'est la certitude de trouver des équipements beaucoup plus nombreux que dans une station unique, car chaque point doit être aménagé suffisamment pour rester autonome.”
Le nom initial du projet devait être Super Plagne. Il est abandonné pour Plagne Villages. Et comme on recherche la simplicité presque à l'extrême, le premier immeuble s'appelle Les Hameaux... Michel Bezançon explique que les attentes du promoteur reflètent alors celles de la clientèle : “Les clients de La Plagne avaient changé. Ceux d'Aime 2000 étaient des cadres supérieurs, ayant volontairement acheté des appartements dans des immeubles modernes pour se dépayser. Chez eux, ils habitaient en majorité dans des appartements anciens, traditionnels, avec les meubles de leurs grands-parents. A La Plagne ils recherchaient un cadre plus contemporain. Mais dix ans après, la clientèle qui avait les moyens d'acheter des appartements en montagne vivait dans des bâtiments plus modernes, et pour elle le dépaysement signifiait le retour au style traditionnel. On entrait dans une nouvelle phase, une nouvelle clientèle, celle de gens qui veulent aller en montagne dans le chalet typique, et tout ce que cela peut représenter, le fantasme de la montagne éternelle.” La plaquette de promotion de Plagne Villages conçue par la SIP est d'ailleurs des plus parlantes : elle est illustrée par deux photos d'intérieurs très... traditionnels, avec buffet et mobilier en bois sombre, porcelaine, tapis et cadres aux murs ! On l'assure aux futurs acheteurs : Plagne Villages c'est “l'esprit du village d'hier.” Donat Broche, qui tenait jusque-là une toute petite épicerie à Sangot y monte pour gérer sa première supérette Plagnarde en 1973.
Pour relier Plagne Villages à La Plagne, la SAP construit une remontée mécanique moderne, le Télébus, dont les cabines sont gris métal, ce qui leur vaudra le surnom de “poubelles”. On modifie aussi le téléski des Aollets, construit en 1963 : il est coupé en deux parties au niveau de la route d'accès à la station : la partie haute garde le nom de téléski des Aollets, et la partie basse, prolongée, prend le nom de téléski du Saint-Esprit.
Montchavin est la seconde station a être lancée en 1972. A l'image de Longefoy, Bellentre attend une dizaine d'années avant de songer à la création d'une station. Le projet de Michel Bezançon, se nomme Belle Plagne (contraction de Bellentre et de La Plagne) : une station située à 1800 mètres aux Bauches, sous la forme d'un immeuble horizontal barrant entièrement le vallon. Pour accéder aux Bauches il faut aménager une nouvelle route de près de 10 km, d'un coût colossal. Quant au site retenu, il est isolé et avalancheux. Bellentre renonce. On propose à Auguste Mudry un projet plus bas : une nouvelle station au Chanton, à 1400 mètres. Mais il préfère réhabiliter le vieux hameau de Montchavin, quasiment désert et à moitié en ruine. Le pari de l'ancien député communiste est audacieux. Il veut redynamiser et rajeunir un territoire délaissé et vieillissant. A Montchavin en 1962, la moitié des actifs sont agriculteurs, les autres habitants du hameau sont artisans, ouvriers ou mineurs. 10 ans plus tard, la population s'est presque entièrement renouvelée et les métiers de services sont devenus majoritaires, l'agriculture n'occupant plus qu'un actif sur dix. Pour en arriver à ce résultat, il a fallu créer une station, ouvrir des commerces, et convaincre les habitants de se lancer dans le tourisme.
Les terrains de Montchavin sont privés pour la plupart. Avant de créer une station il faut les racheter. L'air du temps est une aide précieuse : le tourisme de montagne n'a plus ses preuves à faire : La Plagne marche bien, et les touristes affluent. “Mais M. Mudry a eu du mal quand même, pour les acquisitions, pour les pistes, pour les autorisations de survol...” raconte Gérard Rochet. “Il a dû œuvrer tout seul, et ça l'a un peu démoli d'ailleurs...” D'autant que Robert Legoux qui craint les contentieux juridiques liés aux expropriations, décide de ne pas mêler la SAP au développement immobilier de Montchavin. “La station a été faite par la commune, avec un système de ZAC que je pilotais” raconte Michel Bezançon. “A l'époque, c'était le début de Val Thorens, on pensait même à une station plus haute encore. Par conséquent, faire une station en rénovant un vieux village, c'était un peu fou ! Personne ne voulait y aller ! J'ai créé le GEER, le Groupe Européen d'Études et de Réalisation, et je suis devenu le promoteur de Montchavin. Pour obtenir de la SAP la première remontée, il fallait créer 1000 lits.” Les 500 premiers lits sont ceux du VVF, un village de chalets construit sur des terrains privés rachetés par la commune. Le GEER avance tous les frais liés au développement de la station à la commune de Bellentre qui n'a pas les capacités financières suffisantes. “J'avais envisagé une architecture moderne avec de grands toits et de grandes baies vitrées. Mais le Maire m'a donné une leçon : la population locale, ce n'est pas son langage, m'a-t-il dit. Ce qu'il faut, c'est une architecture traditionnelle”.
L'architecte revoit sa copie, et propose de construire les nouveaux bâtiments dans un style proche du hameau réhabilité. Pour compléter ceux du VVF, 500 autres lits sont ouverts en camping caravaneige. Ces premiers hébergements, complétés ensuite par une résidence du comité d'entreprise du Crédit Agricole, donnent à Montchavin une vocation de tourisme social et assurent rapidement son succès. La SAP construit durant l'été trois remontées : le télésiège du Sauget (ou de Montchavin), le téléski des Pierres Blanches et un téléski école. Mais pas encore de quoi relier Montchavin à La Plagne. Grâce à son magnifique domaine en forêt, il n'est guère difficile de trouver des arguments pour la promotion de la nouvelle station et attirer la clientèle : “Montchavin : le ski parmi les sapins, la vie au village.”
Brochure de Montchavin à la fin des années 1970
(Document du fonds André Martzolf)
La tâche d'Auguste Mudry n'est pas achevée. Il lui faut faire revenir tous ceux qui sont partis à La Plagne et dans les stations voisines, les convaincre d'abandonner leur emploi pour le suivre dans son pari : faire de Montchavin une station d'avenir... “C'était un sacré Maire, et les Bellentrais n'ont pas eu peur de se lancer, car il leur avait sacrément facilité les choses.” raconte Lulu Ougier. Il lance un appel à tous les jeunes expatriés. “J'étais pisteur à Tignes depuis 1970” raconte Gérard Rochet. “Avec les Clément-Guy, les Favre, les Marchandet, on est revenu à Montchavin. Il y a eu un appel à candidatures en Mairie pour des pisteurs, quatre ou cinq perchistes, deux commerçants pour une librairie, une alimentation et des moniteurs pour ouvrir une école de ski...”
Pour faire revenir les habitants, il faut aussi leur faciliter l'achat et la rénovation des chalets du hameau. Michel Bezançon décide et fait savoir que son agence “étudiera gratuitement tous leurs permis de construire.” Certains Bellentrais sont sceptiques et hésitent toutefois à se lancer.
Gérard Rochet devient chef des pistes de Montchavin, secondé par Jean-Guy Broche. “Au départ, je n'avais en quelque sorte la responsabilité que d'une piste et d'un pisteur ! Et on ne voyait que cent clients dans la semaine... La première année, on avait un Ratrack qui damait quand il y avait de la neige. Le reste du temps on entretenait avec les rouleaux, au début de la saison, et les grillages à la fin.” Gérard va accompagner le développement du domaine skiable de Montchavin jusqu'à son départ à la fin des années 1990. Chaque piste, chaque remontée : il a pu donner son avis sur tout, même s'il n'a pas toujours été suivi. “Beaucoup de choses avaient été définies dans le plan d'aménagement de 1962. Il fallait juste les financer et les mettre en œuvre. On se concertait avec Martzolf : on passait voir la piste l'été d'avant, une fois, deux fois, trois fois, avec les agents de l'ONF... On marquait les bois, et la coupe était faite. L'année suivante on aménageait la piste... Il fallait bien deux ans.” Interrogé par Pierre et Annie Plinate, André Martzolf raconte la création du téléski de Pierres Blanches : “Le tracé de ce fameux téléski s'est fait depuis le versant d'en face, de nuit ! Le géomètre visait à la lunette et on avait des gens avec des lumières qui faisaient l'alignement des pylônes, certains devaient même grimper aux arbres !”
Brochure de La Plagne de 1973
(Document APLP)
1973
La brochure de l'hiver 1973/1974 annonce avec fierté : “La Plagne double son domaine skiable !” Pendant l'été, la SAP a continué d'aménager le domaine de Montchavin. La station, où vient de s'ouvrir l'Hôtel de 15 chambres “Les 3 Glaciers”, est reliée à La Plagne grâce aux téléskis du Dos Rond et de la Salla, et le télésiège deux places de l'Arpette.
Henri Béguin vient skier à Montchavin dès la première saison. Originaire de Bourg Saint Maurice, il est encore chargé du personnel et de la comptabilité dans une entreprise de bâtiment : “La station me plaisait, le type de constructions qu'on y voyait changeait d'ailleurs. Ce que j'ai aimé c'est le vieux village et le respect de son architecture.” Il se fait licencier, et dépose dans la foulée sa candidature à la Mairie de Bellentre, qui cherche un responsable de l'office du tourisme balbutiant. “Ca ne s'appelait encore que la Maison de Montchavin, une structure encore virtuelle, en raison des faibles moyens financiers de la commune. C'est le GEER, le promoteur, qui nous a pris en charge, puis quand il n'y a eu plus de moyens, une régie communale a été créée et en 1979 nous en sommes devenus les salariés. Je suis arrivé à l'époque qui était encore celle des pionniers, la plus intéressante, avec chaque année des nouveautés et des responsabilités nouvelles : l'animation avec des moyens dérisoires, l'organisation de compétitions, la création d'une garderie, l'ouverture de la piscine... Tout cela était passionnant. Et puis, est arrivée ensuite à une autre période, celle où on gère l'existant. Alors j'ai quitté mon poste en 1990.”
Montchavin en 1972
(Photo Bruno Chêne)
Dès la première saison, le vieux village de Montchavin, où il n'y avait plus que trois feux, retrouve de la vie. Le souhait d'Auguste Mudry de le faire revivre avec ses anciens habitants est respecté. Ils sont prioritaires pour créer des commerces... et souhaitent le rester ! Henri Béguin s'en souvient, amusé : “Au bout de quelques années, ma femme et moi avons souhaité en ouvrir un. Et quelqu'un de Montchavin nous a dit : 'On ne va quand même pas donner un commerce à des étrangers !' Fort heureusement ma femme était de Bellentre... Cela nous a beaucoup aidés ! Et nous avons ouvert une boutique de produits régionaux.” Plusieurs autres ouvrent dès les premières années : l'épicerie des Marchand-Maillet, reprise ensuite par Noel Marchandet, un bar, une maison de la presse, le magasin de skis de Jean-Michel Broche, installé dans l'ancienne écurie du bâtiment communal... La Maison de Montchavin est installée dans la petite cuisine attenante. “La pièce faisait trois mètres par trois, et il y avait encore un vieux buffet, où je disposais les dépliants... C'était authentique !” Puis s'ouvrent plusieurs restaurants : la Bovate, et le légendaire La Ferme, de Georgette Favre, où on déjeune à côté des poules, séparé des vaches par une simple cloison en bois. Pendant des années, Henri Béguin va être le principal artisan de la vie et des animations de la station de Montchavin. Une des premières anecdotes qui lui revient en mémoire illustre son engagement quotidien : “Je me souviens du 31 Décembre 1974. C'était la première projection au cinéma. Nous avions reçu l'écran le matin, et le soir on projetait 'Parfum de femme' de Dino Risi. Dans la salle, alors que les gens commençaient à s'installer, j'étais encore en train de l'accrocher avec l'aide de Simone Arranger, la secrétaire du cabinet Bezançon !”
A La Plagne et à La Roche, le 1er Mars 1973, une page se tourne définitivement avec l'annonce de la fermeture progressive de la Mine étalée sur plusieurs mois. “J'étais le dernier” raconte Edmond Broche. On a tous eu le cœur serré. Du jour au lendemain je me suis demandé ce que j'allais devenir, puisque j'avais décidé de ne pas partir.” De ces derniers mois de la Mine, Carolyne Marin a gardé un souvenir plus joyeux. Son père, malade, est devenu gardien, et la famille occupe les maisons laissées vides : “on changeait régulièrement de maison et on essayait toutes les chambres !” Mais pour ses parents et pour tous les habitants qui partent les uns après les autres c'est un déchirement. “A ce moment-là, il y avait encore 150 personnes. La Mine n'était plus rentable, la fin était programmée, mais ce qui a surtout précipité la fermeture, c'est la station” explique Paul Broche.
Les deux structures sont en fait incompatibles, et le développement de l'une contraint celui de l'autre : il est impossible de construire au-dessus des galeries, et inversement de prospecter sous la station, le risque d'effondrement étant réel. Dès 1962, les échanges sont réguliers entre Michel Bezançon et la Peñarroya, qui attire son attention, à propos de ses plans, sur “le danger qu'il y aurait à construire dans certaines zones” en raison de la présence d'anciennes galeries ou de l'instabilité des terrains. L'exploitation de la mine crée aussi toutes sortes de nuisances.
Plan des zones non constructibles
(Document APLP)
A commencer par le bruit et les vibrations causés par les explosifs, tirés à 50 mètres de profondeur, tout près de la station. “Quand ils faisaient sauter, à 13 heures tous les jours, on l'entendait dans les bâtiments, et ça vibrait !” se souvient Armand Bérard. L'eau qui sort de la laverie est rejetée dans le ruisseau de la Lovatière. Chargée de produits chimiques et de résidus de plomb, elle accroit les risques de mortalité par maladie de la population macôtaise, et développe de nombreux cas de saturnisme. De plus, il s'en dégage une odeur nauséabonde, qui incommode nombre de skieurs passant du côté des Bouclets. Esthétiquement aussi le site pose problème, même si c'est plus anecdotique. Il se raconte que lorsqu'ils achètent un appartement au sommet de l'Everest, Elie de Rothschild et son épouse, actionnaires de la Mine et en même temps de la station, demandent au directeur de faire repeindre les toits rouillés. On peut imaginer qu'ils ne sont pas les seuls à les avoir trouvés disgracieux. Si on ne peut vérifier la réalité de cette demande, on constate les toits de La Roche ont tous effectivement été repeints en vert...
La compétition entre la Mine et la station est réelle depuis le début.
Si le directeur de la société minière assure au Docteur Borrione vouloir “maintenir une coexistence des activités touristiques et minières”, il relate aussi une réunion en Préfecture de Savoie au cours de laquelle on met dans la balance les deux activités : “Monsieur l'Ingénieur Général des Ponts et Chaussées du Département a fait mention de l'éventualité d'une interdiction d'exploiter certaines zones du gisement et déclaré que, d'après lui, il n'y avait pas à hésiter entre les quelques milliards représentés par le tonnage en plomb et les nombreux milliards que représentent pour la région l'implantation de la station. Ces déclarations visent principalement les travaux d'extension projetés (...) où deux sondages se sont révélés positifs.” Armand Bérard conclue : “Ça ne pouvait pas continuer, c'était la station ou la Mine.”
Découle de ces problèmes une question qui continue de faire débat : le rôle des investisseurs, et notamment celui des Rothschild. Pour Lulu Ougier, “Rothschild a choisi de ne plus entretenir la Mine alors qu'il aurait fallu faire des travaux. Il a préféré investir dans la station.” Le 11 Décembre 1972, les syndicats CFDT, CGT et FEN écrivent, dans une lettre au Préfet de Savoie : “La société Peñarroya annonce la fermeture de la mine de plomb argentifère de La Plagne pour le 1er Mars 1973. La raison invoquée est une rentabilité insuffisante de l'exploitation. 173 personnes seront touchées par cette fermeture. Les organisations protestent contre une décision motivée par des raisons de rentabilité qu'il nous est impossible de vérifier et dont nous pouvons tout aussi bien supposer qu'elles servent à masquer une opération immobilière au profit de la Société d'Aménagement de la station de ski située près de la mine, société dont les capitaux ont la même origine (banque Rothschild) que ceux de la société minière.” A cette lettre, l'Ingénieur en chef des Mines de Savoie répond : “La fermeture des Mines est due à l'appauvrissement de la teneur en plomb et à l'échec des recherches qui ont été engagées. Les conditions actuelles du gisement ne permettent plus une exploitation valable au plan économique.” Gilbert Vivet-Gros et Max Jannot confirment et rappellent que la fermeture de la Mine était déjà prévue en 1960. Paul Broche, lui, est partagé : “Le filon principal était un peu épuisé. On faisait des recherches pour en trouver un autre... mais on ne s'est pas trop affolé pour en trouver ! Il y en avait sûrement, mais il fallait le cacher au personnel pour ne pas dire : 'on a trouvé un nouveau filon, mais on ferme quand même...' Ce qui est sûr, c'est que le prix du plomb était en baisse. Je ne pense pas qu'on aurait survécu bien longtemps... peut être seulement quelques années...”
1974
Depuis 1971, dans le vaste et sauvage Vallon des Ours, on débouche après une belle descente de plus de trois kilomètres sur le téléski des Colosses. En 1973 a également été construit un télésiège 2 places, l'Arpette, pour rallier Montchavin. Ces deux remontées sont l'amorce d'une station annoncée dès 1967 sur le plan des pistes : “Les Ours, fin 1971”. Le projet a pris du retard, et ne démarre qu'en 1974. Ce sera finalement Plagne Bellecôte. “Le programme était de 600 appartements en multipropriété. Le site était très étroit, et si on créait une station trop étendue, une partie aurait été dans l'ombre et le ski n'aurait plus été possible” explique Michel Bezançon. “Martzolf et moi, nous savions que cet endroit serait une plaque tournante, compte tenu des différents bassins versants qui revenaient sur cette zone-là. Il était indispensable de ne pas occuper tout le terrain, et de prévoir une densité importante.” Il conçoit un bâtiment très moderne, de 10 niveaux, qui fait penser à un barrage hydraulique. Un nouveau type de station, original, et surtout adapté au site. Michel Bezançon avait un projet plus abouti, et regrette aujourd'hui de ne pas avoir été suivi : “C'est justement à ce moment-là que M. Houbas est arrivé. Il était beaucoup moins visionnaire que Legoux, plus réaliste... et le projet s'est simplifié... dirons-nous ! C'est dommage parce qu'on aurait pu avoir un bel ensemble avec une zone piétonnière mieux organisée, un véritable forum et un théâtre...” Dans cette optique, les toits auraient été aménagés en solarium...
Esquisse du projet de Plagne Bellecôte
(Document Michel Bezançon)
Plagne Bellecôte en 1980
(Photo Vincent G.)
Bellecôte, la première station d'altitude réellement éloignée de La Plagne, offre une opportunité à une nouvelle génération de pionniers. C'est dans cet esprit que commence la station. Parmi les premiers commerçants, qui ne sont pas très nombreux on peut citer : Simon Astier, René Allamand et la championne Ingrid Lafforgue, qui ouvrent respectivement un bureau de tabac et un magasin de sport. Donat Broche investit aussi : “Bellecôte a démarré très fort dès le début. Ma belle-sœur tombait dans les pommes tellement elle devait servir de monde ! Nous avions un magasin encore provisoire. Toutes les cloisons qui séparaient les commerces étaient en bois. A côté de nous il y avait un restaurant... et quand ils mettaient en route leurs fourneaux, ça cuisait mes salades de l'autre côté ! L'année suivante on a ouvert notre supérette définitive, puis dans la foulée, une boulangerie et un salon de thé...”
Après quatre années passées au service des remontées mécaniques, Roger Chenu entre au Club des Sports comme chronométreur et animateur sur le Stade. De son expérience de perchman il se souvient d'un ennui profond : “J'étais au téléski des Charmettes. Entre le moment où j'ouvrais et le déjeuner, je ne voyais parfois passer que 3 personnes !” Son activité au Club des Sports est plus intense. Il a en tout cas laissé de grands souvenirs parmi les jeunes, et notamment à Eric Laboureix, futur champion du monde. “Je me souviens du fabuleux Roger qui animait les flèches, les chamois... sur le Stade de slalom. Lorsqu'on quittait le local du Club des sports, situé sous la gare de la télécabine de la Grande Rochette, on entendait déjà la voix de Roger !'” Eric côtoie alors les enfants de ceux qui se sont installés au début de La Plagne : “les Crétier, Gostoli, Ratel, Robino, tous des gamins avec qui j'ai skié à l'époque !” Leur entraîneur s'appelle Lucien Broche : “Il a entrainé un paquet de champions, il aurait même pu devenir entraineur de l'équipe de France, mais il est toujours resté à La Plagne.”
Suite au premier choc pétrolier, le Bonnet de Décembre 1974 annonce : “Afin de réduire notablement la consommation de fuel domestique, les responsables de la station principale de La Plagne ont pris des mesures afin de garantir un chauffage urbain correct pendant tout l'hiver. La distribution a été réglée de telle sorte que la température n'excède jamais 19°. Par contre dans ce plan d'économies il n'a pas été possible de maintenir en fonctionnement la piscine à ciel ouvert, grosse consommatrice d'énergie (plus de 5% du chauffage urbain de La Plagne).”
La Plagne adopte le forfait adhésif, cinq ans après l'Amérique du Nord et comme une quinzaine de stations de Savoie : “pour faciliter les contrôles et supprimer les fraudes, ce forfait autocollant en deux parties se replie sur une longue épingle pouvant être facilement accrochés aux vêtements.” Une innovation... tout à fait remarquable !
Publicité de Poma de 1975
(Photo Guillaume A.)
1975
A 2700 m, La Plagne ouvre un nouveau domaine loin des stations dans un univers plus sauvage avec l'inauguration le 15 Décembre 1975 de la télécabine de Roche de Mio. Elle aurait dû ouvrir l'année précédente, mais d'importantes chutes de neige ont arrêté les travaux en Octobre 1974. Une fois achevée, c'est celle de tous les records. Poma a livré clés en main un appareil dernier cri : le plus long jamais construit (3,9 km), doté d'un câble d'un diamètre inégalé. Le relief très accidenté de la Roche de Mio a nécessité la construction de 37 pylônes, qu'il a fallu protéger des avalanches. Quant aux cabines en polyester, très originales, elles ont même reçu un label esthétique en 1975...
Bien des années auparavant, on avait demandé à Gilbert Vivet-Gros d'évaluer les possibilités de développement dans ce secteur. Il devait désigner les lieux favorables à l'installation de pistes. Il se souvient de son passage dans la combe au pied de la Crête des Inversens, là où sera implanté le télésiège en 1987 : “C'était le seul endroit où je n'étais jamais descendu. C'était très pentu. J'étais là, tout seul. C'était déjà assez tard dans l'après-midi, et il faisait beau. Il y avait beaucoup de neige et d'énormes corniches. Pour y aller, il aurait fallu en sauter une de trois ou quatre mètres. Je ne suis pas passé. Et tout à coup j'ai vu des chamois qui montaient, et j'ai dit à Borrione : 'si les chamois y montent c'est qu'on peut y passer !'” C'est devenu la piste des Inversens, longue de 5 km orientée plein Nord, aujourd'hui nommée le Tunnel, puisqu'il a fallu percer la Crête des Inversens sur 140 mètres, travaux qui ont duré deux étés.
La télécabine de la Roche de Mio et ses records ne suffisent pas. Elle n'est que le premier tronçon de la liaison vers le Glacier de la Chiaupe à 3000 mètres. Son coût total avoisine les 50 millions de Francs, financé à 15 % grâce au Fond d'Action Locale. L'objectif final reste l'accès au plus haut sommet de La Plagne, pour permettre la pratique du ski “10 mois sur 12” comme l'affirme André Martzolf en Décembre.
Dans le courant de l'année 1975, Robert Legoux cède ses parts et la Présidence de la SAP à Robert Houbas, qui va la garder jusqu'en 1993. La passation de flambeau a été préparée et se fait en douceur, d'autant plus que le mécène-fondateur a choisi son successeur. Houbas est connu dans le monde des affaires comme un promoteur audacieux et habile, il est aussi apprécié par les banques qui constituent le conseil d'administration de la SAP. Enfin, il a été maire de Campan de 1964 à 1971, la commune où est implantée la station de la Mongie. Dès son arrivée, il s'appuie sur deux hommes clés de la société : André Martzolf, évidemment, qu'il conserve à la direction des pistes et Edmond Blanchoz qui devient directeur général.
1976
Pierre Decharne qui cherche un emploi de moniteur est contacté par Alain Rumillat, le successeur de Pierre Leroux à la tête de l'Ecole de ski en 1970. Contrairement aux grandes stations voisines, très courues, La Plagne embauche. Ce n’est pas par choix, mais par opportunité qu’il s’installe à La Plagne : “Je voulais aller à Val d’Isère ou Tignes, que je connaissais et où j’avais des amis, mais ils n’avaient besoin de personne. Je connaissais La Plagne pour avoir régulièrement fait le Col du Palet depuis Tignes. Au retour, on ne faisait que traverser la station, mais je ne la trouvais pas belle et plate… C’est la seule station où je n’avais pas fait de demande… A la fin de ma première saison j’ai même repris mes recherches pour aller ailleurs, sans succès. Je suis finalement resté : la station a beaucoup changé, elle a évolué, et je me suis investi à l'école de ski.”
Jusqu'à la fin des années 1970, les moniteurs de l'école de ski sont les piliers de la station, déambulant dans les galeries en “rouge”, animant les bars après les cours en compagnie de clients - et de clientes - ravi(e)s. Lorsqu'on évoque cette époque, Pierre Decharne constate le changement, avec nostalgie. Les moniteurs ne sont plus ces personnages emblématiques qu'ils étaient. André Broche regrette lui aussi, cette époque bénie : “A l'époque, après les cours, lorsqu'un mari venait prendre des nouvelles de sa femme qui n'était pas rentrée, on lui demandait le nom de son moniteur... et on lui indiquait le bar où il pourrait les trouver ! Souvent on poursuivait au resto, et ça se terminait en boite de nuit. Lorsqu'un collègue prenait une cuite, et qu'il n'était pas là le lendemain matin, on se répartissait ses clients discrètement... Il nous rejoignait dans la matinée. Les clients ne disaient rien, ils ne voulaient pas que leur moniteur ait des ennuis ! L'ambiance a beaucoup changé !” Noel Grand partage ce constat : “on était très présent dans la station entre deux services Après nos cours, il y avait des remises de médailles, et puis on faisait toujours la fête. Aujourd'hui, à 17 h, un moniteur descend dans la vallée... Il y a beaucoup de raisons, mais ils n'ont plus le même esprit qu'avant...” Les hivernants avaient un lien particulier avec les moniteurs, qui a disparu. La principale raison invoquée, c'est que le nombre de cours d'adultes est bien plus réduit que dans les années 60/70. La majorité des élèves sont aujourd'hui de jeunes enfants qui, eux, ne fréquentent pas les bars après 17 h.
Les Côches en 1988
(Photo du fonds André Martzolf)
1977
A la suite du développement de Montchavin, quelques chalets privés ont été construits en amont de la station au lieu-dit les Côches. “C'est parti un peu vite, et dans tous les sens. Il n'y avait pas beaucoup de place pour construire” raconte Gérard Rochet. Pour éviter un développement anarchique, on confie à Michel Bezançon et son équipe l'aménagement d'une nouvelle station. Elle profite des mêmes avantages que Montchavin. En 1981, une pleine page de publicité la vante dans le Nouvel Observateur : “Rendez-vous aux Côches ! Dernière-née des stations intelligentes, tous les chemins de l'immense domaine skiable de La Pagne mènent aux Coches. A 1500 m, une architecture de bois et de pierre qui va bien à la montagne, intègre toutes les techniques modernes (...) et fait une large place aux enfants. Ne manquez pas le rendez-vous avec ceux qui vivent à la montagne et la gentillesse de leur accueil.” Le développement du village initial se poursuivra après le départ de Michel Bezançon en 1986. Il juge sévèrement les aménagements ultérieurs : “aux Côches on a fait n'importe quoi, n'importe où, n'importe comment ! La commune a fait des garages de Ratrack au meilleur emplacement, celui qu'on avait gardé pour construire un jour un hôtel.” Pour relier cette huitième station au domaine skiable, la SAP installe deux téléskis et une télécabine de liaison avec Montchavin. Pour Gérard Rochet, l'aménagement de ces remontées “n'a pas été très réfléchi.” “Tout se focalise sur le plateau de Plan Bois, alors qu'il aurait fallu construire tout de suite un appareil jusqu'au Dos Rond.”
La première édition du “Festival international du film d'aventure vécue” organisé par la Guilde européenne du raid se tient en Décembre 1977. On y récompense des films, puis également des livres l'année suivante. Les jurys du festival sont présidés chaque année, pendant 13 ans, par d'éminentes personnalités : Roger Frison-Roche (à cinq reprises), Paul-Emile Victor, Alain Bombard, Pierre Schœndœrffer, Hugo Pratt... En 1991, probablement en raison d'un différend avec La Plagne, l'organisateur cesse sa collaboration avec la station pour installer le festival à Dijon, où il se déroule depuis lors. La 14e édition en 1991 était prévue et annoncée, mais fût finalement annulée.
La télécabine de Bellecôte en 1985
(Photo Gérard P.)
1978
Jusqu'à cette année 1978, Bellecôte n'est pas un sommet très connu du milieu montagnard, comme le sont la Grande Motte ou le Mont Pourri. Michel Villien-Gros rapporte, dans une de ses très nombreuses chroniques historiques, les propos de l'alpiniste William Collidge : “gravi certainement en 1867, 1878, 1887 et 1894, il semble que le sommet de Bellecôte n'ait reçu à cette époque de visite que tous les 8 à 10 ans. Quel dommage ! Non pas pour ce pic, mais pour ceux qui auraient pu jouir de la vue éblouissante que l'on gagne depuis ce belvédère admirable”. En 1907, Paul Helbronner, autre alpiniste, prédit au sommet une “renommée de premier ordre d'ici 100 ans.” Longtemps “cime de deuxième rang, il n'attire les premières caravanes de skieurs que dans les années 1920.”
La renommée arrive un peu plus tôt que prévue. Les travaux de la télécabine de Bellecôte se sont achevés, de même que la construction de deux télésièges et quatre téléskis. Cet aménagement aura nécessité plusieurs années d'études glaciologiques, menées par un laboratoire du CNRS de Grenoble sur les glaciers de la Chiaupe, de Bellecôte et du Cul du Nant (on pensait à l'époque skier sur le versant Sud de Bellecôte) pour comprendre les mouvements des glaciers et le comportement des masses neigeuses. Elles révèlent une épaisseur de glace confortable allant jusqu'à 75 mètres.
La Plagne détient désormais un nouveau record : celui de la plus longue télécabine du Monde avec 6,4 km. Depuis Plagne Bellecôte, on monte en 40 minutes à 3000 mètres. Ce nouveau domaine est ouvert aux skieurs le 27 Novembre 1978. Il y a peu de neige, mais ils sont malgré tout nombreux. La fête est un peu gâchée par un incident technique sur l'un des téléskis. La station propose alors aux skieurs de terminer leur journée à Tignes, gratuitement. Le Glacier est à nouveau ouvert le Dimanche suivant, cette fois sans encombre. Quant à l'inauguration officielle elle se déroule le 16 Décembre, avec une cérémonie en grandes pompes : accueil de la presse à 10 heures, visite à ski du site et des nouvelles installations, inauguration officielle à midi en présence du Ministre du Tourisme, suivie d'un buffet.
Dans “le Bonnet” de Noël 1978, on prend la précaution d'avertir les skieurs au sujet de ce nouveau domaine “qui ne doit pas être abordé comme les autres secteurs”, dont les pistes “du fait de leur pente raide, ne peuvent pas être travaillées aux engins de damage, se creusent et sont parfois difficiles à skier”. Les skieurs de niveau moyens sont invités à essayer d'abord les pistes en “G5”, c'est à dire au Col de la Chiaupe. Les touristes sont mis en garde sur ces conditions extrêmes. Mais on s'imagine à tort que les Plagnards sont plus habitués ! Lucile Marin se souvient de la première fois où elle est montée au Glacier : “On n'y allait jamais...! Après ma première journée de travail à l'arrivée de la télécabine, j'ai été malade... Ce n'était pas le froid, mais le mal des montagnes... Je ne voulais pas y rester ! J'ai dit à mon chef : demain je ne monte pas !... Finalement, en persévérant, j'y suis restée.”
Le Glacier de la Chiaupe en 1972, avant son aménagement
(Photo du fonds André Martzolf)
Panneau d'information sur
l'aménagement
des Glaciers
(Photo Vincent G.)
Quatre ans auparavant, La Plagne avait lancé sur Europe 1 une campagne de promotion de grande ampleur avec pour slogan : “les sports d'hiver n'ont plus besoin de l'hiver.” La station veut créer “un stade de neige régional, fiable et ouvert toute l'année, accessible au plus grand nombre et évidemment utilisable pendant l'été”. Le ski d'été est à la mode. La Plagne investit donc pour en faire l'une des principales distractions de Juin à Aout (et évidemment un atout majeur face à la concurrence). Les amateurs auront jusqu'à six remontées mécaniques et neuf pistes à leur disposition. Les trois téléskis du Glacier de la Chiaupe et le téléski du Glacier de Bellecôte, accessibles avec le télésiège de la Traversée sont ouverts la majeure partie de la saison. Dans les premiers jours de Juillet, quand l'enneigement le permet, on propose même aux skieurs de descendre jusqu'au Col de la Chiaupe, et d'emprunter le télésiège du Chalet de Bellecôte. La Plagne adopte alors un nouveau slogan : “le ski des 4 saisons”. La brochure de l'année détaille : “le ski d'avant saison, le ski d'hiver, le ski de printemps et le ski d'été de courant Novembre à fin Aout”, précisant toutefois qu'il faudra prendre en compte l'enneigement et les conditions climatiques.
Les années 1970 s'achèvent sur le second choc pétrolier. La crise s'est installée. Les Trente Glorieuses sont déjà bien loin. Le changement d'époque impose un changement de ton. La Plagne doit repenser sa communication. Le lyrisme des premières années, les promesses de “bonheur”, de “joie de vivre”, d'une station où “vous êtes si bien que l'envie d'en partir ne vous vient pas à l'esprit” et où “tous les loisirs se donnent rendez-vous sans exception du 1er Janvier au 31 Décembre”, laissent place à des arguments nouveaux, conformes aux préoccupations du temps. La présentation de la nouvelle télécabine dans une brochure est ainsi plus terre-à-terre : “vecteur essentiel pour la relance économique de la Savoie” ces investissements “vont entraîner la création de 900 emplois permanents...”
Inauguration de Montalbert
(Photo SHAA)
1980
Depuis 1971, la commune de Longefoy, et son Maire Maurice Loyet, se démènent pour faire avancer le projet de station de Montalbert, mais il s'enlise au fil du temps dans “des palabres, des discussions et des disputes.” Pourquoi a-t-il fallu 10 ans ? “Quand on a lancé les colonies de vacances, nous avons dû installer l'eau, les égouts, l'électricité et les routes. Il n'y avait rien” rappelle Maurice Loyet. “La commune n'était pas très riche, et cela représentait des sommes d'argent considérables.” Or, pour créer une station à Montalbert il faut encore davantage d'argent.
Votée en 1971, la loi Marcelin incitait les communes rurales à fusionner. Le député de la circonscription,
Georges Peizerat, et le conseiller général du canton, Marcel Astier Perret, avaient invité les élus pour en discuter. Christian Combet est lui aussi invité : “Le plan présenté était comme par hasard de fusionner les communes qui ne pouvaient pas se sentir ! Comme par exemple Granier et la Côte d'Aime... et Longefoy avec Macôt et Valezan ! Après la réunion, le Maire m'a demandé alors de convoquer le Conseil municipal pour une session extraordinaire le dimanche suivant. Pour lui il était hors de question d'aller avec Macôt !” Le Conseil est unanime pour la refuser, préférant, quitte à devoir fusionner, se rapprocher d'Aime... Contrairement, à Tessens ou Villette, qui organisent des référendums pour consulter la population, Longefoy laisse maître le Conseil municipal. Maurice Loyet voit lui dans cette fusion l'opportunité de développer la commune et saisit son Conseil de cette question en Février 1973. Mais si les haines sont tenaces avec Macôt, se rapprocher d'Aime est loin d'être évident ! Les deux communes sont rivales depuis des siècles pour le contrôle de l'eau du Bief Bovet, et ont engagé l'une contre l'autre maintes procédures judiciaires. “On en a parlé en conseil municipal, mais ça a été long !” se souvient Maurice Loyet. “Sur onze conseillers, une majorité s'est opposée à plusieurs reprises à la fusion... Le jour où le conseil a donné son accord, c'était par la force des choses... Et aussitôt on m'a accusé d'avoir vendu la commune...” Christian Combet précise : “Ça a été une bagarre monstre ! La fusion a été votée par cinq voix pour, cinq contre, et la voix prépondérante du Maire...”
Lancer le projet proprement dit est une autre affaire. “Ça a été dur dur ! De toute façon chez nous ça a été dur tout du long !” se souvient Maurice Loyet amusé. “Au départ La Plagne a demandé à Longefoy deux immeubles, ressemblant un peu à celui d'Aime 2000, pour attirer du monde... Mais ça ne nous plaisait pas beaucoup !” D'ailleurs, il n'a pas été question de confier la conception de la station à Michel Bezançon, qui, pour les habitants de Longefoy, était beaucoup trop proche de Macôt... On lui préfère les architectes Audrain et Genève, qui s'inspirent néanmoins d'un plan d'urbanisme en fer à cheval imaginé par Bezançon. Quoi qu'il en soit, la commune achète les parcelles pour les futurs bâtiments, mais se heurte rapidement au mécontentement d'autres propriétaires dont les terrains sont prévus pour les pistes de ski... Maurice Loyet, devenu Maire-délégué, tente de trouver un compromis, proposant un prix unique pour satisfaire tout le monde. Rien n'y fait. Son autorité est contestée par tous, si bien que Max Jannot, le nouveau Maire d'Aime, doit s'impliquer personnellement : “Ils ont préféré un étranger...! Je suis allé négocier le foncier avec certaines familles dans des conditions assez étranges. J'avais parfois l'impression de passer devant un tribunal. J'ai même reçu des lettres ou des coups de fil anonymes...”
Les élections municipales de 1977 sont un moyen pour ces opposants d'exprimer leur mécontentement. Maurice Loyet est battu, et remplacé par Jean-Robert Montmayeur, ingénieur et principal opposant à la station. Toute initiative est bloquée. Alors, Max Jeannot décide de provoquer un référendum pour légitimer le projet de Montalbert. Le 31 Juillet 1977, le verdict est sans appel : sur 87 votants, on compte 62 oui, 21 non et 5 votes blancs. La majorité est très nette.
Montalbert en 1982
(Document APLP)
Pour autant, il n'est pas question que la SAP soit le promoteur de la nouvelle station. La commune crée une ZAC et une société d'économie mixte (SEMTA) pour s'occuper de la construction immobilière et rachète l'ensemble des propriétés. “Les prix proposés étaient bas (quatre Francs le m²) et 80 % des propriétaires étaient des paysans encore en activité” précise Jean Montmayeur. Malgré ces multiples rebondissements, et après expropriation des terrains “de 25 % d'irréductibles”, les travaux de la station commencent en Mai 1980. On construit les premiers logements, une supérette, un magasin de sports, et Montalbert ouvre en Décembre. Innovation, la station est gérée par une association de propriétaires (ASP) dotée d'un budget propre majoritairement abondé par la commune. On lui choisit comme logo une sorte d'oiseau stylisé en complément du bonnet plagnard. Un des premiers slogans choisi est “Venez chez nous écouter la montagne”.
“Après elle s'est vite développée, grâce aux habitants de Longefoy, qui ont été les premiers commerçants” ajoute Maurice Loyet.
La SAP qui souhaite construire un télésiège deux places à Montalbert, se heurte à son tour à des difficultés : “l'arrêté de défrichement n'arrivait pas, car l'ONF ne voulait pas donner l'autorisation”. Max Jannot suggère alors à l'agent forestier, qui n'est autre que Christian Combet, de prendre un congé ! “Finalement on a réussi à s'arranger !” dit-il amusé, et Montalbert obtient son télésiège. Il faut dire qu'il était un peu en équilibre : fonctionnaire de l'ONF en poste à Aime, les élus et la SAP l'encouragent à s'investir dans le projet de la station. Christian Combet fait alors office de directeur, mais sans le titre ni le salaire. Il ne prend officiellement la direction de la station qu'à la suite des élections municipales de 1989, à la demande de Jean-Pierre Chenu, poste qu'il occupe ensuite quinze ans. “Montalbert devait se faire en dix ans, il en a fallu vingt-cinq !” Après dix années de négociations, le lancement de 1980 est réussi, mais la station peine à se développer alors que la crise économique s'aggrave. La relance intervient à la fin des années 80, dans la foulée de la préparation des JO.
Maurice Loyet est aujourd'hui très satisfait de s'être battu pour développer la station de Montalbert : “je suis fier surtout d'une chose, c'est d'avoir fait venir des gens à Longefoy, et d'avoir trouvé du travail à tout le monde.” Un chiffre suffit pour mesurer ce succès : “à l'époque il n'y avait plus que treize ou quatorze élèves à l'école, et maintenant ils sont plus de cinquante ! Ça veut tout dire !” Quant aux fâcheries de l'époque elles sont “terminées depuis longtemps, et aujourd'hui tout le monde dit : heureusement qu'ils ont fait la station !”
Publicité pour Belle Plagne
parue dans le Nouvel Observateur
(Document Christian Vibert / SAP)
1981
Une nouvelle station apparaît, à 2050 m, au-dessus de Plagne Bellecôte. Présentée dans les documents de promotion immobilière comme la “8e petite sœur” ou carrément “la 8e merveille”, elle s'appelle Belle Plagne. “Jamais station n'a aussi bien porté son nom” ajoute une brochure.
Il est vrai qu'elle a plus d'un atout. Surplombant la cembraie au-dessus de la dépression creusée par le ruisseau de l'Arc, Belle Plagne est une station de “quatrième génération”. Elle met à l'honneur les matériaux traditionnels : la pierre, le bois et la lauze. C'est “la nouvelle station de La Plagne, qui allie la beauté de l'architecture au confort le plus raffiné” selon les termes de la plaquette de présentation. La campagne nationale de promotion dans la presse a pour slogan : “Village intime,
enfants heureux...
ski-roi !” “Belle Plagne est tout à fait différente des autres stations” explique Michel Bezançon. “On est sur un flanc de coteau bien exposé au Sud-ouest, sur lequel elle est étalée. Entre l'étage le plus bas et l'étage le plus haut vous avez plus de cinquante niveaux ! L'astuce a été de mettre les voitures en dessous, ce qui permet de faire du ski sur le toit des parkings...” Belle Plagne est vraiment “la station à rendre jaloux tous ceux qui ont acheté ailleurs”, comme le dit un autre dépliant.
En Décembre 1981 sont inaugurées les quatre premières résidences : Agathe, Améthyste, Emeraude et Pierre de Soleil. Les commerces s'installent de façon précaire dans Agathe, notamment le magasin de ski d'Armand Bérard. Dès 1982, avec la construction de la gare intermédiaire de la télécabine entre Bellecôte et Roche de Mio, dissimulée dans un bâtiment comme les autres, mais signalée par un beffroi factice, s'amorce ce qui va devenir le centre de la station. Il est conçu comme celui d'un village, avec ses placettes, ses passages et ses rues piétonnes, offrant des perspectives sur le paysage.
Beryl, Corail (1982), Aigue Marine (1983) Onyx, Turquoise, Quartz... La station s'étoffe chaque année d'un ou plusieurs nouveaux immeubles, conçus sur le même type : 3 à 5 étages, bardage bois et pierre, toits à deux pans recouverts de lauze...
Belle Plagne en 1981
(Photo Famille Vassard)
Leurs noms sont d'abord inspirés de la minéralogie puis de l'astronomie avec le baptême de Croix du Sud, Gémeaux, Phoenix, Cassiopée, Comète...
Pourtant, à l'instar de Plagne Bellecôte, exposée aux coulées du Mont Saint Jacques, Belle Plagne est cernée par les couloirs avalancheux du Grand Lognan et des Bourtes. En Janvier 1981 déjà, une avalanche était entrée dans Pierre de Soleil alors en construction. On installe progressivement de nombreux râteliers paravalanches ou des panneaux qui zèbrent les crêtes. On creuse également une tourne en amont de la station en 1984. Malgré ces protections et le plan de déclenchement des avalanches, une autre coulée tue une personne dans Pierre de Soleil en Décembre 1991. Pour ce décès accidentel, des responsables de la station seront poursuivis pour homicide involontaire. La prise en compte des risques naturels était à l'époque balbutiante. En 1981, une erreur de plan avait omis un couloir d'avalanche répertorié depuis 1971, mais deux permis de construire avaient néanmoins été délivrés puis validés par une commission d'experts... Comme souvent il faut qu'une catastrophe ait eu lieu pour que des décisions soient prises. La protection de Belle Plagne est renforcée par des filets et trois lignes de râteliers supplémentaires, et en 2003, la tourne est rehaussée. En dépit de ce risque, la station a poursuivi son développement dans les années 1990, notamment avec les investissements du groupe Pierre & Vacances. Avec plus de 7.000 lits, Belle Plagne est aujourd'hui la première station résidentielle.
1982-1992 : la décennie Olympique
Couverture de la brochure de 1984
(Document APLP)
1982
La Plagne change son emblème en modernisant son célèbre bonnet, créé 16 ans auparavant : le soleil souriant hérité du premier logo est supprimé, et remplacé par de simples étoiles blanches. La principale innovation est l'ajout d'un slogan. Depuis sa création, l'identité de La Plagne passe exclusivement par son bonnet. On emploie bien parfois quelques formules : “Station intégrale”, “Le ski total”, “Le ski 4 saisons” ou “L'amour fou du ski”, mais rien qui ne dure plus de quelques années. Le slogan choisi en 1982, va s'imposer lui près de 20 ans : on viendra désormais découvrir “Toute la montagne en 10 stations”.
Plagne 1800 est la dixième. En 1975, le Conseil municipal, sur proposition du Maire, Isidore Bérard, acte le principe du développement d'une zone de résidences pour l'habitat permanent ou semi-permanent, et non d'une station à vocation touristique dont les lits “viendraient en surcharge de La Plagne, et en parasite de Plangagnant” (le projet d'aménager une station à Plangagnant, au-dessus de La Roche, prévu par Michel Bezançon 12 ans plus tôt, n'a pas encore été abandonné). La commune rachète tous les terrains pour un montant de 2,6 millions de Francs. L'opération de lotissement débute en 1978 par la construction de gîtes communaux, la rénovation des anciens bâtiments de la Mine et les premières constructions de chalets privés. Rapidement ce nouvel espace proche des stations attire d'autres investissements. Sans perdre de vue sa vocation initiale, une grande partie de Plagne 1800 devient néanmoins une nouvelle station. Le Crédit Mutuel, qui cherche à investir à La Plagne pour son comité d'entreprise reçoit l'autorisation de construire un bâtiment. La construction des bâtiments de l'UCPA entre 1982 et 1984, puis celle de deux résidences par la Caisse d'Epargne achèvent de tourner Plagne 1800 vers le tourisme. En 1982, la SAP, qui n'est pas encore intervenue, construit le télésiège de 1800.
1983
Le 12 Février 1983, quatre skieurs trouvent la mort sous la Roche de Mio, dont deux jeunes de 12 et 13 ans. Le moniteur qui encadrait le groupe de onze skieurs est poursuivi pour homicide par imprudence et condamné en 1985 par le tribunal d'Albertville. Les accidents de ce type sont alors de plus en plus nombreux. La saison 1980/1981, étant à ce jour - avec la saison 2005 - celle au cours de laquelle on a enregistré le plus décès des suites d'avalanches (57 dans l'ensemble des massifs), la moyenne de la décennie s'établissant à 31 décès par an.
Sommet de la Grande Rochette
dans les années 1990
(Photo Joel Favre)
Le journal Le Monde consacre un long article à cette question dans son édition du 15 Octobre 1983, titré “Les s'en-fout-la-piste”, dans lequel Alain Faujas revient sur l'accident de Février. “Quel plaisir que le ski hors-piste ! La forte pente donne du piment à une descente que la neige non damée ralentit. (...) Et, en prime, la fierté de ne pas rester emprisonné dans les mailles des pistes boulevards où grouille le commun des skieurs. Un peu de peur au ventre, quand même, lorsque le toboggan bleu à dévaler est étroit ou frangé de roc... mais qu'importe ! On meurt, pourtant, sur ces champs de neige merveilleux. (...) L'accident à La Plagne a relancé le débat : doit-on prévenir ces morts stupides ? Le peut-on ? Qui s'en chargera ?”
Le journaliste interroge naturellement André Martzolf, qui est également vice-président de l'ANENA (Association Nationale pour l'Étude de la Neige et des Avalanches), “un passionné de la sécurité, un homme de mesure”. Il lui explique “nous, avons mis en place un dispositif qui nous permet d'apporter au skieur une bonne information sur les risques qu'il court. Nous nous refusons à interdire le ski hors-piste de façon permanente, car il faut laisser une part d'aventure et donc de responsabilité pour que le client se fasse plaisir.” Quoiqu'il en soit La Plagne déploie des efforts considérables pour limiter le risque, comme il en témoigne : “Nous, avons embauché un spécialiste qui coordonne les informations en provenance de cent trente points avalancheux. Ce sont des informations qui concernent la météo (température, vents) et la neige (quantité, structure).” Il s'agit du poste de nivologue occupé à l'époque par Eduardo Garreau et depuis 1987 par Claude Schneider. André Martzolf poursuit : “Nous avons pu affiner le bulletin des avalanches diffusé par le Centre d'études de la neige et établir une échelle des risques propre à notre station. Graduée de 1 à 8 (le risque 0 n'existe pas), cette échelle nous fait prendre des mesures préventives : déclenchement artificiel et informations. (...) Depuis deux ans, nous affichons pour le public un communiqué succinct et nous lui faisons savoir grâce à des panneaux et aux drapeaux d'avalanche les dangers qui peuvent exister dans tel secteur, mais il y a encore beaucoup à faire, parce que cette information n'est pas toujours perçue.”
L'arrivée du Tour de France 1984
(Photo SHAA)
1984
La Plagne reçoit pour la première fois une étape du Tour de France. Un cordon de spectateurs pratiquement ininterrompu borde la route et ses 21 virages, pour encourager Laurent Fignon, Greg Lemond, Bernard Hinault ou Pedro Delgado. A l'issue de l'ascension, Fignon arrive en solitaire et conforte son maillot jaune. Le Tour revient en 1987, et l'étape est à nouveau remportée par Fignon, malgré un début de Tour difficile. Cette victoire est citée comme l'une des plus belles de sa carrière. En 1995 et 2002, Alex
Zülle et Mickaël
Boogerd s'imposent. La montée de La Plagne est jugée, par les spécialistes, comme l'une des plus difficiles visitées par le Tour. A chaque fois, le Tour a d'excellentes retombées touristiques. André Martzolf a été responsable des trois premières éditions. “Une chose de plus !” souligne Mireille, qui a aussi participé à l'organisation, s'occupant par exemple de la salle de presse en 1995 : “Ce sont des événements très lourds à organiser, mais excellents pour l'image de la station, avec ce survol en hélico qui permet de découvrir le site et suscite le désir d’y séjourner...” Pour Christian Combet, le Tour 2002, et l'Etape du Tour pour les amateurs quelques jours avant, sont les moments les plus durs de sa carrière.
1985
La station accueille sa première édition du Grand Prix des Champions, organisé précédemment à la Clusaz. Il s'y tiendra pendant 18 ans. Cet événement de portée nationale rassemble chaque année, en général entre la fin Décembre et le début Janvier, les plus grands sportifs de l'année écoulée, toutes disciplines confondues, pour des épreuves de sports d'hiver ou des compétitions insolites. Ce rendez-vous conforte l'image sportive de la station, déjà portée par ses champions sur les podiums nationaux et internationaux. “A l'époque, et depuis Danièle Debernard, les leaders du ski alpin et du ski acrobatique étaient à La Plagne !” explique Eric Laboureix, qui va remporter la Coupe du Monde de ski acrobatique à cinq reprises de 1986 à 1991. Le Club des Sports est alors le premier club de France en nombre de membres et de titres.
Brochure de l'été 1986
(Photo SHAA)
1986
La Plagne participe à l'organisation de la première “Course du Cœur”, dont le but est de sensibiliser la population au don d'organe, tout au long du parcours de 750 km, depuis Paris. Le célèbre chirurgien cardiaque Christian Cabrol en est l'un des artisans. La Plagne accueillera l'arrivée de la course pendant 16 ans, jusqu'en 2001.
Sur le modèle du Grand Prix des Champions, La Plagne organise en 1986 son premier “Été Champion” qui propose à des célébrités du sport Français d'animer des activités sportives dans la station : karaté, modern dance, tonic-training, multigym, et l'inévitable tennis, qui reste le sport roi. La brochure de l'été 1984 informe les futurs vacanciers qu'ils pourront le pratiquer “du lever du jour à la tombée de la nuit” sur les 31 courts à leur disposition (dont 19 rien qu'à Plagne Bellecôte !)
Le 17 Octobre, Albertville obtient l'organisation des Jeux Olympiques, face notamment à Cortina d'Ampezzo et Lillehammer. Les organisateurs ont sélectionné La Plagne pour implanter la piste de bobsleigh. Bien sûr, il y a pu y avoir un peu de déception, avant la désignation, de ne pas avoir été retenue pour une épreuve de ski alpin, sentiment qui s'est vite dissipé, probablement grâce à ce que représente le bob pour tous les Plagnards : plus qu'une tradition, un véritable retour aux sources. Pour autant ce n'est pas l'engouement qu'on peut imaginer, les sceptiques sont très nombreux. Christian Combet se rappelle bien de cette journée : “L'annonce a eu lieu vers 13 heures. J'étais avec André vers Longefoy. On est tombés dans les bras l'un de l'autre, et puis tout de suite il m'a dit qu'il allait s'occuper du bob. Il s'était déjà très investi dans la préparation du dossier... Quelques semaines plus tard, il a appris le projet de Thônes, qui voulait construire une piste de bob pour les Jeux. Alors on a décidé d'aller voir. Il n'y avait rien de bien méchant, juste quelques esquisses. Mais ça lui avait créé du souci.” Cette concurrence aurait pu être dangereuse pour La Plagne, qui n'est pas encore assurée avec certitude de son rôle. Il reste encore bien des démarches. Christian Combet poursuit : “Je suis allé à la première réunion avec l'architecte de la piste, car j'étais concerné au titre de la forêt. Le Maire de Macôt, Isidore Bérard, souhaitait que la piste soit installée au pied du Saint Jacques. Mais comme c'était avalancheux et très ensoleillé, l'architecte lui a répondu que c'était impensable...” Le site finalement retenu est plus favorable : la piste serpentera dans le vallon de La Roche. Mais l'histoire est loin d'être terminée...
La Roche au début des travaux de la piste de bobsleigh en Octobre 1988
(Photo du fonds Edmond Blanchoz)
Les travaux de la piste en Aout 1990
(Photo Edmond Blanchoz)
La piste doit être construite à La Roche, enroulée autour du vieux hameau, à quelques dizaines de mètres de celle utilisée pour le bob sur route. Les études topographiques commencent en 1987, le site est déboisé dès l'automne 1988 et on pose la première pierre le 8 Novembre 1988. La piste est une coque de béton armée de 1.500 mètres de longueur et
124 mètres de dénivelés, dont la construction doit durer trois ans. Son coût est exorbitant : 200 millions de Francs, alors que le devis initial n'était que de 70. En 1991, Le Monde note qu'elle “provoque déjà des sueurs froides chez les élus locaux de Macôt-la Plagne (...) qui devront, après les JO, assumer la charge de son exploitation estimée aujourd'hui à 3,5 millions de Francs par an.” L'installation pose aussi un grave problème environnemental. Construite en béton, la piste est réfrigérée par des tubes dans lesquels circulent de l'ammoniac qui permet de conserver une couche de glace de 3 centimètres. En 1990, la présence de ces 45 tonnes d'ammoniac attire l'attention de Brice Lalonde, Ministre chargé de l'Environnement et de la Prévention des risques technologiques. En Décembre, il écrit au Préfet de Savoie pour lui demander d'interdire la mise en service de la piste pour des raisons de sécurité, ce que révèle Le Canard Enchainé du 19. Cette décision, qui met en péril l'organisation des épreuves provoque un tollé parmi les organisateurs. Une rencontre se déroule entre le Ministre, Michel Barnier et Jean-Claude Killy, coprésidents du COJO. Ils décident la nomination d'un expert de l'Institut de protection et de sécurité nucléaire (IPSN), chargé de définir les règles de sécurité à adopter, notamment une surveillance accrue du site, la mise en place d'une procédure d'alerte et la distribution de masques à gaz aux habitants de La Roche. La piste finalement jugée conforme est mise en service. Mais elle est classée comme une installation industrielle à risque, dite “Seveso”. En 2003, une micro fuite déclenche une alerte et pose à nouveau la question de l'usage d'ammoniac . On envisage toutes les solutions, y compris celle d'un démontage pur et simple. L'Etat et les collectivités locales décident pourtant de sauver l'équipement, et d'apporter les 6 millions d'Euros nécessaires aux travaux. Ils se sont déroulés en 2007, et l'ammoniac a été remplacé par un produit neutre, l'eau glycolée.
Baptême de la piste Mont Saint Sauveur en 1997
(Photo La Plagne, 50 ans d'images)
1987
La Plagne et la station Québécoise de Mont Saint Sauveur signent un partenariat. C'est l'un des meilleurs souvenirs de Mireille Martzolf : “On a reçu les Canadiens pendant une semaine, dans une ambiance très chaleureuse”. L'année suivante, une délégation de Plagnards, dont font partie Henri Béguin et Christian Combet, passe une semaine au Québec. Ils sont “reçus comme des rois !” Pour les dix ans de ce jumelage, en 1997, chacune des deux stations décident de baptiser une de leurs pistes du nom de l'autre. On retrouve ainsi, outre-Atlantique une piste “La Plagne”, la plus longue de la station (1,5 km), et à La Plagne, c'est la piste “Rigodon”, sur les flancs du Biolley, qui devient la “Mont Saint Sauveur”.
Couverture du livre des 20 ans
(Document l'Edelweiss)
1990
La Plagne organise la 6000D, un “trail”, c'est à dire une course à pied sur terrain accidenté. La première édition attire 93 participants. Ils ont été plus de 1.350 en 2015. Aujourd'hui parmi les plus anciens trails de France, la 6000D est un immense succès sportif et bénéficie d'une renommée mondiale. 6.000 mètres de dénivelé (dont 3.000 en positif) et 60 kilomètres que les coureurs doivent parcourir en moins de 12 h, entre Aime et le Glacier de Bellecôte. Le vainqueur 2015 a parcouru la distance en 5h et 56 minutes. Evènement phare de la saison estivale pour la station, la course est organisée chaque année à la fin du mois de Juillet.
La dernière station est créée : Plagne Soleil. Pour Michel Bezançon, qui a arrêté de travailler pour La Plagne en 1985, “Tout est mal conçu ! Les choses sont au mauvais endroit, la grenouillère n'est pas séparée des voitures... L'urbaniste n'avait vraiment aucun talent !” Le jugement n'est pas tendre ! La responsabilité incombe au promoteur Jacques Ribourel et en partie à la SAP qui vendait les terrains restant à bâtir, car Robert Houbas voulait se désengager progressivement. Le projet présenté par Ribourel compte donc moins que la somme qu'il propose pour le rachat des terrains du Dou du Praz. Il envisage une station complète “conçue dans l'esprit des années 90 où le confort
d'avant-garde respecte les traditions” comme le dit la brochure. Le projet initial prévoit une dizaine de bâtiments et environ 3.000 lits à construire en quatre ans. Le promoteur est racheté et la crise immobilière met un terme au développement de la station, alors que seulement 900 lits ont été construits. Un “fiasco total” pour Donat Broche, le principal commerçant, qui a perdu des sommes considérables dans ce naufrage. Il a fallu quelques années pour que la station reprenne son développement avec la construction en 1998 de chalets sur les flancs du Dou du Praz, puis à partir de 2004, de plusieurs résidences. Aujourd'hui, Plagne Soleil compte environ 2500 lits. Mais, tous ces bâtiments imbriqués les uns dans les autres qui sont de taille et de style très différents laissent aujourd'hui une impression sinon d'anarchie, au moins de dysharmonie. L'absence de plan d'urbanisme initial, comme en ont eu toutes les autres stations débutées sous l'autorité de Michel Bezançon, en est la principale explication.
Plagne Soleil et les Créolies en 1990
(Photo RG)
A Plagne Centre on construit les Créolies. Pour la commune de Macôt, ce nom paradisiaque est synonyme de procédures judiciaires sans fin et d'un alourdissement de la fiscalité locale. Lorsqu'il est présenté, ce projet immobilier d'un hôtel cinq étoiles est inédit à La Plagne par son gigantisme et son luxe. Son architecture aussi : ses grandes façades miroirs, et l'absence de tout matériau traditionnel comme la pierre ou le bois, en surprendront plus d'un, au fur et à mesure de l'avancement du chantier. En Mars 1988, le promoteur reçoit l'autorisation du Maire, Isidore Bérard (en fonction de 1977 à 1989) et la caution de la commune pour un prêt de 45 millions de Francs. Aujourd'hui encore, l'opacité de l'opération étonne. Les travaux de ce monstrueux bloc de verre se déroulent sans difficultés jusqu'à la faillite du promoteur, qui laisse sur les bras de la commune un bâtiment à moitié terminé et le poids de la caution. Pendant dix ans, Plagne Centre va être défigurée par ce bâtiment, l'un des premiers que l'on voit en arrivant, ouvert à tous les vents, et dont les vitres se brisent les unes après les autres. Il est finalement repris en 1999 par Nouvelles Frontières qui va construire le Terra Nova. Quant aux banques, elles se sont naturellement retournées vers la commune de Macôt. Après seize années de procédures judiciaires, elle a été condamnée définitivement par la Cour de Cassation en 2005 à payer plusieurs millions d'Euros, ce qui contraint à inscrire ce remboursement chaque année au budget de la commune.
1991
Depuis l'origine la Société d'Aménagement de La Plagne était gérée localement. Un modèle de gouvernance qui va être bouleversé par l'arrivée de la Compagnie des Alpes (CDA), une émanation de la Caisse des Dépôts, créée en 1989 pour fédérer le marché français du ski. Lorsque la CDA entre au capital, la SAP est la plus importante société exploitante d'un domaine skiable au monde. Pour nombre d'acteurs de l'histoire de la station, la prise de contrôle de La Plagne par la CDA, dès 1992 créé une rupture et même un changement d'esprit. André Martzolf l'affirme en 1999 : “C'est à ce moment-là que l'âme de La Plagne a changé. Legoux et Houbas avaient marqué chacun la station, mais la SAP restait le patron de La Plagne. Avec la CDA ce n'est plus tout à fait ça.” Edmond Blanchoz évoque lui un “virage” et même une certaine “amertume” vis à vis de certains dirigeants qui “ont souvent l'œil sur les cours de la bourse, et ne connaissent pas grand-chose à la neige, pas grand-chose aux problèmes des populations... Avec eux, on ne sait pas où on va...” La gouvernance change, les objectifs sans doute aussi, mais les possibilités d'investissements deviennent considérables. La Compagnie des Alpes permet à La Plagne de se tourner vers les appareils les plus modernes pour remplacer un parc de remontées mécaniques vieillissant.
Les premiers canons en 1991
(Photo Gérard Rochet)
En 1991, la moitié des stations françaises ont fait le choix de développer la neige de culture. Leur nombre a même a triplé depuis les trois hivers “sans neige” entre 1987 et 1990. La Plagne, elle, est l'une des rares grandes stations à refuser l'enneigement artificiel, alors que son domaine de faible altitude est très important. Pour la station qui a longtemps proposé la “Garantie neige”, c'est à dire en principe le remboursement du séjour si la neige n'est pas au rendez-vous, c'est une question d'image. Accepter les canons à neige c'est avouer que son enneigement peut être insuffisant. Gérard Rochet est alors directeur des pistes du domaine de Montchavin. Il propose de développer la neige de culture, mais essuie un refus catégorique de la SAP : “leurs arguments étaient : La Plagne n'a pas besoin d'enneigeurs, puisqu'il y a assez de neige en altitude. S'il n'y en a pas dans les stations village, on monte les skieurs en car...” Henri Béguin le dit tout net, André Martzolf y était hostile : “Je me suis beaucoup battu avec lui sur cette question. Il était persuadé qu'on n'aurait jamais besoin de canons à La Plagne. Et il a freiné des quatre fers...” Pourtant, certains hivers, à Montchavin, la situation est critique. Gérard Rochet en témoigne : “on sortait de trois années de misère. Même à 1700 mètres nous n'avions pas de neige. La commune de Bellentre a décidé d'installer des canons à neige. J'étais adjoint à l'époque. Nous sommes allés à Villard de Lans, et même en Suisse, puis on a fait venir l'entreprise York pour étudier la question.” La SAP ne voulant pas en entendre parler, le financement est entièrement assuré par la commune. “C'est resté à la charge de Bellentre pendant trois ou quatre ans. Et puis la SAP s'est ravisée : commercialement, être une station sans canon commençait à poser problème.”
Création du réseau de canons en 1991
(Photo Gérard Rochet)
Les premiers canons sont installés en 1990 sur la piste du Sauget, et sur le front de neige de Montchavin. Ils sont signalés sur le plan des pistes par un astérisque très discret qui signale un “enneigement artificiel.” Ils ne sont pas automatiques et doivent être contrôlés au moindre incident technique. En cas de problème, une alarme retentit directement au domicile de Gérard et de Patricia Rochet à Bellentre. Elle s'en souvient très bien : “Toutes les nuits, les alarmes sonnaient et dès que Gérard entendait ça, il se levait, montait en jeep et allait voir chaque canon à pied pour les régler...!” L'été, Gérard Rochet participe à l'extension du réseau. Tranchées, canalisations, pose des canons sont faits de façon artisanale.
A partir de 1995, la SAP prend la relève. Le réseau s'étend à Montchavin, on pose des canons à Montalbert et même à Bellecôte. On modifie le plan des pistes pour mettre en valeur par un trait jaune vif, les pistes qui bénéficient de “neige de culture.” La Plagne affiche alors 62 enneigeurs. Le réseau va se développer progressivement, avant de devenir une priorité d'investissements, au même titre que les remontées mécaniques à partir de 1999. La brochure signale alors : “un programme d'enneigement de culture a débuté. S'étendant sur une période de 10 ans, celui-ci se concrétise par un premier investissement de 12 millions de Francs.” Résultat : 40 hectares enneigés en 2000, 70 en 2003, près de 140 aujourd'hui. Les quelques 400 canons à neige en fonction à La Plagne ne sont évidemment pas exempts de critique, notamment sur le plan environnemental. Comme partout ailleurs, se posent les questions des captages d'eau excessifs et de la construction de retenues collinaires gigantesques... Mais depuis leur implantation, ils sauvent début et fin de saisons, y compris en altitude.
1992
Du 9 au 23 Février 1992, La Plagne accueille 350 athlètes appartenant à 27 délégations pour les épreuves de bobsleigh et de luge. Deux semaines hors-norme pour les 600 bénévoles mobilisés, surnommés les Equipiers 92, qui vont assurer jour et nuit la bonne marche des Jeux à La Plagne. Comme Florence et Emmanuel Benglia, ils ont été sélectionnés suite à une annonce dans la presse : “Pour nous les Jeux ont commencé pendant l'été 1991. Le COJO nous a affectés à La Plagne et nous avons été chargés de former d'autres volontaires. On utilisait les premiers ordinateurs tactiles, c'était très amusant. On leur expliquait en quoi consisteraient les Jeux, les différentes épreuves, on présentait les différents sites, et le travail des uns et des autres... La piste était sous haute sécurité, et nécessitait aussi une formation particulière... Il y avait des volontaires de toute la France, de toutes les professions et c'était passionnant !” Parmi eux, ceux qui sont vite surnommés “Paul Nord” et “Paul Sud”, respectivement Paul Paviet-Salomon et Paul Sorrel.
Affiche officielle des épreuves de bobsleigh
(Document Florence Benglia)
Tous les volontaires sont placés sous le haut patronage d'André Martzolf qui est nommé directeur du site olympique. Une responsabilité colossale pour un homme qui n'en manque déjà pas ! “Il arrivait le premier le matin, repartait en général le dernier. On lui a même installé un lit de camp dans son bureau avec une peluche au cas où ! Il a fêté son anniversaire pendant les Jeux, et on a dû lui faire croire à une urgence pour l'attirer dans un chalet. L'ambiance était très bonne, même si on était parfois un peu tendus.” Pendant les épreuves, l'emploi du temps ne varie pas. La journée commence à 5h30 par un briefing avec tous les responsables de la sécurité. Florence Benglia se souvient “qu'il se passait toujours quelque chose.” Cela va de la réception et de la sécurisation des feux d'artifices à l'organisation des cérémonies de remise de médailles, qui se déroulent à Plagne Centre, pour lesquelles Emmanuel Benglia s'implique particulièrement. Le COJO avait prévu un fond de scène. A La Plagne, on le refuse poliment, arguant de la beauté du paysage autour du front de neige. “On a fait des répétitions, Emmanuel a fait venir des Ratrack pour éclairer le podium. C'était très beau ! Mais il y avait un cahier des charges très strict, avec les Chasseurs alpins, les enfants qui remettaient les médailles en cristal et les bouquets de fleurs, tout ça en quelques minutes seulement. C'était la course ! Et puis ensuite il y avait un cocktail...”
Les épreuves proprement dites sont gérées directement par le COJO et une équipe sportive sous la houlette d'André Broche. Lui aussi s'investit à fond pour que les épreuves se déroulent au mieux. Dès la désignation d'Albertville, la Fédération l'a chargé de trouver des bobeurs ou des lugeurs capables de concourir sous les couleurs françaises. Il les a débauchés un à un. Yves Boyer en fait partie : “Je travaillais sur un pylône de remontées, quand Dédé est venu me voir. Il m'a seulement demandé si pour les JO je voulais faire du bob ou de la luge... Je lui ai répondu que la luge m'intéressait. Sans vraiment m'en douter je signais pour quatre ans ! Je suis parti me former en Allemagne, avec les autres équipiers.” Yves Boyer, en luge monoplace, ne figure pas dans les vingt premiers. Le meilleur résultat des Français est celui de l'équipe de bob à 4 qui termine 8e.
A vrai dire, les Français avaient peu d'espoir de remporter un titre. Autrichiens, Allemands et Suisses triomphent. Le 22 Février, Le Monde dresse un premier bilan des épreuves de bob : “La préparation des Jeux d'Albertville aura permis de réveiller un sport dans lequel les Français n'ont jamais brillé. Ils ne décrochèrent aucune médaille dans cette discipline inscrite au programme olympique depuis les J.O. de Chamonix en 1924. Ils se distinguèrent seulement au cours des championnats du monde de 1934 et de 1947 en prenant chaque fois la troisième place. Lors des Jeux de Grenoble, l'équipe de France, constituée avec peine, ne parvint pas à s'imposer. La disparition, aussitôt après, de la piste de l'Alpe-d'Huez (Isère) a handicapé les Français, qui durent effectuer de longs déplacements en Autriche, en Italie ou en Allemagne pour s'entraîner.
Publicité de 1995
(Document Nathalie H.)
Depuis deux saisons, la mise en service de la piste de La Plagne a permis à l'équipe de France d'affiner sa préparation olympique.” Quelques Plagnards s'illustrent dans les autres disciplines : Olivier Allamand remporte la médaille d'Argent en ski de bosses et Fabrice Becker devient Champion Olympique de Ballet, qui est alors un sport de démonstration. Candice Gilg est la plus jeune skieuse engagée lors des Jeux. A 19 ans, elle a été formée au Club des sports, aux côtés de ses aînés, déjà à la tête d'un beau palmarès. Trois ans plus tard, elle sera championne du Monde de ski acrobatique en bosses à La Clusaz. Elle remporte le Globe de cristal de la spécialité en 1996, avant d'être à nouveau championne du monde en 1997.
Pour La Plagne, la piste assure un rayonnement international sans précédent. Mais les Jeux en eux-mêmes ont plutôt plombé la saison 1991/1992. En Février, en raison des nombreuses contraintes en termes de sécurité ou d'accès, le remplissage est mauvais, les locations en baisse et un grand nombre de structures n'ont pu se remplir du fait des réservations faites par le COJO. Donat Broche ressent ces effets négatifs dans ses commerces : “on a fait le tiers de notre chiffre normal, et avec les problèmes que nous avions à Plagne Soleil, on a failli plonger. On ne regrette pas les JO car en terme d'infrastructures ça a été très bénéfique, mais cette année-là a été critique...” Toutes les stations de Tarentaise ont connu le même phénomène. Par contre les saisons suivantes, été et hiver, ont été excellentes.
La piste de bob pendant les Jeux Olympiques
(Photo Sandrine Z.)
1993-2015 : La Plagne, “station mondiale”
1993
La Compagnie des Alpes a racheté l'ensemble des parts de Robert Houbas dans la Société d'Aménagement de La Plagne en 1992. Ce dernier est remplacé par Edmond Blanchoz, directeur général de la SAP depuis 1975, qui prend ainsi le titre de Président-directeur général, un poste qu'il va occuper jusqu'en 1998. Le voilà arrivé au sommet, après avoir gravi un à un tous les échelons. Son parcours force l'admiration, car il a débuté à La Plagne comme simple perchman, activité à laquelle il faut ajouter celui de planter les piquets sur le stade pour le compte du Club des sports.
1994
Les Jeux de Lillehammer sont l'occasion pour La Plagne d'être représentée par onze de ses champions. Une première marquée dans la station par une fête à l'initiative du Club des Sports dirigé alors par Michel Rebuffet. Pas de médaillé, mais Bruno Mingeon ou Jean-Luc Crétier se rattraperont...
Les téléskis des Pierres Blanches en 1993
(Photo Gérard Rochet)
Grâce aux possibilités financières ouvertes par la CDA, la Société d'Aménagement de La Plagne et le Syndicat Intercommunal élaborent un plan d'aménagement décennal pour moderniser le domaine skiable. La presse spécialisée présente La Plagne comme la “première station mondiale” et la SAP comme “un aménageur qui voit loin.” 700 millions de Francs sont mis sur la table, plus de deux années de chiffre d'affaires. Modernisation de la Grande Rochette, télésièges débrayables remplaçant les remontées les moins efficaces, télésièges de la Carella et de la Roche, remodelage des pistes, développement de la neige de culture..., la plupart des projets annoncés alors ont été mis en œuvre depuis. Seule l'expansion du domaine vers des aires encore vierges a finalement été abandonnée par souci de préservation environnementale et pour conserver à La Plagne un domaine hors-piste intact.
La première année, la mise en œuvre de ce plan concerne Montchavin. Il s'agit de remplacer les téléskis des Pierres Blanches, qui assurent la liaison vers La Plagne depuis 1972. Ils sont jugés peu efficaces, et surtout inaccessibles à nombre de skieurs débutants. Patricia Rochet, ancienne monitrice ESF s'en souvient encore : “Prendre Pierres Blanches avec les clients... c'était l'horreur ! Avec ce virage... et la montée juste après... Alors s'ils étaient un peu légers, ou débutants...! En plus, sur le côté il n'y avait que la forêt, alors il fallait descendre le long en dérapage... Combien de fois, je suis arrivée presque au sommet, avec tous mes client devant et paf ! J'en avais un qui tombait ! Ça fichait la journée en l'air ! Il fallait tout redescendre et tout recommencer ! C'était épuisant !” Autant dire que Patricia et beaucoup d'amoureux des pistes de Montchavin ont accueilli le télésiège comme une bénédiction !
1996
Marc Gostoli, le fils de Serge, l'un des premiers commerçants de La Plagne, crée l'association “Antenne handicap”. Son but : faciliter l'accès aux pistes et aux remontées mécaniques pour les personnes handicapées, faire partager sa passion du ski, développer un matériel et un enseignement spécifiques. Marc Gostoli est reconnu comme un expert. Ludovic Rey-Robert l'a choisi pour être son entraineur pour la préparation des Jeux Paralympiques de Lillehammer. Il décroche deux médailles d’or en descente et en slalom. En parallèle, Marc Gostoli est moniteur ESF et propose des cours et des stages de ski destinés aux handicapés.
La Compagnie des Alpes poursuit la modernisation du domaine, cette fois du côté de Champagny. On construit deux télésièges débrayables à six places, à la place des quatre téléskis des Borseliers et de la Rossa. La Plagne se hisse en quelques années en tête du classement des stations où sont installés ces appareils, les plus modernes.
Jean Luc Crétier et Bruno Mingeon
(Photos CNOSF)
1998
Les Jeux Olympiques de Nagano au Japon sont l'occasion pour La Plagne de briller, grâce à deux de ses champions : Jean-Luc Crétier et Bruno Mingeon. Le premier s'illustre en ski alpin, le second en bobsleigh. Jean-Luc Crétier, vétéran de l'équipe de France, défie tous les pronostics en décrochant l'or en descente, son premier titre international, grillant la politesse au favori, le Norvégien Lasse Kjus. Le quotidien Libération titre : “A 31 ans, il a remporté sa première victoire. Où il fallait, quand il fallait. Jean-Luc Cretier a su attendre son or.” Bruno Mingeon et ses partenaires de l'équipe de France de bob à quatre, décrochent une médaille de bronze le 21 Février. Libération salue : “Médaille de bronze après une dernière manche parfaite. Coup de chapeau au bob français.” Pour la petite histoire, leur bob a descendu la piste japonaise sur les patins personnels de Bruno Mingeon, et non pas sur ceux fournis par la Fédération. L'équipe de France de bob marque à nouveau les esprits en 1999, en décrochant la médaille d'or en bob à quatre et la médaille de bronze en bob à deux lors des championnats du Monde à Cortina d'Ampezzo. Bruno Mingeon, qui collectionne aussi les titres de champions de France, est le porte-drapeau de la délégation Française aux Jeux du Turin, les cinquième et derniers de sa carrière.
(•) 2000
35 ans après son inauguration, et plus de 20 millions de passagers transportés, la télécabine de la Grande Rochette est remplacée par un funitel, un appareil qui “bénéficie de la technologie la plus évoluée” construit par la société Doppelmayr. Le projet, dont les premières études ont été commandées en 1992 à DCSA, a été supervisé de bout en bout par Pierre Gonthier alors Directeur des remontées mécaniques et dans sa phase finale par Bernard Aubonnet, devenu en 1999 le nouveau Directeur Général de la SAP après le départ à la retraite d'Edmond Blanchoz. Le Funiplagne est un saut technologique et qualitatif. Il s'agit de tripler le débit de ce que l'on présente alors comme la “colonne vertébrale” du domaine skiable. Dès le lancement du projet, compte tenu des contraintes, notamment la portée finale de plus de 600 mètres et la forte exposition au vent, un funitel est retenu, pour sa stabilité (grâce au double monocâble et à la largeur de voie de plus de 3 mètres), sa vitesse (4 minutes de temps de parcours) et la capacité de ses cabines (24 places, 4 fois plus que la télécabine en service). Mais le coût très élevé de ces appareils fait finalement renoncer la SAP, qui en revient alors à une simple télécabine. Les permis de construire sont déjà validés lorsque les dirigeants de la SAP font le choix - inattendu mais courageux compte tenu des risques juridiques - d'opter finalement pour un funitel à la faveur d'une ouverture à la concurrence qui en fait baisser le prix. En Juillet 1999, Dopplemayr remporte le marché pour la somme de 65 millions de Francs.
Une page se tourne. Symbole de la station, comble de la modernité en son temps, la télécabine est désormais dépassée par l'affluence. Sa gare intérieure, qui oblige les skieurs à traverser les galeries et à grimper deux étages et ses files d'attente de parfois plus de 45 minutes ne satisfont plus aux critères d'une remontée mécanique du XXe siècle. Les travaux commencent le 24 Avril 2000, le lendemain de la fermeture de la station. La démolition va durer un mois, et s'achève en Mai avec la chute du grand pylône rouge et blanc du sommet. Les travaux de construction sont menés en un temps record de 7 mois. Un chantier sans retard, remarquablement planifié et conduit, qui permet à l'appareil d'être achevé en Novembre et ouvert au public le 9 Décembre. Il séduit immédiatement par sa rapidité, son silence et la vue panoramique qu'offrent ses cabines vitrées.
Le Funiplagne de la Grande Rochette en 2007
(Photo RG)
Brochure de l'hiver 2001
(Document RG)
2001
Pour ses 40 ans, La Plagne modernise son image. On modifie légèrement le logo, inchangé depuis 20 ans, pour créer un graphisme plus moderne : le bonnet est échancré, les étoiles redessinées, et les contours plus lisses. On abandonne progressivement le slogan “Toute la montagne en 10 stations” inexact depuis la création de Plagne Soleil, mais qui avait été conservé. Une tendance s'affirme au tournant des années 2000 : La Plagne cherche à se donner une image plus sportive, moins familiale, pour partir à la conquête d'une nouvelle cible. Les deux premiers “espaces de snowboard” ont été créés en 1999. En page quatre de la brochure de l'hiver 2000/2001, il n'y a que quelques mots : “Le plein de sensations dans tous les domaines”, “Free ride, Fun, 360°...” Les brochures des années qui suivent sont de plus en plus illustrées par des photos de skieurs en hors-piste, dans des tourbillons de poudreuse... Ces messages destinés surtout aux amateurs, plus jeunes, d'une glisse différente, plus sportive et plus risquée, sont au cœur de la communication de La Plagne depuis plus de 10 ans. Le slogan “La Plagne ça bouge” est repris sous forme d'affiches, puis en 2006 de publicités diffusées sur des chaînes sportives et destinées aux jeunes.
2002
Lorsque l'organisateur du Grand Prix des Champions décide de quitter La Plagne pour Font-Romeu, il faut créer un autre événement qui puisse avoir la même ampleur. On propose à La Plagne un nouveau concept : Les Etoiles du Sport. Le principe change quelque peu : autour de la formule “Les Champions d’aujourd’hui parrainent les Champions de demain”, athlètes de haut niveau et
jeunes Espoirs se rassemblent pour partager leurs expériences. Autre changement, la date est avancée d'abord au 20 Décembre, puis aujourd'hui en tout début de la saison. L'événement bénéficie très vite d'une excellente couverture médiatique, et prend le relais du Grand Prix, qui s'arrête d'ailleurs après l'unique édition dans les Pyrénées.
L'incendie de Champagny le 10 Aout 2003
(Photo Julien)
2003
La canicule de 2003 laisse des traces à La Plagne. Les alpages jaunissent, les sous-bois s'assèchent. Le 10 Aout 2003, un incendie causé par la foudre se déclare dans la Forêt du Miollet, au-dessus de Champagny-en-Vanoise. Il dure quatre jours et détruit plus de 77 hectares de pins et d'épicéas, et menace même un temps la télécabine de Champagny et les restaurants de la Rossa. Cet incendie exceptionnel a mobilisé des moyens considérables venus de tout le département et même au-delà. Il faudra des décennies pour effacer totalement les traces encore visibles aujourd'hui. A 3000 mètres, le Glacier de la Chiaupe souffre aussi beaucoup. Il recule et s'amincit de plusieurs mètres pendant l'été, ce qui porte son recul depuis les années 1970 à plus de 300 mètres et à 40 mètres d'épaisseur. Comme les autres glaciers des Alpes, celui de la Chiaupe et son voisin le glacier de Bellecôte sont à terme condamnés à la disparition... Déjà en 1990, Le Monde s'alarmait : “les glaciers
alpins souffrent de la sécheresse des
trois derniers étés” citant notamment André Martzolf qui constatait un recul de 10% de l'épaisseur du glacier de la Chiaupe depuis 1983. La télécabine de Roche de Mio est cette année-là en travaux. On remplace les cabines, et on modernise les installations des gares. Les glaciers sont donc inaccessibles. La SAP en profite pour construire un nouveau télésiège, en remplacement de deux des trois téléskis, dont il a été prouvé qu'ils accélèrent la fonte. Pas de ski d'été en 2003, donc. En 2004, le ski d'été n'est proposé que quelques jours en Juillet, faute de neige et la SAP décide de démonter le dernier téléski, celui de La Chiaupe. Finalement, en 2005 La Plagne abandonne définitivement le ski d'été, faisant le choix le plus raisonnable à l'inverse de Tignes, qui installe au même moment des canons à neige sur son glacier, une hérésie environnementale. Le ski sur glacier est remplacé par d'autres activités, et notamment par l'ouverture d'une grotte de glace, qui rencontre aujourd'hui un grand succès.
La Plagne organise le premier Salon du Livre : “La Plagne à la page”. L'objectif : rassembler, au début du mois d'Aout, des dizaines d'auteurs de livres, d'albums ou de bande-dessinées autour d'un thème lié à la montagne ou à l'environnement. Le festival évolue au fil des années et s'ouvre aux artistes, aux voyageurs et aux reporters. Il prend même une certaine dimension médiatique en 2008, en partant de la Gare de Lyon à Paris, où les festivaliers organisent des dédicaces dans les salons du célèbre Train Bleu et proposent aux artistes d'embarquer pour La Plagne... Mais faute d'accord entre la station et les organisateurs sur son développement, le salon du livre s'arrête brutalement en 2010.
Les travaux en Février 2003
(Photo RG)
En Décembre, le Vanoise Express est inauguré. C'est le téléphérique le plus important du monde : 200 passagers par cabine traversent la Vallée du Ponthurin en 4 minutes seulement. Il rend possible la création du domaine skiable Paradiski, réunissant La Plagne et Les Arcs, un domaine immense, l'un des tout premiers au Monde avec ses 425 km de pistes réparties sur 14.000 hectares. Pour en arriver là, il a fallu de longues années de gestation... Rarement un projet aura mis autant de temps pour voir le jour ! En 1960, le Docteur Borrione en parle déjà, et cette liaison figure sur le premier plan pluriannuel d'aménagement touristique. Lorsque les Arcs ouvrent, en 1968, la réflexion au sujet d'une liaison s'accélère. Les stations sont très liées déjà à l'époque, et certains de leurs dirigeants sont amis : Gilbert Vivet-Gros et André Martzolf d'un côté, Robert et Yvon Blanc de l'autre. Pendant longtemps, une course réservée aux professionnels des deux stations est organisée. Roger Chenu s'en souvient bien : “Elle avait lieu une année aux Arcs, l'autre à La Plagne, souvent sur le Cabri. Elle rassemblait tout le monde, des directeurs des stations jusqu'aux curés ! C'était une vraie journée de fête...” Le projet d'une liaison paraît donc cohérent entre ces deux domaines voisins et amis. En 1970, dans la brochure de La Plagne on informe les vacanciers : “Jumelage de deux stations révolutionnaires : La Plagne et les Arcs. Service de cars réguliers jusqu'à la liaison par remontée mécanique prévue en 1973.” Dans cette optique, on étudie plusieurs tracés : par télésiège ou par télécabine, qui passent tous en fond de vallée. Il est alors inenvisageable de la traverser de part en part. On va même les piqueter, en prévision de travaux futurs... Et puis tout s'arrête. Des conflits éclatent lorsqu'on envisage l'implantation à tel ou tel endroit... Le dossier se bloque et s'enlise. De plus l'heure est à la modération des aménagements en montagne. En 1977, le Président Giscard d'Estaing demande même une pause, qui condamne l'ambitieux projet. Il faudra des années avant qu'il ne refasse surface à la fin des années 1990. Il est soumis à enquête publique en 1999. Le tracé n'est pas encore définitif et sera modifié de nombreuses fois, notamment à La Plagne. La construction de l'ouvrage est confiée à Poma qui propose “un concept innovant de fonctionnement, grâce à deux lignes indépendantes, qui offre une flexibilité de service inégalée” permettant à la Compagnie des Alpes “de franchir une nouvelle étape dans l’histoire du transport par câble.” Rien que ça.
Plan des pistes du domaine Paradiski
L'incendie de la télécabine
de Bellecôte le 5 Aout 2005
(Photo La Plagne)
2005
Le 5 Août, aux environs de 7 h du matin un incendie se déclare dans la gare d'arrivée de la télécabine de Bellecôte. Alertés par un berger, puis par le centre incendie de Courchevel, les pompiers arrivent sur les lieux vers 9h en hélicoptère, renforcés une heure après par deux hélicoptères bombardiers d'eau. Le rapport établi par le SDIS de Savoie est le suivant : “A [notre] arrivée, les flammes sortent par toutes les ouvertures du rez-de-chaussée. La chaleur est très intense au niveau [inférieur où sont situés] atelier et engin de damage. (...) Fort risque de rupture du câble”. L'incendie est circonscrit aux alentours de 11h45, grâce à l'intervention de 26 sapeurs-pompiers. Les dégâts sont considérables : la gare est détruite à plus de 80 %, le câble s'est rompu, quelques cabines se sont écrasées au sol, et la dameuse stationnée sous la gare est également détruite. Il n'y a aucun blessé à déplorer car la télécabine n'était pas encore en exploitation. Le lendemain, le Dauphiné Libéré titre en une : “Le feu à 3000 mètres, spectaculaire incendie à La Plagne.” La suite des événements est dictée par l'urgence. La télécabine qui assure 300.000 passages chaque hiver est l'un des points phares de la station. Elle doit impérativement être remise en état pour l'ouverture de la saison, ce qui ne laisse au total que 120 jours. Tout va être mis en œuvre avec une rapidité stupéfiante. Le 12 Novembre, le journal des Alpes peut titrer : “Ces acrobates des cimes : altitude, vent et températures records ne leur font pas peur. Sur le glacier de Bellecôte, au-dessus de La Plagne,
ils sont une vingtaine à se relayer nuit et jour pour un autre record : la reconstruction, avant le 17 décembre,
de la gare d’arrivée de la télécabine, partie en fumée le 5 août dernier. Rencontre au sommet.” Grâce à la viabilisation très rapide d'une route d'accès de 19 kilomètres depuis Plagne Villages et l'installation d'une base-vie pour permettre le travail 7 jours sur 7 d'une trentaine d'ouvriers, les délais sont tenus, et la télécabine remise en service le 23 Décembre.
Sandra Laoura en 2006
(Photo ?)
2006
Sandra Laoura défend les couleurs du Club des Sports de La Plagne lors des Jeux Olympiques de Turin. Née en Algérie, ses parents ont émigré en France et se sont installés à la Plagne pour y travailler. Elle décroche une médaille de bronze en ski de bosses, qui vient s'ajouter à plusieurs titres en Coupe d'Europe et Coupe du Monde. En Janvier 2007, au Canada, elle manque un salto arrière pendant l'entraînement, et s'écrase sur une bosse de neige. Sa moelle épinière est touchée, ce qui la paralyse des jambes. Blessée, brisée, elle rend public son combat pour retrouver sa mobilité. Deux ans après l'accident, le Figaro lui consacre un long portrait : “Radieuse, lumineuse, féminine, Sandra Laoura avance, laisse traîner son regard au-delà des montagnes quand son quotidien se heurte à la réalité. (...) Et pourtant, elle assène la vérité, celle d'une rémission criblée de points de suspension, avec un aplomb jamais trempé dans la pitié. Une force plantée, tel un phare au cœur d'une tempête. Prête à résister à tous les assauts nourris par les vagues déchaînées. (...) Sa générosité, sa détermination, sa simplicité contagieuses dans l'adversité touchent, émeuvent.” Consultante pour France Télévisions, marraine du concours du sportif de l'année 2011 de France Inter, Sandra multiplie les initiatives médiatiques et associatives. Elle poursuit en parallèle sa longue rééducation et retrouve lentement ses sensations...
Julien Lizeroux en 2009
(Photo La Plagne)
2009
Les champions de La Plagne continuent de briller. Julien Lizeroux s'impose magistralement en Coupe du Monde lors du slalom de Kitzbühel en 2009, ce qui le hisse provisoirement à la tête du classement. Quelques semaines plus tard, lors des Championnats du Monde de Val d'Isère, Julien remporte deux médailles d'argent en slalom et en super-combiné. Le 16 Février 2010, pour le soutenir alors qu'il dispute les Jeux Olympiques de Vancouver, La Plagne organise un flash mob. C'est un immense succès : la chorégraphie, sur le tube “I Gotta Feeling” des Black Eyed Peas, mobilise plus de 8.000 personnes sur le front de neige de La Plagne, du jamais vu. Mais cela ne suffit pas à permettre à Julien Lizeroux de remporter la médaille convoitée. Blessé, il doit déclarer forfait pour les championnats 2011, et se consacre à sa rééducation, avant de revenir en compétition fin 2013.
Un autre Plagnard, Kevin Rolland remporte en 2009 son premier titre de titre de Champion du Monde de half-pipe. En 2010 et 2011, il gagne aussi les jeux du ski extrême, les X-Games. Blessé en 2012, il doit s'éloigner de la compétition pendant un an. Il décroche une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Sotchi en Février 2014, et termine second aux Winter X Games d'Aspen en 2015.
2011
La Plagne fête avec faste ses 50 ans. Un livre “50 ans d'images”, un film (pour lequel ce récit a servi de support) et un spectacle le 20 Décembre (auquel assistent des milliers de personnes) commémorent ce demi-siècle d'une riche Histoire. Riche du parcours de femmes et d'hommes, qui ont cru, se sont engagés, ont pris des risques pour construire ce qui est désormais l'une des premières stations de sports d'hiver du Monde.
2016
Au fil des années, malgré les difficultés, nous avons poursuivi notre travail pour recueillir la mémoire avant qu'elle ne s'efface et les anecdotes avant qu'on ne les oublie. Nous aurions aimé rencontrer tant de gens, mais le temps ou les occasions nous ont manqué. Nous dédions ce récit à celles et ceux que nous avons eu la chance de rencontrer et qui nous ont quittés depuis, en espérant qu'il soit digne de leur mémoire.
Notes et remerciements
Ce récit original est le fruit d'un travail mené depuis 2008. Depuis sa première publication, il a été constamment revu et augmenté. La version que vous pouvez lire actuellement est basée sur plus de 70 heures d'entretiens, pour lesquels nous remercions pour leur disponibilité et leur confiance : Agnès et Robert Astier, Henri Béguin, Florence Benglia, Armand Bérard, Jacques-Yves Bérard, Michel Bezançon, Edmond Blanchoz, Yves Boyer, André Broche, Donat Broche, Edmond et Suzette Broche, Paul Broche, Serge Bugnard, Monique et Raoul Bugny, Roger Chenu, Christian Combet, Fernand et Solange Costerg, Lina Coudray-Vivet Gros, Ginette Crétier, Pierre Decharne, Joseph Duchosal, Joel Favre, Michel Frybourg et son épouse, Noel Grand, Max Jannot, Josiane Labertrande, Eric Laboureix, Suzanne Lauvergniat, Michèle Collet-Lauverniat, Maurice Loyet et son épouse, Carolyne et Lucile Marin, Mireille Martzolf, M. Mazer, Sophie et Bernard Murzilli, Alice et Lulu Ougier, Laurette Paviet, Roland Perrière, Monique Plouton, Arlette et Jean Ratel, Juliette Reibell, Jean Robino, Patricia et Gérard Rochet, Alfred Ruffier des Aimes, Mario et Hélène Talenti, Hubert Verhille, Gilbert Vivet-Gros et Patrice Weiss. Nous remercions aussi Gaby Douaifia et Gérard Paviet pour leur témoignages écrits.
Ce récit est largement illustré grâce aux archives d'André Martzolf et d'autres fonds gérés par la Société d’Histoire et d’Archéologie d’Aime, aux archives de l'Association des Propriétaires de La Plagne, à des archives de la SAP données par Christian Vibert, aux archives personnelles de Michel Bezançon, d'Edmond Blanchoz, d'Edmond et Suzette Broche, de Bruno Chêne, de Lina Coudray Vivet-Gros, de Joel Favre, de la famille Marin-Reggazoni, de Monique Plouton, de Juliette Reibell, de Gérard Rochet...
En 2011, ce récit a été utilisé par Alain Gonay, sur recommandation des autorités de La Plagne, pour servir de commentaire au film “La Plagne 50 ans d'images”, ce qui en fait un récit de référence sur l'histoire de La Plagne.
Bibliographie

Dominique Droin
Petite histoire de La Plagne en dix stations
La Fontaine de Siloé, 1999

Edmond Blanchoz
La Plagne, des hommes, des femmes, des rêves
Glénat, 2004

Claudie Blanc-Eberhart
Rêve de bergers, Robert Blanc et ses frères dans l'aventure de la création des Arcs
Edelweiss, 2010

Geneviève Ruffier Lanche
Frère Des Cimes - Cent Paroles, Mille Secrets
La Fontaine de Siloé, 2005

Antoine Musy
Le bassin minier de Tarentaise : Les mines d’Aime et Macôt
Non-publié, 2013

Christian Combet, C. Bouchage
Montalbert, 20 ans déjà !
Brochure éditée par la Maison de Montalbert, 2000

Yves Nouchi
La Plagne de A à Z
Les Guides du Soleil, 1969
Documentaires
Alain Gonay
La Plagne 1958-1972 : naissance d'une station envers et contre tout
Film Y.N. Productions / TV8 Mont Banc / Office du Tourisme de La Plagne, 2005
Alain Gonay
La Plagne, 50 ans d'images
Film Y.N. Productions / OPGP, 2011
Commentaires basés sur le récit “Une Histoire de La Plagne”
Voir le film

Pierre et Annie Plinate
Montchavin : histoire d'une renaissance
1998
François Villiers, Jean Couturier
Les Chevaliers du Ciel, les aventures de Tanguy et Laverdure
34ème épisode
ORTF, 1968
Annexes
Le Bief Bovet : 700 ans de conflit entre Aime et Longefoy
Voici le texte intégral de l'histoire du Bief Bovet que vous pourrez découvrir en vous promenant l'été le long de ce petit canal, entre les départs des télésièges du Fornelet et des Adrets. Les recherches historiques autour du Bief Bovet ont été effectuées par Christian Combet et le personnel de l'A.S.P. Montalbert, la réalisation du sentier par l'ONF.
“Construit de la main de l’homme entre les années 1240 et 1242 sous la surveillance de l’architecte Bovet, ce bief a remplacé un autre canal qui alimentait le village de Longefoy, mais il était devenu du fait de sa faible pente, d’un débit insuffisant. Le Bief Bovet, comme il fût appelé dès lors, vu ses dimensions, pouvait recueillir toutes les eaux en aval des Étroits. Ce sont les habitants de Longefoy qui, par corvées, ont participé à la construction de ce bief qui a longtemps servi à la protection contre les incendies. Le débit du canal était alors de 35 litres/sec, dix fois le débit actuel. Dès la mise en service du bief un procès éclata entre Longefoy et Aime. En février 1360, le Comte Amédée de Savoie autorise le « Seigneur du Bonnet » de Longefoy à faire dévier les eaux du nant des Frasses sur le Bief Bovet, à l’aide d’une tourne en bois. Le Sieur Montmayeur fut alors chargé de répartir équitablement les eaux entre Aime et Longefoy.
Le 17 Juin 1406, la commune d’Aime attaque en justice Longefoy « niant et repoussant » l’autorisation de 1360. Le jugement remet les deux parties dos à dos et nomme un nouveau répartiteur : Caucoz du Revers.
1550 : le procès reprend devant le juge de paix d’Aime et de violents incidents se produisent entre les habitants de Longefoy et du Revers.
En 1568 les forces seigneuriales doivent stationner plusieurs mois aux Envers pour maintenir l’ordre et édifient un chalet pour leur logement.
1569 : la Commune de Longefoy est condamnée, coupable de dévier le ruisseau.
Par jugement du 14 Février 1577, le Sénat, par arrêté, maintient Longefoy en possession de l’eau provenant des Étroits et Aime de celles des Envers.
1785 : Longefoy fait creuser une tranchée ramenant les eaux des Envers en amont de la prise du bief. La commune d’Aime se pourvoit devant le Sénat par requête du 3 Juin 1786. Chaque municipalité fait établir un plan-masse des lieux et sources, Longefoy par le géomètre Pavet, Aime par le géomètre Maurice. Les deux plans sont en complet désaccord. Le procès dure jusqu’en 1792, date à laquelle la décision reste sursise et tout continue comme avant.
1838 : Longefoy recreuse la tranchée et reprend ainsi possession de la plus grande partie des eaux, mais pour peu de temps, car la commune d’Aime, déclarée propriétaire de ces eaux, démolit à nouveau cette tranchée.1840 : La commune d’Aime acquiert les terrains du Revers jusque-là propriété de Cauquoz.
Entre 1840 et 1842, une répartition variable s’effectue selon les besoins des deux communes.
1843 : Cette trêve de courte durée est rompue : deux habitants du Revers sont pris en flagrant délit occupés à faire sauter la barre de bois qui partageait les eaux, donnant ainsi tout au Revers.
1847 : l’architecte Borel, nommé à la suite des différents procès entre les deux communes, fait une étude pour le partage des eaux. Des mesures de débit des sources des deux communes sont établies à l’aide d’une caisse en bois à trois reprises au cours de l’année : fin Mars 1847, début Aout et fin Novembre. Le ruisseau de Étroits au-dessus des dites sources débite en moyenne 11,4 litres/sec, et 45,92 litres/sec au-dessous. Les hameaux du Revers consomment 40,55 litres/sec, et deux moulins sont actionnés par le bief. Longefoy consomment 53 litres/sec, et six moulins fonctionnement grâce au Bief Bovet. Un recensement est effectué. MONTGILBERT : 84 habitants, 8 mulets, 76 bêtes à cornes, 68 chèvres, 23 moutons et 8 porcs. Consommation totale : 3688 litres/jour. PLANCHAMPS : 40 habitants, 5 mulets, 57 bêtes à cornes, 49 chèvres, 6 porcs. Consommation totale : 2475 litres/jour. MONTVILLIERS : 54 habitants, 13 mulets, 87 bêtes à cornes, 76 chèvres et 8 porcs. Consommation totale : 3922 litres/jour. LES ESSERTS : 34 habitants, 2 mulets, 28 bêtes à cornes, 25 chèvres et 4 porcs. LE CHATELARD : 9 habitants, 2 mulets, 19 bêtes à cornes, 16 chèvres et 2 porcs. LONGEFOY : 304 habitants, 52 mulets, 475 bêtes à cornes, 250 chèvres, 31 moutons et 84 porcs. Consommation totale : 18500 litres/jour. MONTALBERT : 238 habitants, 37 ânes et mulets, 45 bêtes à cornes, 195 chèvres, 25 moutons. LE BOIS : 35 habitants, 5 mulets, 41 bêtes à cornes, 80 chèvres et 16 moutons. MONTGESIN : 70 habitants, 8 mulets, 85 bêtes à cornes, 60 chèvres et 8 porcs. Consommation totale : 10108 litres/jour.
En Aout 1862, Longefoy, par l’intermédiaire d’un maçon de Champagny : Jean-Marie Chapuis, fait construire un barrage étanche, détournant la totalité des eaux, empêchant ainsi l’alimentation d’Aime. Les procédures et procès s’enchaînent pendant 40 ans. Dès le début des auditions des témoins de Longefoy, ceux-ci sont récusés par l’avocat d’Aime, pour le motif qu’ils ont été logés et nourris aux frais de Longefoy les trois jours précédents.
Le 7 Aout 1876, le tribunal de la Cour d’Appel de Chambéry, se rend sur place aux Envers, composé de deux juges, d’un greffier et de deux experts. Pour venir de Chambéry, il a fallut trois jours à cheval. Les juges et leur greffier gagnent les Envers en chaise à porteur depuis Aime. Durant trois jours, ce tribunal en plein air, entend 23 témoins pour Aime et 13 pour Longefoy. Les témoins d’Aime affirment avoir vu un barrage détournant les eaux du ruisseau vers le bief. Des entretiens ont lieu entre le Maire d’Aime et des témoins de la commune. De plus un témoin d’Aime déclare que l’aubergiste lui a affirmé que « la commune paye » ses consommations… Un autre affirme avoir reçu du Maire un bon pour aller manger du sérac et boire du lait à Prajourdan. La Cour d’Appel rend son jugement et redonne les Sources des Envers à Aime. Longefoy contre attaque et porte l’affaire devant la cour de Justice de Grenoble qui confirme l’arrêté de Chambéry. La Commune décide alors de reconstruire le barrage et l’affaire est portée devant la Cour Suprême de Lyon. L’huissier Asport de Moûtiers, se présente pour remettre la citation à comparaître au Maire de Longefoy. Ce dernier s’est absenté, les adjoints sont introuvables. Un conseiller de la commune, le Sieur Montmayeur prend la copie de la citation, refuse de signer l’original et l’arrache des mains de l’huissier et s’enfuit avec le tout. Pour défaut de procédure, Longefoy est condamné et doit faire construire un autre barrage de façon à ce que les eaux soient équitablement réparties entre Aime et Longefoy. Des conseillers de la Commune, font un très long séjour à Turin pour rechercher dans les archives les actes de 1240…qui sont introuvables. Un essai est effectué pour voir quel est le cour naturel des eaux. En présence des juges, des deux Maires, on pose sur l’eau en amont du captage du bief, deux morceaux de papiers, les deux filent sur Aime et non sur le Bief Bovet. Le Maire de Longefoy refuse d’admettre la vérité prétextant qu’il n’avait pas ses lunettes. Il produit au juge dix pages de certificats prouvant son incapacité à voir sans ses lunettes.
En 1901, un accord entre les deux municipalités est trouvé pour le partage des eaux, mais il vole en éclats en 1904, avec un nouveau procès…
Depuis 1240, les procès et jugements se sont succédés sans que la situation ne s’arrange, les différends se terminent en 1973, avec la fusion des deux communes… En 1976, d’importants travaux sont réalisés sur le bief avec l’intervention d’une pelle mécanique, le premier engin à travailler sur le Bief Bovet... L’eau qui alimente aujourd’hui ce bief, provient de deux sources : les Etroits, dureté 16°, 5,3mg de sulfate/litres et les Envers dureté 63°, 427 mg de sulfate/litres. Montalbert est alimenté par la source des Etroits la seul propre à la consommation, mais aussi par un captage d’eau sur le Versant du Soleil…”
Mars 1944 : le parachutage d'armes de La Plagne
Ce texte est lu chaque année, le 15 août à Plagne Centre, pour commémorer le parachutage d'armes du 10 mars 1944.
“Ce monument est dédié au maquis de La Plagne et à tous ceux qui luttèrent contre l’envahisseur nazi pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est au début de 1943 que fut constitué le maquis de La Plagne par des patriotes résistants du Canton d’Aime qui avaient refusé d’accepter chez nous un régime totalitaire. Ce maquis était formé d’éléments qui pour des raisons diverses désiraient échapper au contrôle de la police au service de Vichy.
C’est dans la nuit du 10 au 11 mars 1944 que ce parachutage tant attendu et désiré eut lieu dans les pâturages en amont de Plagne Villages par un magnifique clair de lune. Ce parachutage avait été décidé par Londres (Opération Raimu). Lors de la visite que leur avait faite l’officier de la Résistance chargé de choisir les lieux de parachutages pour notre région, deux terrains avaient été retenus : La Plagne et le Quermoz situé au-dessus de Hautecour et les coordonnées de ces terrains furent envoyés à Londres. Le terrain de La Plagne fut refusé par l’Etat-major sous prétexte qu’il était environné de hautes montagnes et que de la sorte les aviateurs auraient trouvé de trop grandes difficultés pour descendre assez bas et pouvoir larguer les containers avec précision. Pendant l’hiver 1943-44, un officier britannique parachuté à Saint Nazaire en Royan dans le Vercors, le Major Thachwaites (alias Proc ou Henri), officier d’un calme et d’un sang froid à toute épreuve, avait été désigné pour visiter le maquis et organiser le parachutage d’armes, d’explosifs et de matériel dont le maquis avait un besoin urgent pour les sabotages et qu’ils réclamèrent avec insistance, car s’ils avaient des hommes, ils manquaient cruellement d’armes. Au cours de sa visite, il vit l’importance du maquis de notre région, et promis d’intervenir auprès de ses chefs pour leur faire obtenir satisfaction le plus rapidement possible.
C’est par hasard qu’il est revenu les voir dans la matinée du 10 mars 1944. Il était avec eux à leur PC, ils écoutaient les émissions de la BBC (Ici Londres, les Français parlent aux Français) qui émettaient les messages personnels leur annonçant les opérations. La phrase (« le chapeau à casquette »), qui leur était destinée fut émise, elle leur annonçait que le parachutage aurait lieu le soir même, mais il fallut cependant que le message soit confirmé vers 19h, ce qui fut fait. Il leur annonçait 13 forteresses volantes, mais sur le site du Quermoz à Hautecour. Ce terrain n’était pas préparé, difficile d’accès, très enneigé et sans aucun moyen pour cacher le matériel, alors que le terrain de La Plagne était idéal : loin des agglomérations, avec une route d’accès et un câble transporteur du minerai qui pouvait leur servir à apporter le matériel, le ravitaillement et bien souvent des personnes. De plus ils pouvaient utiliser les galeries de la mine mises à leur disposition par M. Goloubinow, directeur des mines, mais aussi lieutenant dans le maquis, qui devait trouver une mort glorieuse au combat de Laval le 4 août 1944. Les galeries leur étaient d’une grande utilité pour le camouflage de tout le matériel, d’autre part, ils pouvaient également y loger et ravitailler les équipes de résistants des environs venus en renfort. Ils ne leur restaient donc que deux solutions : soit faire annuler le parachutage, ce qui n’était pas pensable, soit le faire se diriger vers La Plagne, par tous les moyens possibles, La Plagne n’étant distante du Quermoz que de 10 kilomètres à vol d’oiseau. Après discussions, il fut décidé d’attirer les aviateurs sur La Plagne en allumant des feux de balisage sur ce terrain. C’est avec joie qu’ils ont immédiatement averti tous les résistants AS et FTP de la Tarentaise pour qu’ils viennent nombreux les aider à récupérer le matériel dans un temps record car évidemment le bruit des forteresses volantes ne passeraient pas inaperçu des troupes occupantes dans la vallée. Les feux de balisage avaient été préparés avec du carbure et de la dynamite, car à cette époque il y avait encore 1,50m à 2m de neige sur le terrain et ils étaient dans l’impossibilité de faire les feux avec du bois. Vers minuit, après avoir entendu les avions se diriger vers le Quermoz, ils avaient allumé les feux de balisage. Un pilote, les ayant aperçus, se dirigea vers eux. Ils lui firent le signal convenu avec une lampe électrique. Le pilote alerta aussitôt ses compagnons, et 12 forteresses volantes larguèrent 120 containers, et 12 tonnes de matériel. Le pilote de la 13e forteresse, trompé par les feux de l’usine de Pomblière Saint Marcel, largua ses containers sur celle-ci, qui furent hélas récupérés par les Allemands, mais qui eurent aussi peut être le mérite de détourner leur attention.
Leur tâche n’était pas terminée pour autant. Les containers étaient dispersés sur une grande surface dans les pâturages, car les aviateurs, comme prévu, n’avaient pu descendre assez bas pour les larguer avec précision. Il fallut récupérer et transporter le matériel à dos d’homme en ski et en raquettes pour le camoufler dans les galeries de la mine. Après le nettoyage et l’inventaire des armes, chaque section vint prendre l’armement qui leur était destiné. Les chefs de section pouvaient, sous les ordres d’un instructeur, s’instruire et faire du tir réel avec les armes qu’ils ne connaissaient pas du tout, dans les galeries transformées en stands de tir. Le travail avait été dur et gigantesque et des félicitations leur avaient été envoyées de Londres pour sa parfaite réussite. Voilà, Mesdames et Messieurs, le résumé de ce parachutage dont le souvenir est resté gravé dans les mémoires de tous ceux qui y ont participé, hélas de moins en moins nombreux. C’est pour cela que je vous demande un instant de recueillement. Merci.”
Merci à Clément Bérard